Présentation
Le colloque nait d’un constat, celui de la difficulté pour la science du droit constitutionnel à envisager des pratiques inconstitutionnelles et donc des violations de la Constitution, au point que cette difficulté pourrait faire douter de la normativité même de la Constitution. L’hypothèse qu’il s’agira d’éprouver est la suivante : la perception des pratiques inconstitutionnelles par les discours sur le droit constitutionnel met en évidence une pathologie de la norme constitutionnelle.
De manière conventionnelle, nous entendrons par « pratiques inconstitutionnelles » tous les comportements de ceux qui sont obligés par la norme constitutionnelle - que ces comportements se traduisent par des comportements matériels ou par la production de normes - qui révèlent une irrégularité par rapport aux prescriptions contenues dans la Constitution et qui constituent une violation de celle-ci.
La « nomopathie » de la Constitution désignera une pathologie dont serait atteinte la norme constitutionnelle consistant en son incapacité à faire norme, c’est-à-dire à permettre, à interdire ou à rendre obligatoire des comportements. Cette pathologie renvoie à la norme et à la normativité : la « norme » pouvant être considérée comme la signification d’un énoncé prescriptif visant à permettre, interdire ou rendre obligatoire un comportement de la part d’autrui ; la « normativité » comme la capacité d’un énoncé prescriptif à remplir son office.
La réflexion sur les pratiques inconstitutionnelles n’est pas nouvelle. En France, elle a notamment fait l’objet de thèses de doctorat, qui ont par exemple analysé les discours sur la violation de la Constitution ou mis en évidence l’importance de l’appréciation de la régularité, du « calcul des défauts », par la science du droit dans l’appréciation de la concrétisation du droit. Plus largement, elle renvoie à la question de la régularité qui occupe le cœur de la réflexion juridique.
L’acuité de la question demeure aujourd’hui encore forte. Elle se révèle, en particulier, dans les controverses doctrinales, lorsque celles-ci naissent de questions d’actualité autour desquelles s’opposent deux lectures du droit constitutionnel. Plusieurs épisodes sont, à cet égard, révélateurs.
Récemment, des débats doctrinaux ont pu être vifs à propos de la démission de la Première ministre Élisabeth Borne et de l’interprétation de l’article 8 de la Constitution, certains dénonçant l’irrégularité constitutionnelle du comportement des acteurs politiques, d’autres, au contraire, soulignant la latitude qui leur est laissée par le texte constitutionnel.
Il en va de même de la traditionnelle question du recours à l’article 11 pour réviser la Constitution. En 1962, la majorité de la doctrine dénonce l’irrégularité de l’usage de cet article pour réviser la Constitution ; aujourd’hui, une autre majorité soutient le contraire et régularise même cet usage en le fondant sur une coutume ou sur une convention de la Constitution. Cette situation illustre ainsi la variabilité temporelle des discours sur la violation de la Constitution.
Autre exemple, presque caricatural, l’analyse que fait la doctrine de l’article 20 de la Constitution, selon lequel le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation.
S’appuyant sur une pratique politique quasi constante, une bonne partie d’entre elle soutient que cet article signifie que « le Président de la République détermine et le gouvernement conduit la politique de la Nation ». C’est d’ailleurs cette interprétation qui a été entérinée en substance par le Comité Balladur, conformément aux orientations posées par le Chef de l’État, proposant de réviser les articles 5 et 20 pour adapter la norme à la pratique et le droit à la politique.
Dans ces différentes illustrations, l’appréciation de la régularité des comportements des destinataires des normes ne fait pas l’objet d’une interprétation unanime de la part de la science du droit au point que, face à un même comportement, certains estiment que celui-ci est interdit par la Constitution, quand d’autres le considèrent comme étant autorisé.
L’identification des cas de « pratiques inconstitutionnelles » sera d’autant plus difficile, faisant obstacle à une possible défense de la régularité constitutionnelle.
Ces divergences d’interprétation et donc de lecture des dispositions constitutionnelles, qui conduisent à des positions différentes sur la régularité des comportements, ont de quoi décontenancer tous ceux qui, sans doute fort naïvement, considèrent que le droit est un instrument de régulation des comportements. Elles ont de quoi décontenancer ceux qui refusent que la signification des énoncés prescriptifs soit à ce point incertaine qu’elle ne permettrait pas, en réalité, d’établir de manière objective les comportements permis, interdits ou obligatoires à partir des seuls énoncés prescriptifs contenus dans des normes de droit positif. Au-delà, elles interrogent sur la normativité même de la Constitution. Faut-il se résoudre à ne voir dans la Constitution qu’une succession d’énoncés incertains dont il est impossible de déterminer le sens et dont l’application, et donc la pratique, restent à la disposition des acteurs politiques ? La norme constitutionnelle a-t-elle vocation à demeurer inefficace en tant qu’instrument de régulation des comportements ? Présente-t-elle une singularité sous l’angle de sa normativité ?
Cette situation soulève encore un grand nombre d’interrogations qu’il conviendra d’affronter à l’occasion de ces journées d’étude : qu’est-ce que la « régularité » ? Quel regard portent les sciences sociales autres que juridique sur la régularité ? La science du droit présente-t-elle une spécificité par rapport à ces autres sciences sociales ? Dans quelle mesure l’appréhension de la régularité en droit dépend des conceptions théoriques de ceux qui l’observent ? Peut-on déterminer objectivement le sens d’un énoncé linguistique prescriptif porteur de norme ? Peut-on objectivement identifier une « violation de la Constitution » ? Peut-on avoir une connaissance scientifique de l’opération intellectuelle consistant à apprécier la régularité d’un comportement ou d’une norme ? Peut-on se passer d’une telle connaissance scientifique ? L’établissement de la signification des énoncés appelle-t-il une appréciation de valeur ou une connaissance objective du sens ?
L’appréhension de ces différentes questions se fera sous un angle pluridisciplinaire, théorique et comparatiste. Trois tables rondes, précédées de rapports introductifs théoriques ou de droit comparé nourrissant le cadre de la réflexion, seront ainsi proposées pour traiter de ces questions : norme et régularité dans les sciences sociales (§ I), les discours juridiques sur les pratiques inconstitutionnelles (§ II) et quelles pathologies de la normativité constitutionnelle ?
Programme
Lundi 5 Mai
(Salle des Actes, Bâtiment Pouillon)
Norme et régularité dans les sciences sociales
14h00 : Rapport introductif et direction de la table ronde
Régis Ponsard, Juriste, Reims
Intervenants :
Bastien François, Science politique, Paris 1
Marcel Morabito, Historien du droit, Sciences Po Paris
M. Le Du, Philosophe, AMU
Hélène Thomas, Science politique et psychanalyse, AMU
Albert Ogien, Sociologue, EHESS Paris
17h30 : Fin de la 1ère journée
Mardi 6 Mai
(Salle 3.3, Bâtiment Cassin)
Les discours juridiques sur les pratiques inconstitutionnelles
9h00 : Rapport introductif et direction de la table ronde
Florian Savonitto, Juriste, Bordeaux
Regard comparatiste
Manon Altwegg-Boussac, Juriste, Nanterre
Intervenants :
Alexis Blouët, Juriste, AMU
Marie-Anne Cohendet, Juriste, Paris 1
Jacky Hummel, Juriste, Rennes
Armel Le Divellec, Juriste, Paris 2
Ariane Vidal-Naquet, Juriste, AMU
Pause médiane
Quelles pathologies de la normativité constitutionnelle ?
14h00 : Rapport introductif et direction de la table ronde
Otto Pfersmann, Juriste, Paris 1
Regard comparatiste
Eleonora Bottini, Juriste, Caen-Normandie
Intervenants :
Véronique Champeil-Desplats, Juriste, Nanterre
Jean-Philippe Derosier, Juriste, Université de Lille
Xavier Magnon, Juriste, AMU
Stéphane Mouton, Juriste, Toulouse-Capitole
Sacha Sydoryk, Juriste, Picardie
Propos conclusifs
Xavier Magnon
17h30 : Clôture
Événement ouvert à tous en présentiel et en ligne
Participer le lundi 5 Mai : https://univ-amu-fr.zoom.us/j/95448232425?pwd=rtpZTd92nutIzqo7p5QE0bvJq
ID de réunion : 954 4823 2425 - Code secret : 807398
Participer le mardi 6 Mai : https://univ-amu-fr.zoom.us/j/97435571167?pwd=uc03cgo8dFD6jgqjmjNvfpbqL
ID de réunion : 974 3557 1167 - Code secret : 009008
Colloque organisé par l’UMR DICE, Aix-Marseille Université sous la direction scientifique de Xavier Magnon et Ariane Vidal-Naquet