Présentation
Les enjeux de la souveraineté numérique sont omniprésents dans le débat public actuel : de l'Appel de Paris en 2018 à la Déclaration sur le futur de l'Internet d'avril 2022, en passant par le Discours sur l'état de l'Union de la présidente Von der Leyen de septembre 2021 et l'International Counter Ransomware Initiative de 2021, le sujet est devenu omniprésent.
Plus que le numérique lui-même, c'est son ubiquité qui est, au fond, en cause, derrière l'idée de souveraineté : la souveraineté numérique concerne tout à la fois des enjeux démocratiques, économiques et sociaux, commerciaux, industriels, de défense et de sécurité. Derrière la question économique, ce sont les modèles de société et leurs valeurs qui sont en jeu.
Saisis dans leur intégralité, ces différents domaines qui, à leur façon, mettent en cause l'intégrité des compétences des Etats et de l'Union européenne ainsi que leur autonomie, finissent par constituer quelque chose de fondamental et d'existentiel pour les Etats et l'Union européenne : leur indépendance, leur capacité à garder la maîtrise de leurs compétences les plus fondamentales et à appliquer les valeurs qui fondent leur identité et structurent les rapports sociaux.
Le numérique a créé une rupture par la prise de conscience, commune à tous les Etats en Europe et au-delà, de leur incapacité individuelle à exister, défendre leurs valeurs, leur modèle, leur économie et leurs citoyens seuls dans le cyberespace : la domination économique des plateformes américaines et chinoises, la puissance technologique des Etats-Unis et de la Chine ont révélé sous un angle assez cruel l'impuissance des acteurs étatiques sur la scène internationale. Face aux campagnes de désinformation et de manipulation de l'opinion pour déstabiliser les démocraties libérales, aux cyberattaques des infrastructures sociales essentielles, à l'impuissance des économies à lutter contre la puissance de marché des plateformes, à la captation des données des citoyens et des industries et à un retard technologique devenu évident, le sentiment d'impuissance individuelle des Etats européens a placé la question de la souveraineté numérique au cœur des enjeux internationaux. Les stratégies de certaines puissances étrangères qui ciblent les processus démocratiques des Etats par de multiples campagnes de désinformation et de manipulation des opinions publiques sont au cœur d'une guerre hybride qui interroge les formes conventionnelles de défense des Etats.
Les révélations d'Edward Snodwen sur l'ampleur de la surveillance numérique de toutes les plus hautes autorités politiques européennes par les agences américaines, et de la façon dont ces informations ont pu servir les intérêts américains avaient certes créé une prise de conscience forte au niveau international. La stratégie de surveillance globale des principales puissances étrangères aux fins de manipulations géostratégiques est telle qu'elle ne peut pas ne pas affecter quelque peu au passage la puissance de l'Etat. La puissance économique des géants du numérique, dont le chiffre d'affaire approche parfois les recettes fiscales étatiques, restructure le rapport de force économique au niveau international. L'invasion russe en Ukraine et les stratégies de désinformation qu'elle déploie ont peut être achevé de convaincre certains Etats de la nécessité d'agir plus collectivement.
La souveraineté numérique semble inverser la problématique de la souveraineté : elle renvoie à une souveraineté à l'envers, c'est-à-dire à l'idée que la souveraineté de l'Etat est de multiple façons mise en cause par la transition numérique et que seule l'échelle européenne, voire internationale, peut limiter, peut-être corriger, ces atteintes. Les Etats sont confrontés à des plateformes numériques ou des puissances étrangères qui ont les moyens d'être non seulement leur égal, mais peut-être aussi leur supérieur et leur concurrent.
La conceptualisation de la souveraineté numérique européenne ne consiste pas à projeter la théorie de l'Etat au niveau européen mais à penser l'indépendance voire la mise en capacité d'agir, « l'empowerment », de la puissance publique européenne dans une situation mondiale dans laquelle elle n'a pas su trouver sa place : rendre aux Etats européens une capacité d'agir dans un monde reconfiguré par le numérique.
Les enjeux sont multiples et appellent une réflexion qui permet de croiser les regards sur les questions de droit international, droit européen, géopolitique et relations internationales.
Programme
Jeudi 16 Juin
14h00 : Ouverture
David Alis, Président de l'Université de Rennes 1
Frédéric Lambert, Doyen de la Faculté de droit, Université de Rennes 1
Isabelle Bosse-Platière, Professeure à l'Université de Rennes 1, Directrice de l'IODE
14h20 : Arnaud Coustillière, Vice-amiral d'escadre, Président du Pôle d'excellence Cyber
14h45 : Les enjeux de la souveraineté numérique
Guillaume Le Floch, Brunessen Bertrand, Professeurs à l'Université de Rennes 1
Les défis soulevés par la géopolitique du cyberespace sur le droit
Présidence : Jean Peeters, Professeur à l'Université Bretagne Sud, Chaire cyber et souveraineté numérique à l'IHEDN
15h00 : La recomposition des relations internationales
Nicolas Mazzuchi, Chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique, en charge des domaines cyber et énergie-matières premières
15h15 : La diplomatie du numérique
Didier Danet, Académie Militaire de Saint Cyr-Coëtquidan
15h30 : Géopolitique des infrastructures Internet, entre matériel et logiciel
Stéphane Bortzmeyer, Membre de l'Association française pour le nommage Internet (Afnic)
Francesca Musiani, Chargée de recherche, Directrice adjointe Centre Internet et Societé (UPR 2000 & GDR 2091 CNRS)
16h00 : Chaînes de dépendance et territorialisation : des enjeux géopolitiques et environnementaux
Ophélie Coelho, Chercheuse indépendante en géopolitique du numérique, Membre du conseil scientifique de l'Institut Rousseau et de l'Observatoire de l'éthique publique
16h15 : Pause
Les acteurs du cyberespace : vers une désétatisation ?
Présidence : Lucie Cluzel, Professeure à l'Université de Nanterre
La limitation des pouvoirs de l'Etat
16h30 : Souveraineté et plateformes numériques
Céline Castets-Renard, Professeure à l'Université d'Ottawa, Chaire Intelligence artificielle Responsable à l'échelle mondiale à l'Université d'Ottawa, Toulouse chaire Law, Accountability and Social Trust in AI (ANITI-3IA)
16h45 : Les relations Etats-plateformes dans le domaine de la régulation des contenus
Romain Badouard, Maître de conférences à l'Institut Français de Presse, Université Paris Panthéon-Assas
17h00 : L'Etat concurrencé dans ses fonctions
Pauline Türk, Professeure à l'Université de Nice
17h15 : La concurrence des fonctions monétaires par les actifs numériques
Francesco Martucci, Professeur à l'Université Paris 2
17h30 : La dépendance des Etats à la technologie
Vincent Gautrais, Université de Montréal
18h00 : Cocktail
Vendredi 17 Juin
Une vision différenciée du rôle de l'Etat dans le cyberespace
Présidence : François Delerue, Senior Researcher in Cybersecurity Governance I Institute for Security and Global Affairs I Leiden University, Team Lead on International Law I EU Cyber Direct
9h45 : La conception chinoise des enjeux de souveraineté numérique
Rogiers Creemers, Assistant Professeur, Université de Leiden
10h00 : La conception américaine des enjeux de souveraineté numérique
Mathilde Velliet, Chercheuse à l'IFRI, Geopolitics of Technology Program
10h15 : La conception russe des enjeux de souveraineté numérique
Julien Nocetti, Enseignant-Chercheur à l'Académie militaire de Saint-Cyr, Chercheur associé à l'IFRI et GEODE, Titulaire de la chaire Gouvernance du risque cyber à Rennes School of Business
10h30 : La conception africaine des enjeux de souveraineté numérique
Paul Alain Zibi Fama, Chercheur en Droit du Cyberespace Africain, Université Gaston Berger de Saint-Louis
Discussion et pause
Présidence : Anne Cammilleri, Professeure à l'Université Sorbonne Paris Nord
11h00 : La quête ambiguë d'une souveraineté numérique européenne
Fabien Terpan, Maître de conférences à Sciences Po Grenoble - UGA – CESICE, Chaire Jean Monnet en droit et politique de l'UE
11h15 : La conception française des enjeux de souveraineté numérique
Alix Desforges, Chercheuse à GEODE (Université Paris 8)
11h30 : Discussion
12h00 : Déjeuner
De nouveaux enjeux de régulation
Présidence : Thierry Pénard, Professeur des Universités, Doyen de la Faculté des Sciences Economiques, Université Rennes 1
La qualification juridique des cybermenaces
14h00 : Les stratégies d'influence et ingérences étrangères : la désinformation
Karine Favro, Professeure à l'Université de Haute Alsace
14h15 : Du cyber-espionnage aux cyberattaques : quelle régulation juridique ?
Karine Bannelier, Maître de conférences à l'Université de Grenoble
14h30 : La responsabilité internationale de l'Etat du fait des cyberattaques
Patrick Jacob, Professeur à l'Université Paris Saclay, UVSQ
14h45 : L'interprétation du droit international du numérique par les Etats
Aude Géry, Chercheuse à GEODE, Université Paris 8
15h00 : Discussion et pause
La régulation nationale, européenne et internationale
Présidence : Alexandra Bensamoun, Professeure à l'Université Paris Saclay
15h30 : La gouvernance de l'internet et la construction d'un nouveau multilatéralisme
Lucien Castex, Représentant de l'Afnic pour les Affaires publiques, Chercheur à l'Université Sorbonne Nouvelle
15h45 : La marginalisation des Etats dans la gouvernance de l'internet
Valère Ndior, Professeur à l'Université de Bretagne occidentale
16h00 : L'appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace : quel bilan ?
Anne-Thida Norodom, Professeure à l'Université Paris Cité
16h15 : La protection des opérateurs d'importance vitale
Michel Sejean, Professeur à l'Université de Bretagne Sud
17h00 : Discussion
17h30 : Clôture
Ce colloque sera accessible en distanciel via Zoom et en présentiel.
Les inscriptions sont obligatoires et à effectuer directement sur Sciencesconf.org : https://souvnum.sciencesconf.org
Contact : Sandra Blandin - sandra.blandin@univ-rennes1.fr
Organisé par l'Université de Rennes 1 sous la direction scientifique de Brunessen Bertrand et Guillaume Le Floch