Présentation
Les deux premières décennies du XXIe siècle ont été des plus mouvementées pour les différents régimes et institutions de droit international économique. Cette période s'est en effet ouverte par le lancement du cycle de Doha à l'OMC, dont les résultats ont été extrêmement décevants, en raison des divergences d'intérêts entre les différents groupes d'Etats membres. Elle s'est poursuivie avec une remise en question de plus en plus virulente du droit international de l'investissement et de ses mécanismes d'arbitrage, y compris par des Etats du Nord, comme l'illustrent le nouvel ALENA (l'ACEUM), les annonces successives de retrait du Traité sur la Charte de l'énergie ou les dénonciations de la Convention de Washington. Les accords préférentiels de libre-échange, adoptés par les Etats en marge de l'OMC, n'ont pas été épargnés par des critiques formulées tous azimuts, y compris par les sociétés civiles des puissances commerciales du Nord, inquiètes de leurs effets sociaux, environnementaux et sanitaires. Enfin, la crise de l'Organe de règlement des différends de l'OMC, dont l'Organe d'appel ne peut plus être saisi depuis décembre 2019, réinterroge la place qu'il convient d'accorder au respect des disciplines juridiques libre-échangistes, largement héritées du GATT de 1947, dans les relations commerciales interétatiques. Parallèlement à ces remises en question, la crise environnementale et la question du respect des droits des travailleurs ont ravivé le débat sur les conséquences controversées de la libéralisation des échanges et des investissements étrangers dans ces domaines.
Les différentes manifestations de contestation et de crise du droit international économique vont-elles trouver leur dénouement dans une réforme plus ou moins radicale des règles et institutions actuelles ou dans l'avènement de nouvelles formes d'organisation du jeu économique qui remettrait profondément en cause le paradigme du libre-échange mondial ? Que pouvons-nous penser des dernières initiatives qui sont lancées et qui sont en retrait par rapport aux anciens accords de libre-échange (comme le Regional Comprehensive economic partnership : RCEP), ou adoptent une forme radicalement différente (l'Indo-Pacific Economic Framework for Prosperity, 'IPEF') ?
Ce sont là quelques-unes des questions auxquelles le présent colloque cherchera à répondre. Alors que les relations économiques internationales se sont fondées sur un idéal libre-échangiste hérité du contexte de l'après-Seconde Guerre mondiale qui, depuis les années 80, a donné lieu à la construction d'un modèle néolibéral de promotion et de protection des échanges et des investissements internationaux, la question se pose de savoir si ce modèle est en voie d'être remis en cause. Plus précisément, quatre thèmes, correspondant à autant de manifestations de la construction d'un éventuel nouveau paradigme, feront l'objet de nos réflexions.
Une première demi-journée sera consacrée à la crise institutionnelle vécue actuellement par l'OMC. Quelles en sont les origines et les causes profondes ? Quelles sont les perspectives d'avenir pour cette organisation ? Il sera alors question de voir si l'OMC saura reprendre sa place ou la redéfinir, ou si elle n'est pas, tout simplement, vouée à être remplacée par quelque chose d'autre.
Une deuxième demi-journée sera consacrée aux valeurs non marchandes, qui sont devenues de plus en plus centrales dans les relations économiques internationales. Si les droits des travailleurs et l'environnement entretiennent depuis longtemps des relations conflictuelles avec le droit du commerce international, dans la mesure où ils affectent les coûts de production ayant un impact sur la compétitivité des entreprises et des économies nationales, la question de l'équité fiscale émerge depuis quelques années comme étant une autre variable à prendre en considération. Enfin, quelle place occupe encore le développement dans les stratégies des Etats à l'origine des nouveaux accords de libéralisation des échanges et des investissements ? Celles-ci sont-elles encore marquées par la conception néolibérale du développement longtemps portée par les institutions financières internationales ?
Le troisième thème sera celui de la régionalisation, qui semble prendre une place prépondérante du fait de la crise de l'OMC. L'Asie semble particulièrement convoitée, avec deux initiatives gigantesques : l'une organisée autour de la Chine, le RCEP ; et l'autre orchestrée par les Etats-Unis, qui ont finalement choisi de s'en retirer, à savoir le Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGC). En parallèle, la Chine a aussi lancé ses fameuses « nouvelles routes de la soie » pour favoriser ses liens commerciaux avec des partenaires situés sur les continents asiatique, africain et européen. Sur le continent africain, la construction de la Zone de libre-échange continentale africaine (la ZLECAF) mérite également réflexion. S'agit-il d'une zone qui se destine à répliquer les disciplines classiques du libre-échange ou d'une zone de libre-échange innovante et bénéfique au développement des échanges et du continent africains ? Sur le continent européen, que penser des initiatives prises par l'Union européenne dans le cadre du Green deal et qui conditionnent l'accès au marché européen de marchandises étrangères par le respect de méthodes de production vertueuses sur le plan climatique (mesures d'ajustement carbone, mesures destinées à lutter contre la « déforestation importée », etc...) ? Sont-elles destinées à prospérer, en marge de l'OMC, et doivent-elles toujours respecter les disciplines imposées par une OMC dépourvue de son juge ?
Enfin, la quatrième manifestation d'un éventuel changement de paradigme est à chercher dans les développements, voire les bouleversements, qu'a connus ces dernières années le droit international de l'investissement. Ici, trois types de transformations semblent se produire et méritent d'être interrogées.
Assiste-t-on, en premier lieu, à un développement d'obligations (nationales et internationales) pour les investisseurs étrangers, auxquels le droit international a, depuis 40 ans, surtout conféré des droits ? En deuxième lieu et au regard de la pratique conventionnelle récente, ces droits substantiels sont-ils redéfinis de manière plus restrictive au profit d'une plus grande protection des droits et intérêts des Etats d'accueil d'investissements étrangers ? Enfin, quelle est l'ampleur de la remise en question des privilèges procéduraux accordés aux investisseurs étrangers via le possible recours en arbitrage international ? Assiste-t-on à un retour du rôle des juridictions nationales d'accueil, voire d'origine, des investisseurs étrangers, dans les régimes de réglementation et de protection des investisseurs étrangers ?
Programme
8 Juin 2023
(Maison de la recherche)
Session du matin - Quels enseignements tirer de la crise à l'OMC quant à l'émergence d'un nouveau paradigme ?
Sous la présidence de Laurence Dubin, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
9h00 : Accueil
9h30 : Propos introductif
Saïda El Boudouhi, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis
9h50 : Les crises et les réformes envisagées à l'OMC
Vincent Tomkiewicz, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis
10h10 : Une crise dans les crises ? OMC, néolibéralisme et approches néo-gramsciennes
Edoardo Stoppioni, Université de Strasbourg
10h30 : Débats
11h10 : Pause-café
11h30 : Les acteurs invisibles du système de règlement des différends de l'OMC ou le paradigme en trompe-l'œil
Andrea Hamann, Université de Strasbourg
11h50 : La durabilité : slogan ou nouveau paradigme du droit de l'OMC ?
Geneviève Dufour, Université de Sherbrooke
12h10 : Débats
12h45 : Pause déjeuner
Session de l'après-midi – « Libre-échange et… » : La place de valeurs non marchandes dans l'émergence d'un nouveau paradigme
Sous la présidence de Rémi Bachand, Université du Québec à Montréal
14h30 : L'adaptation des nouveaux accords de libre-échange au changement climatique, vers quel nouveau paradigme ?
Sabrina Robert-Cuendet, Université du Mans
14h50 : Vers l'émergence de nouvelles valeurs dans les relations économiques internationales ? Les enjeux de l'équité fiscale
Saïda El Boudouhi, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis
Polina Kouraleva-Cazals, Université de Savoie Mont-Blanc
15h10 : Débats
15h40 : Pause-café
16h00 : La dimension sociale des accords commerciaux préférentiels des Etats du Nord, vers un abandon de la lecture néolibérale du droit du libre-échange ?
Laurence Dubin, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
16h20 : Quelle place pour les préoccupations de développement dans les nouveaux accords africains de libre-échange ?
Makane Moïse Mbengue, Université de Genève
16h40 : Débats
17h00 : Fin de la 1ère journée
9 Juin 2023
(Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Session du matin - La régionalisation comme manifestation de l'émergence du nouveau paradigme
Sous la présidence de Hervé Ascensio, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
9h00 : Accueil
9h30 : Les ambivalences des politiques économiques africaines
Jean Matringe, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
9h50 : Le Sud Global, quelle contribution au renouvellement normatif en droit international économique ? Regards croisés sur les expériences asiatiques
Leïla Choukroune, Université de Portsmouth
10h10 : Débats
10h45 : Pause-café
11h10 : Capitalismes et institutions économiques internationales : que penser des nouvelles initiatives états-uniennes ?
Rémi Bachand, Université du Québec à Montréal
11h30 : Quels changements de paradigme dans la politique commerciale de l'Union européenne ?
Cécile Rapoport et Kenza Te‑ahi, Université de Rennes
11h50 : Débats
12h30 : Pause déjeuner
Session de l'après-midi - La transformation du droit des investissements comme manifestation de l'émergence du nouveau paradigme
Sous la présidence de Raphaële Rivier, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
14h00 : Faut-il renouveler le regard disciplinaire sur les obligations des investisseurs transnationaux ?
Patrick Jacob, Université de Versailles Saint-Quentin
14h20 : Vers une limitation de la protection substantielle des investissements étrangers ?
Mathilde Frappier, Université de Nancy
14h40 : Quelle limitation de la protection procédurale ?
Walid Ben Hamida, Université d'Evry
15h00 : Débats
15h45 : Cocktail
Pour toute question autre que l'inscription, veuillez écrire à l'adresse : nouveauparadigme.droitinteco@gmail.com
Entrée gratuite, mais soumise à inscription via le lien suivant : https://forms.gle/QcJPTodttcCfSqtq6
Organisé par le CRJP8 sous la direction de Saïda El Boudouhi, CRJP8, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis ; Laurence Dubin, IREDIES, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Rémi Bachand, CEIM, Université du Québec à Montréal