Date limite le vendredi 28 fév. 2025
Les rapports des experts scientifiques publiés ces dernières années font tous le constat alarmant de l'effondrement de la biodiversité. La Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, dans son Rapport sur l'évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques, estime que « sur environ huit millions d'espèces animales et végétales (dont 75 % sont des insectes), environ un million sont menacées d'extinction » (IPBES, 2019). Par ailleurs, selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat « sur les 105 000 espèces étudiées, 9,6 % des insectes, 8 % des plantes et 4 % des vertébrés devraient perdre plus de la moitié de l'aire de leur niche climatique en cas de réchauffement planétaire de 1,5 °C » (GIEC, 2019). Or, depuis 30 ans, les Etats tentent, sans y parvenir, d'endiguer la sixième extinction de masse de la biodiversité. Le droit de l'environnement a pourtant été prolifique à toutes les échelles – internationales, européennes, nationales – ne cessant d'accroître le contenu de la boîte à outils de la protection de la biodiversité. Les techniques juridiques se sont ainsi multipliées. A chaque étape du développement du droit de l'environnement, les « politiques de la biodiversité » (Compagnon, Rodary, 2017) qui ont sous-tendu l'élaboration des instruments juridiques ont, conduit à une modification sensible du contenu des normes juridiques mettant peu à peu en relation les chiffres, la biodiversité et le droit puis les liant de plus en plus étroitement.
A partir des années 90, à la suite de la publication du Rapport Brundtland (1987) et de l'avènement de la notion de développement durable dans la Stratégie mondiale de la conservation publiée en 1980, un lien étroit est établi entre développement, économie et biodiversité. Le droit international de l'environnement se construit alors en s'appuyant sur une « politique de la biodiversité » s'inscrivant dans la lignée de la vision de Gifford Pinchot, selon laquelle la nature est un « objet » au service de l'Homme (Pinchot, 1905). La Convention sur la diversité biologique, pilier normatif et institutionnel de la protection de la biodiversité à l'échelle internationale et adoptée en 1992 à l'occasion de la Conférence des Nations Unies de Rio sur l'environnement et le développement, ne fait d'ailleurs référence à la valeur intrinsèque de la biodiversité que dans son préambule éloignant ainsi les « politiques de la biodiversité » de la vision préservationniste de John Muir (Muir, 1916). Dans le même temps, la montée en puissance de la logique néolibérale a renforcé cette appréhension utilitariste de la biodiversité (Guimont, Petitimbert, Villalba, 2018) qui a notamment trouvé écho à travers l'émergence dans les textes internationaux du concept de « services écosystémiques ». La mise en oeuvre de ces « politiques de la biodiversité » a, par ailleurs, été servie par une approche managériale de la biodiversité influée lors des négociations internationales à la fois par les Etats qui l'ont largement intégré à la sphère publique que par les autres acteurs des relations internationales tels que les entreprises ou les ONGs qui sont intrinsèquement sous-tendues par cette logique. L'approche managériale a invité les Etats à appréhender la conservation de la biodiversité en termes d'objectifs et de résultats à atteindre.
En termes d'outils, le processus de construction des « politiques de la biodiversité » telles que décrites s'est, sans aucun doute, appuyé pour sa mise en oeuvre sur des techniques juridiques classiques mais aussi très vite sur des techniques juridiques novatrices et des instruments économiques sous l'impulsion notamment des études économiques sur les valeurs de la biodiversité. Ces études économiques ont évidemment rencontré un certain succès au sein du contexte politique et économique de construction des « politiques de la biodiversité ». La mise en place de ces techniques juridiques novatrices, telles que celles de l'inventaire, de la quantification ou encore de la compensation, et de ces instruments économiques, comme les marchés d'unité de biodiversité, a nécessité un renforcement du dialogue entre science et décision et donc un développement exponentiel de l'expertise scientifique, allant sur la scène internationale jusqu'à la création de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). La biodiversité a ainsi peu à peu été « mise en chiffre » à travers notamment son évaluation ex ante et ex post dans le cadre des mécanismes de compensation écologique – ce qui a, d'ailleurs, ouvert des débats houleux en doctrine sur la mise en place de marchés des unités de biodiversité et la marchandisation voire la monétarisation de la nature – ou plus récemment par le développement d'une comptabilité écologique. La doctrine juridique a alors été très prolifique pour analyser la portée des évaluations de la biodiversité, les mécanismes de compensation écologique (Lucas, 2015) et plus largement les valeurs de la biodiversité (Boutonnet, Truilhé, 2015). En parallèle de ce premier glissement vers une mise en chiffre « « économique » de la biodiversité, un second glissement est venu caractériser les nouvelles « politiques de la biodiversité » à l'échelle internationale : la mise en chiffre des objectifs de protection de la biodiversité.
Depuis l'adoption de la Convention sur la diversité biologique en 1992, des objectifs de protection de la biodiversité ont été définis, et révisés tous les dix ans à l'échelle internationale dans des plans stratégiques pour la mise en oeuvre de la Convention. Le Plan stratégique initial pour la biodiversité a été révisé la première fois en 2010. Cette révision a abouti à l'adoption du Plan stratégique 2011-2020 et des objectifs d'Aichi relatifs à la diversité biologique. En 2022, les négociations internationales au sein de la Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique ont permis l'adoption du Cadre mondial de la biodiversité Kunming-Montréal. A l'échelle européenne, un processus identique se déroule en miroir du processus décisionnel international. L'Union européenne a ainsi adopté une Stratégie en matière de biodiversité à l'horizon 2020 et le Parlement a adopté, en juin 2021, La nouvelle stratégie de l'UE en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030. Enfin, ces plans et stratégies sont déclinés aux échelles nationales, régionales voire locales. Or, la nature du contenu de ces plans d'action a sensiblement évolué au cours du temps. Dès les premières stratégies internationales et européennes, même si les buts et les objectifs généraux sont définis de manière classique, ils s'accompagnent d'indicateurs de mise en oeuvre ou de « performance ». Or, certains indicateurs sont chiffrés pour faciliter l'évaluation de la réalisation des buts et objectifs généraux. Dans les stratégies internationales et européennes plus récentes, si les indicateurs demeurent bien souvent des indicateurs chiffrés, la logique des chiffres a aussi innervé les objectifs de conservation. Les normes juridiques classiques n'ayant pas permis d'atteindre les objectifs fixés ces trente dernières années et l'évaluation de la réalisation de ces objectifs étant très difficile à réaliser, le droit a glissé vers une approche plus managériale de la biodiversité. Cette nouvelle approche consiste non seulement à quantifier la biodiversité pour en évaluer l'état, mais aussi à définir des objectifs de protection chiffrés et des indicateurs pour mesurer la réalisation de ces objectifs. Les objectifs chiffrés et les indicateurs de performance qui les accompagnent, présentent l'avantage d'être plus précis, plus aisément évaluables et sûrement plus flexibles que les normes juridiques classiques. Plus récemment, la doctrine juridique a même élaboré des indicateurs pour évaluer l'effectivité du droit lui-même (Prieur, 2018), ce qui démontre notre difficulté à mesurer sans chiffre les effets des politiques de conservation de la biodiversité. Nous sommes ainsi entrés dans une ère de la gouvernance de la biodiversité par les chiffres sous-tendue par un pré-supposé politique selon lequel le chiffre permettrait de renforcer l'effectivité et l'efficacité des politiques de conservation de la biodiversité. Or, la doctrine, notamment juridique, a peu interrogé ce pré-supposé et reste encore très silencieuse sur les enjeux de la « smart law » qui fixe parfois des objectifs « durs » dans des instruments juridiques « mous ». Ce colloque a ainsi pour ambition de permettre de mener une réflexion sur les objectifs chiffrés et leurs indicateurs de mise en oeuvre et d'interroger le pré-supposé selon lequel les objectifs chiffrés et les indicateurs de mise en oeuvre auraient vocation à rendre les politiques de conservation de la biodiversité plus effectives et plus efficaces.
Les contributions au colloque pourront venir nourrir notamment, mais pas exclusivement, les trois axes de réflexion suivants :
Axe 1 - Le processus de construction des objectifs chiffrés de conservation de la biodiversité.
Une telle analyse conduira à « disséquer » les processus scientifiques et décisionnels qui ont accouché de ces objectifs chiffrés pour identifier les institutions et les acteurs impliqués et analyser leur rôle dans l'expertise de consensus (Thery, 2005), et dans le processus décisionnel afin d'appréhender au mieux les freins et les leviers de la construction du consensus politique autour de ces objectifs. L'analyse pourra, par exemple, se nourrir d'exemples provenant d'autres régimes juridiques que ceux dédiés à la conservation de la biodiversité.
Axe 2 - Les modalités d'évaluation de la mise en oeuvre des objectifs chiffrés de conservation de la biodiversité.
Afin de mesurer le degré d'effectivité et d'efficacité des objectifs chiffrés, cet axe pourra recenser et analyser les outils juridiques et scientifiques mis en place à cette fin dont notamment les indicateurs de performance.
Axe 3 - Le potentiel de justiciabilité des objectifs chiffrés de conservation de la biodiversité.
Le contentieux climatique national qui se développe depuis plusieurs années et les espoirs en termes d'efficience du droit qui l'entoure invite à mener une réflexion identique dans le domaine du vivant en s'interrogeant sur la justiciabilité des objectifs chiffrés.
Direction scientifique
Sophie Gambardella, Chargée de recherche CNRS, UMR DICE 7318, Aix-Marseille Université.
Comité scientifique
- Julien Bétaille, Maitre de conférences à l'Université Toulouse Capitole.
- Philippe Billet, Professeur des universités en droit public, Université Lyon 3.
- Marie Bonnin, Directrice de recherche à l'IRD, UMR LEMAR (IRD-UBO-CNRS-IFREMER),Univ. cadi Ayyad, Maroc.
- Christel Cournil, Professeure des universités en droit public, SciencePo Toulouse.
- Julien Dellaux, Professeur des universités en droit public, Université de Nice Côte d'Azur.
- Hubert Delzangles, Professeur des universités en droit public, SciencePo Bordeaux.
- Mathilde Hautereau-Boutonnet, Professeur des universités en droit privé, Aix-Marseille Université.
- Juliette Landry, Chercheuse Gouvernance de la biodiversité et des écosystèmes, IDDRI
- Sandrine Maljean-Dubois, Directrice de recherche CNRS, UMR DICE 7318, Aix-Marseille Université.
- Pascale Ricard, Chargée de recherche CNRS, UMR DICE 7318, Aix-Marseille Université.
- Anne-Sophie Tabau, Professeur des universités en droit public, Aix-Marseille Université.
- Eve Truilhé, Directrice de recherche CNRS, UMR DICE 7318, Aix-Marseille Université.
Publication
Le colloque donnera lieu à une publication scientifique.
Modalités de soumission des propositions de communication
Les propositions de communication sont à envoyer, jusqu'au 28 février 2025 inclus, à l'adresse suivante sophie.gambardella@univ-amu.fr
Les propositions de communication, d'une page maximum, devront inclure un résumé de la communication qui expose la question de recherche, les méthodes de la recherche et la thèse défendue et devront être accompagnées d'un CV et d'une courte bibliographie.
Nous encourageons des contributions venant des doctorants et jeunes chercheurs, et, également, celles de praticiens chargés d'appliquer et d'interpréter le droit ainsi que des décideurs politiques.
Les propositions de communication en anglais sont acceptées.
Les réponses aux propositions de communication seront envoyées avant la fin du mois de mars 2025.