Présentation
Paraphrasant Giono, qui traitait des princes de Homère à Machiavel, on pourrait dire que la terre n'est peuplée que de victimes: les unes sont en exercice, et elles sont à plaindre et réhabiliter; les autres sont en puissance, c'est-à-dire soit en devenir, soit en illusion. Or, la notion de victime – là réside sa principale difficulté – profite d'une force rhétorique hors du commun qui abolit la tripartition précédemment retenue. Victime en exercice, en devenir ou en illusion: la déclaration subjective de victime emporte sa considération objective – phénomène juridiquement remarquable puisqu'il contredit les présomptions de droit. Pour des motifs qu'il faudra expliquer, la victime, nouveau prisme du monde occidental, est aujourd'hui omniprésente, et partout protégée: dans les prétoires, par des associations, dans la presse, par la loi. Forte de son statut privilégié si l'on ose dire, la victime transcende les classifications juridiques traditionnelles: une victime n'est pas nécessairement une personne; ce peut être un embryon, ou un animal, déplaçant ainsi la notion de sujet de droit, depuis la personne juridique vers l'être vivant, renouant sans le vouloir avec un langage et des concepts théologiques pour lesquels la victime demeurait l'objet du sacrifice rituel. En se laïcisant, la notion de victime, en France, s'est imposée au champ juridique qui, jusque-là, ne connaissait que des protagonistes bien définis – demandeur, défendeur, ministère public, partie civile. Dans ce cadre procédural, la victime n'était, en quelque sorte, que secondaire; dans tous les cas, elle était définie, ou plutôt désignée par l'oeuvre de justice construite par le procès. Depuis une trentaine d'années un renversement s'est opéré si bien que la justice, désormais, se mesure à l'aune de la puissance victimale : plus l'état (moral ou physique) de la victime est critique, plus le dommage subi, qualifié d'injustice, est considéré comme intolérable. Aussi, ce nouvel état conduit-il à un bouleversement du paradigme judiciaire – central dans le parcours de notre société –, en substituant la notion de réparation à celle de vérité, forgée par le Moyen Age chrétien. Sans nul doute, l'issue de la seconde guerre mondiale a favorisé l'avènement de la victime dans notre ordre juridique romano-canonique en tant que phénomène, illustré notamment par le versant international de la justice pénale; mais il aura fallu plus de trente ans pour que cette place occupée par la victime transforme les structures profondes de notre système judiciaire national. Notion centrale, la victime est aussi un objet juridique délicat en raison de l'absolue légitimité de son statut. Une victime a toujours raison – et, là est le danger, le politique entend profiter de cette absoluité. Y aurait-il alors, par effet de capillarité, une force raisonnable des actes politiques lorsqu'ils penchent du côté de la victime? Y a-t-il une différence entre une loi créant un fonds d'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation et une loi mémorielle qui reconnaît le statut de victime à telle ou telle catégorie de la population? Quel rôle les magistrats, du siège ou du ministère public, ont-ils joué dans l'avènement factuel puis juridique de la victime? La victime est omniprésente, et partout ambiguë: il arrive souvent, en effet, que le coupable soit la première victime des actes qu'il reproduit mimétiquement; qu'un coupable devienne victime de l'institution judiciaire ou pénitentiaire; qu'un coupable soit lui-même la victime d'un coupable plus grand ou plus fort. Si bien que la question fondamentale que pose le statut de la victime n'est pas tant celle de sa place – toujours mouvante – que celle de son contenu. Un contenu jusque-là qualifié psychologiquement, jadis théologiquement ou philosophiquement, et qui mérite, tant sa réalité s'impose à nous, d'être mieux qualifié juridiquement. Scruter la notion de victime dans son essence (I) et à raison de la place centrale qu'elle occupe aujourd'hui et depuis les années 1980 (II) sera insuffisant à en déterminer le contenu juridique: il faut y adjoindre l'examen de son ambiguïté et de sa force rhétorique intrinsèques (III). Essence, centralité et puissance, telles sont les trois dimensions de la victime dont l'étude devrait permettre de préciser la nature, le régime et les effets juridiques.
Boris Bernabé
Programme
Jeudi 11 avril 2013
Cour d'appel de Besançon — Grand Chambre
13h30 Accueil des participants et allocutions d'ouverture
Après-midi sous la présidence de M. Pierre TRUCHE Premier Président honoraire de la Cour de cassation
I. - La victime en exercice
1. - La victime dans la société contemporaine
14h. - Une justice pour la victime aujourd'hui, Denis Salas, Magistrat et Secrétaire général de l'AFHJ.
14h20. - Table ronde: La victime aujourd'hui et en milieux professionnels, présidée et animée par Denis SALAS avec:
Sabrina Bellucci, Directrice de l'INAVEM.
Myriam Kabbouri, Avocate au Barreau de Besançon.
Elisabeth Philiponet, Magistrate, déléguée à l'aide aux victimes.
Marie-France Steinlé-Feuerbach, Professeur de droit privé, Université de Haute-Alsace.
15h40. - Pause.
16h. - Discussion.
2. - La victime dans le droit contemporain privé et pénal
16h30. - Vers une objectivation de la responsabilité civile dans l'intérêt des victimes, Marie-France Steinlé-Feuerbach.
16h50. - La médecine de l'entreprise en difficulté, Philippe Roussel Galle, Professeur de droit privé, Université de Paris V.
17h10. - Les catégories de la victime en droit criminel, Fabienne Terryn, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, CRJFC, Université de Franche-Comté.
17h30. - L'avènement juridique de la victime en droit pénal international, Rémy Prouvèze, Maître de conférences en droit public, CRJFC, Université de Franche-Comté.
18h. - Discussion.
Vendredi 12 avril
Faculté de droit (UFR SJEPG) — Amphithéâtre Cournot
Matinée sous la présidence de M. Michel van de KERCHOVE Professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles.
3. - La victime dans le droit public contemporain
9h30. - L'efflorescence de la notion de victime dans l'oeuvre du Conseil d'Etat et de la doctrine administrative, Anne-Laure Girard, Maître de conférences en droit public, Université de Poitiers.
9h50. - Dialogue de la victime en droit constitutionnel, avant et après la QPC, Emmanuel Cartier, Professeur de droit public, Université de Lille II.
10h10. - La reconnaissance de la victime par l'Union européenne, Coralie Mayeur-Carpentier, Maître de conférences en droit public, CRJFC, Université de Franche-Comté.
10h30. - Pause.
II. - La victime en puissance
11h. - Les lois mémorielles: compensation symbolique et victimisation institutionnelle, Charles Fortier, Professeur de droit public, Directeur du CRJFC, Université de-Franche-Comté.
11h20. - Victime active-victime passive: du héros antique au soldat inconnu, Yann-Arzel Durelle-Marc, Maître de conférences en histoire du droit, Université de Paris XIII.
11h40 Discussion puis déjeuner.
Après-midi sous la présidence de M. Marco VENTURA Professeur à la KU Leuven et à l'Università degli Studi di Siena.
14h. - Table ronde: La victime absente de l'histoire?, présidée par Marco Ventura avec:
Michelle Bubenicek, Professeur d'histoire, LSH, Université de Franche-Comté.
Caroline Decoster, Maître de conférences en histoire du droit, CRJFC, Université de Franche-Comté.
Raphaël Eckert, Professeur d'histoire du droit, Université de Strasbourg.
Marie-Clotilde Lault, Maître de conférences en histoire du droit, Centre Georges Chevrier, Université de Bourgogne.
Nicolas Warembourg, Professeur d'histoire du droit, Université de Lille II.
III. - La victime en son essence
15h50. - L'homo sacer et la victime-vicaire, Boris Bernabé, Professeur d'histoire du droit, CRJFC, Université de Franche-Comté.
16h10. - La justice restauratrice au coeur du conflit des «paradigmes de la peine», Michel van de Kerchove.
16h30. - Discussion
17h. - Propos conclusifs de Pierre Truche.