Présentation
Quelles sont les implications juridiques de la présence et de l’absence du français dans les institutions internationales ? Doit-on continuer à enseigner le droit international en français si l’on veut former le plus grand nombre d’étudiants ? Existe-t-il une pensée juridique et une culture juridique francophones et, si oui, ne doivent-elles être diffusées qu’en français ? Quelles actions peuvent être menées pour développer cette place du français, à égalité avec l’anglais et les autres langues officielles des Nations Unies ?
La Société française pour le droit international et la Société québécoise de droit international proposent ainsi de réfléchir, dans un cadre scientifique confrontant des universitaires et des praticiens francophones de plusieurs continents, à l’usage de la langue française dans la réflexion sur et la pratique du droit international.
Avec 321 millions de francophones dans le monde, le français est la cinquième langue mondiale par le nombre de locuteurs, après l’anglais, le mandarin, l’hindi et l’espagnol (Observatoire de la langue française, 2022). Il est la seule langue, avec l’anglais, à être présente sur les cinq continents et il est la langue officielle ou co-officielle dans 45 Etats ou subdivisions d’Etats dans le monde. On le sait, le choix des cinq langues officielles des Nations Unies ne relève pas de la seule logique linguistique mais plutôt d’une logique de puissance, telle qu’elle était conçue à la fin de la Seconde guerre mondiale (Focsaneanu, 1970). Or la place de ces langues et ces rapports de puissance ont depuis évolué.
La langue française bénéficie d’un statut plutôt favorable dans les institutions internationales puisque lorsqu’une organisation dispose de plusieurs langues officielles, y figure le français ; plusieurs villes francophones rassemblent des institutions internationales (Genève, Bruxelles, Luxembourg, Montréal, Paris) et 9% des fonctionnaires internationaux sont français (site du MEAE français). En pratique, toutefois, la situation apparaît moins satisfaisante, objectivement et subjectivement. Plusieurs rapports émanant d’organisations internationales constatent le déséquilibre en faveur de l’anglais au détriment des autres langues officielles dans les réunions non officielles (les plus nombreuses), les processus de recrutement, la communication externe ou encore les appels d’offres ou les appels à projets (OIF, La langue française dans le monde 2019-2022). Ce déséquilibre est également ressenti par le personnel des organisations. Selon une enquête menée à l’ONU en 2022, un nombre très élevé de personnes ayant choisi le français comme langue principale n’était pas d’accord ou pas du tout d’accord avec l’affirmation selon laquelle « A l’ONU, je suis libre de travailler dans n’importe laquelle des langues de travail de l’entité qui m’emploie », en comparaison de tout autre groupe linguistique identifié (Cadre stratégique des Nations Unies sur le multilinguisme, 2024).
L’usage du français dans les institutions internationales n’est pourtant pas dépourvu de cadre normatif, qu’il s’agisse des actes constitutifs des organisations internationales, des règlements de leurs organes identifiant les langues de travail, des statuts des juridictions internationales ou encore d’accords conclus entre, par exemple, la Cour pénale internationale et la Francophonie en 2012 pour assurer la visibilité de la langue française et son implication dans la mise en œuvre de la justice pénale internationale. Mais la culture linguistique de chaque organisation n'est pas tant définie par ces « décisions institutionnelles formelles » que par « les influences conjuguées » des langues officielles, de travail, de communication, du pays d’accueil, nécessaires à l’accomplissement des missions des organisations (Plas, 2017), et des cultures qui y sont attachées.
La langue est à la fois un « attribut de la souveraineté nationale et un instrument de communication » (Chatillon, 2002), « son vocabulaire, sa syntaxe sont une façon de penser le monde, de découper la structure du monde » (Villey, 1974). Le droit emprunte son vocabulaire au langage courant, « mais opère ensuite une transformation plus ou moins profonde du sens des mots » (Reuter, 1970), le rendant plus technique. La langue juridique reflète dès lors à la fois une culture nationale et un ordre juridique national. Mais qu’en est-il du droit international s’il ne repose que sur une seule langue, improprement considérée comme internationale ? Négocier, délibérer, juger, arbitrer, codifier dans une seule langue soulèvent des problèmes juridiques, au-delà des questions de traduction et d’interprétation des textes. Une langue véhiculaire internationale peut présenter des variantes dans les Etats dont elle est la langue officielle, mais également des variantes nationales au moment de l’application du texte international unilingue. Certains Etats, comme la France, soumettent à l’autorisation du Parlement pour ratification et publient les versions traduites des traités internationaux rédigés dans une langue étrangère, qui ne constituent pas la version authentique de l’acte. Mais parce que la langue véhicule une culture, former des étudiants en français, dans des universités françaises ou francophones, a une incidence sur leur perception du droit international.
Quelles sont les implications juridiques de la présence et de l’absence du français dans les institutions internationales, dans les processus de négociation, de codification, dans le fonctionnement des juridictions internationales ? Doit-on continuer à enseigner le droit international en français si l’on veut former le plus grand nombre d’étudiants ? Existe-t-il une pensée juridique et une culture juridique francophones et, si oui, ne doivent-elles être diffusées qu’en français ? Quelles actions peuvent être menées pour développer cette place du français, à égalité avec l’anglais et les autres langues officielles des Nations Unies ? Car le débat sur la francophonie s’inscrit aujourd’hui dans celui sur le multilinguisme, qui « exprime une réaction contre l’appauvrissement de la pensée et de l’expression entraîné par l’utilisation d’une langue unique » (Smouts, 1981), mais également une « valeur fondamentale de l’ONU » (A/RES/78/330, 2024) et un « élément fondamental de la diversité culturelle » (Convention Unesco, 2005). Pour atteindre cet objectif, dans quelle mesure doit-on penser un droit international linguistique, entendu comme « un ensemble de normes juridiques ayant pour objet le statut et l’utilisation d’une ou plusieurs langues, nommées et innommées, dans un contexte politique donné », voire des droits linguistiques, à savoir des « droits à la fois individuels et collectifs compren[ant] le droit à "une" langue » (J.-G. Turi, 1990) ?
La Société française pour le droit international et la Société québécoise de droit international proposent ainsi de réfléchir, dans un cadre scientifique confrontant des universitaires et des praticiens francophones de plusieurs continents, à l’usage de la langue française dans la réflexion sur et la pratique du droit international.
Programme
16 Octobre 2025
Atelier de recherche
9h00 : Accueil
(Salle Jean-Pierre Machelon)
9h30 : Propos introductifs
Pr. Alain Laquièze, Doyen de la faculté de droit, d'économie et de gestion, Université Paris Cité
10h00 : Ateliers doctoraux
(Accès réservé)
Atelier 1 - Droit international pénal, justice transitionnelle et réparation
(Salle G23)
Présidé par Julian Fernandez, Université Paris Panthéon-Assas et Mulry Mondélice, Collège royal militaire de St-Jean
Atelier 2 - Droit international des droits humains, perspectives critiques
(Salle G27)
Présidé par Olivier Corten, Université Libre de Bruxelles et David Pavot, Université de Sherbrooke
Atelier 3 - Droits humains, régime de protection
(Salle E307bis)
Présidé par Laurence Burgorgue-Larsen, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Kristine Plouffe-Malette, Université de Sherbrooke
Atelier 4 - Droit international général et Droit des institutions internationales
(Salle du Conseil)
Présidé par Nathalie Clarenc-Bicudo, Université Paris Cité et Evelyne Lagrange, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Atelier 5 - Action extérieure de l’Union européenne
(Salle E307)
Présidé par Charlotte Beaucillon, Université Paris-Est Créteil et Saïda El Boudouhi, Université Paris 8 Vincennes St-Denis
Atelier 6 - Droit international économique
(Salle E100)
Présidé par Sarah Cassella, Université Paris Cité et Charles-Emmanuel Côté, Université Laval
12h00 : Déjeuner
Séminaire 1 - Les approches en droit international
(Salle Jean-Pierre Machelon)
La diversité des approches en droit international (positivisme, réalisme, critique, etc...) Quel intérêt/pertinence et comment démystifier les approches ? Peut-on mélanger les approches ? Quel impact sur la recherche (hypothèses, carcan, etc...) ?
13h30 : Présidé par Pre. Véronique Champeil-Desplats, Université Paris-Nanterre
Avec :
Pr. Olivier Corten, Université libre de Bruxelles
Pr. Frédéric Mégret, Université McGill
Valériane Thool, post-doctorante, Université de Sherbrooke et Université d'Ottawa
15h00 : Pause
Séminaire 2 - La méthodologie en droit international
(Salle Jean-Pierre Machelon)
15h30 : Présidé par Anne-Thida Norodom, Université Paris Cité
Avec :
Pr. Philippe Gout, Université Toulouse Capitole
Pre. Geneviève Dufour, Université d'Ottawa
Pr. René Provost, Université McGill
17h00 : Fin de la journée
17 Octobre 2025
Colloque
(Salle des Actes)
9h00 : Allocutions de bienvenue
Pr. Jean Marc Sorel, Président de la Société française pour le droit international
Pr. David Pavot, Président de la Société québécoise de droit international
9h10 : Allocutions d’ouverture
Diego Colas, Directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères
Henri-Paul Rousseau, Délégué du Québec à Paris
Atelier 1 - Enseigner
Quelle est la place du droit international dans les programmes des universités francophones (1er, 2ème et 3ème cycle) ? Que penser des programmes en anglais dans les facultés francophones ? Quelle est la présence des étudiants étrangers dans les diplômes (influence) des universités francophones ? L’enseignement en français est-il un enjeu économique ? Existe-t-il des modes et méthodes propres à l’enseignement francophone du droit international ? Par exemple, quelle est la place de l’enseignement magistral vs. l’enseignement expérientiel ? Quel est le rôle de l’Académie de droit international dans la promotion du français ?
9h40 : Présidé par François Dubuisson, Université Libre de Bruxelles
Avec :
Pr. Jean-Marc Thouvenin, Université Paris-Nanterre, Secrétaire général de l’Académie de droit internationale de La Haye
Pre. Brusil Miranda Metou, Université de Yaoundé-II et Secrétaire générale du ministère du Commerce du Cameroun
Pre. Kristine Plouffe-Malette, Université de Sherbrooke
Pre. Hyun Jung Kim, Université Yonsei
11h10 : Pause
Atelier 2 – Chercher/Publier
Existe-t-il des thématiques propres à la doctrine francophone ? Le fait de chercher et de publier en français soulève-t-il des enjeux spécifiques ? Entraîne-t-il des perceptions spécifiques du droit international ? Implique-t-il une rédaction différente (épicène) ? La publication francophone a-t-elle des caractéristiques particulières ?
11h30 : Présidé par Béatrice Bonafé, Université Paris Panthéon-Assas
Avec :
Pr. Mathias Forteau, Université Paris-Nanterre et membre de la Commission du droit international
Pr. Alioune Sall, Université Cheikh Anta Diop de Dakar et membre de la Commission du droit international
Pre. Geneviève Dufour, Université d’Ottawa
Pr. Shotaro Hamamoto, Université de Kyoto
13h00 : Déjeuner
Atelier 3 - Rédiger/Négocier/Codifier
Quelle est la conséquence de la négociation à partir de textes présentés en anglais (en particulier dans les organisations internationales) ? La prise de parole en français entraine-t-elle une dilution du sens ou de l’influence ? Quel est l’impact de négocier en anglais et ensuite de revenir auprès des chancelleries ? Négocie-t-on encore en français ? Si oui, avec qui ? Quel est l’impact sur la formation des diplomates ? Les services de traduction sont-ils suffisants ?
14h00 : Présidé par Gabrielle Marceau, Professeure Honoraire à l’Université de Genève
Avec :
Louis Savadogo, Cergy Paris Université et membre de la Commission du droit international
Éric Théroux, ancien sous-ministre adjoint au ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec et Chargé de cours à l’École nationale d’administration publique
Pr. Andreas R. Ziegler, Université de Lausanne et Président de la Société suisse de droit international
François Alabrune, Ambassadeur de France à La Haye
15h30 : Pause
Atelier 4 - Plaider/Juger
Quelle est la place du français dans les équipes à la CIJ/TIDM ? Pourquoi plaider en français ? Les juges et arbitres francophones sont-ils sensibles à la francophonie ? Leur langue influence-t-elle leur raisonnement ? Quel est le rôle du français dans les délibérés ? Y a-t-il des enjeux spécifiques relatifs au choix et à l’élection des juges et arbitres francophones ?
15h50 : Présidé par Linos-Alexandre Sicilianos, Université d’Athènes et ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme
Avec :
Pre. Muriel Ubeda-Saillard, Université de Lille
Pr. Haykel Ben Mahfoudh, juge à la Cour pénale internationale
Pr. Marcelo Kohen, Graduate Institute de Genève et juge ad hoc au Tribunal international du droit de la mer
Vanina Sucharitkul, arbitre international et associée du cabinet Rajah & Tann Singapore LLP
Table ronde conclusive
17h30 : Présidé par Daniel Turp, Université de Montréal
Avec :
Pre. Sarah Cassella, Université Paris Cité
Pr. Charles-Emmanuel Côté, Université Laval et Présidence du Conseil canadien de droit international
18h00 : Clôture
Colloque également accessible en visioconférence
Frais d'inscription :
- Membres de la S.F.D.I., S.Q.D.I. et étudiants : gratuit
- Autres : 100 €
Inscription : https://penserledienfr.sciencesconf.org/registration?lang=fr
Colloque organisé par la Faculté de droit, d’économie et de gestion, le Centre Maurice Hauriou, la Société française pour le droit international ainsi que la Société québécoise de droit international