Présentation
Dans un article publié voici une dizaine d'années, intitulé « Le piège du droit constitutionnel », Denis Baranger invitait les constitutionnalistes à prendre en considération la profondeur historique de leur objet d'étude, non sans souligner toutefois les limites d'une telle démarche : « En faisant sortir les raisonnements constitutionnels du territoire couvert par le constitutionnalisme moderne, nous prenons en permanence, et le plus souvent sans nous en rendre compte, le risque d'une projection rétrospective de nos concepts et de leur environnement historique et culturel, autrement dit le risque d'un anachronisme ».
Il conviendrait dès lors de ne pas rechercher du droit constitutionnel chez des Anciens dont la vision du monde et donc la conception du pouvoir et du droit, s'avèreraient en quelque sorte trop étrangères à la nôtre. Mieux vaudrait, face à une telle altérité culturelle, s'interdire de porter un regard de constitutionnaliste sur les périodes antique et médiévale, en prenant acte du caractère méthodologiquement hasardeux de la démarche.
Les frontières ainsi tracées de l'histoire constitutionnelle ne sont à vrai dire guère interrogées en doctrine. A lire de nos jours la plupart des travaux sous cet angle, il semble en effet que la conception moderne du droit constitutionnel s'impose à la manière d'une évidence. Celui-ci désigne, selon les grandes lignes de la définition usitée, un ensemble de règles dont l'objet est d'organiser et surtout de limiter le pouvoir de l'Etat, entendu comme une forme spécifique et historiquement marquée de pouvoir politique, en vue de réaliser la finalité morale propre au constitutionnalisme libéral initié par le Second traité de John Locke, à savoir la protection des droits et libertés individuels.
Certains auteurs, bien sûr, se refusent à réduire le droit constitutionnel au droit de l'Etat libéral. Ainsi les « globalistes » abandonnent-ils volontiers la composante étatique, voire la composante politique elle-même, pour se hisser à la hauteur d'une certaine actualité mondiale, quand les comparatistes sont pour leur part susceptibles de se défaire de la composante libérale, dès lors qu'ils souhaitent se pencher sur les multiples régimes contemporains situés hors du giron démocratique. Mais aucun risque, dans les deux cas, de tomber dans le piège décelé par Denis Baranger : regarder après ou à côté du droit de l'Etat libéral ne signifie pas, en effet, regarder avant.
Telle est pourtant la perspective du présent colloque, qui se propose de tester l'hypothèse selon laquelle l'étude d'un droit constitutionnel spécifiquement « ancien » s'avère non seulement sensée, mais également stimulante et féconde pour les constitutionnalistes.
A ce titre, il ne semble pas absurde de reléguer au second plan l'enjeu épistémologique, de façon à faire primer l'objet analysé sur la grille d'analyse. Certes, eu égard à son caractère particulièrement piégeux, le champ de recherche envisagé est de toute évidence parsemé d'embûches méthodologiques, et l'on se réjouira à cet égard de la participation d'historiens du droit. Mais si l'objectif est d'affiner notre compréhension des manières gréco-romaine et moyenâgeuse de faire et de penser en matière d'organisation et de légitimation du pouvoir politique, alors mieux vaut s'atteler à observer la chose et ne pas s'arrêter à la question de savoir si une telle observation est conceptuellement réalisable ou crédible.
En d'autres termes, pour rebondir sur l'intitulé d'un colloque organisé naguère à la Faculté de droit Cergy-Pontoise, et qui s'appuyait lui-même sur le titre d'un célèbre ouvrage de Paul Veyne, le propos général du présent colloque ne consiste pas à se demander « Comment écrit-on l'histoire constitutionnelle ? ». Il consiste bien plutôt à contribuer à l'écriture d'une histoire constitutionnelle antique (I) et médiévale (II).
Programme
9h00 | Accueil des participants
9h30 | Mot d'accueil
Carlos-Miguel Herrera, directeur du Centre de Philosophie Juridique et Politique
9h35 | Allocution d'ouverture
Pierre-Marie Raynal, Maître de conférences à l'Université Cergy Paris
Introduction
9h45 | N'aurions-nous jamais été Anciens ? Le droit constitutionnel : histoire, historicité, anachronisme.
Frédéric F. Martin, Professeur à l'Université Paris-Est Créteil
I – Un droit constitutionnel antique
Sous la présidence de Carlos-Miguel Herrera, Professeur à l'Université Cergy Paris
10h10 | Antigone anarchiste ?
Jérôme Couillerot, Professeur à l'Université Jean Moulin Lyon 3
10h30 | Discussion / Pause
11h20 | Le droit constitutionnel des cyniques
Pierre-Marie Raynal, Maître de conférences à l'Université Cergy Paris
11h40 | Montesquieu et le gouvernement impérial romain
Tristan Pouthier, Professeur à l'Université Cergy Paris
12h00 | Discussion / Pause déjeuner
II – Un droit constitutionnel médiéval
Sous la présidence de Renaud Baumert, Professeur à l'Université Cergy Paris
14h00 | Constitutionnalisme et privilèges dans l'Ancien Droit
Thibault Desmoulins, Maître de conférences à l'Université Clermont Auvergne
14h20 | Le rôle des légistes dans le passage de l'usage à la coutume « constitutionnelle » au XIIIe siècle
Valérie Menes-Redorat, Maître de conférences à l'Université Cergy Paris
14h40 | Discussion / Pause
15h30 | La fonction gouvernementale avant le pouvoir exécutif : les linéaments constitutionnels de la police à l'époque médiévale
Maxence Chambon, Professeur à l'Université d'Artois
15h50 | A Brief Enquiry into the Ancient Constitution and Government of England (1695) : le constitutionnalisme sans sa constitution ?
Céline Roynier, Professeur à l'Université Cergy Paris
16h10 | Discussion / pause
Conclusion
17h00 | Propos conclusif
Denis Baranger, Professeur à l'Université Paris II Panthéon-Assas
Colloque organisé par Pierre-Marie Raynal, avec le soutien du Centre de Philosophie Juridique et Politique.