Présentation
Depuis plusieurs années, la France s'est dotée d'un pôle spécialisé dans la lutte contre les crimes internationaux. Des personnes ayant participé au génocide de 1994 commis au Rwanda ont d'ores et déjà été jugées et des enquêtes sur d'autres crimes internationaux sont en cours. Pourtant, la France n'a jamais jugé ses propres ressortissants pour les crimes commis en Algérie, alors que les historiens ont été nombreux à aborder ce sujet et que tortures, meurtres, disparitions forcées et viols sont avérés.
Les juristes – en particulier pénalistes – se sont abstenus de creuser le sujet, entretenant ainsi, à de rares exceptions près, l'amnésie engendrée par l'amnistie. Pour leur part, législateur et Cour de cassation se refusent obstinément à s'engager dans la voie de la répression des crimes coloniaux commis en Algérie, alors qu'une hostilité grandissante se manifeste sur la scène internationale à l'égard des lois d'amnistie et de prescription, notamment par l'effet de la jurisprudence des Cours européenne et interaméricaine des droits de l'Homme.
Le présent colloque a pour objet d'explorer cet évitement du droit pénal. Il faudra ainsi rappeler les mécanismes du refoulement du droit pénal, mais également tenter d'identifier les conséquences de ce silence sur la construction de la mémoire collective, en traquant le « retour du refoulé ». Ce qui n'est pas puni, et donc dit par le droit pénal, disparaît-il des consciences ou, au contraire, pèse-t-il sur elles en sourdine ? En outre, à l'heure de l'engagement d'un travail de vérité sur la guerre d'Algérie, le silence du droit pénal est-il toujours acceptable ?
La question doit donc, aujourd'hui plus que jamais, être posée : les crimes de la guerre d'Algérie peuvent-ils, doivent-ils, rester impunis ? La réponse ne va pas de soi, car il est déjà tard et le droit pénal n'est pas nécessairement la voie opportune pour répondre, ni au besoin de justice, ni au besoin de vérité ; et d'autres voies lui pourraient être préférables. Mais il n'en reste pas moins que cette page de l'histoire doit être lue, car comme le souligne Desmond Tutu, pour qu'une page soit tournée, encore faut-il qu'elle soit lue. Anthropologues, politistes, historiens et juristes se réuniront les 9 et 10 juin 2022 pour tenter d'explorer ensemble le cheminement escarpé de cette mémoire.
Programme
Jeudi 9 Juin
14h00 : Introduction
Djoheur Zerouki-Cottin, Maîtresse de conférences HDR en droit pénal, Université de Saint-Etienne
14h15 : Propos liminaires
Wassyla Tamzali, Ecrivaine, Avocate, Ancienne directrice des droits des femmes à l'UNESCO
Volet 1 - L'oubli
Présidence : Pierrette Poncela, Professeure émérite en droit pénal, Université Paris Nanterre
14h45 : Violences en temps de guerre, violences en temps de paix : quelques pistes de réflexion issues de l'anthropologie
Véronique Nahoum-Grappe, Chercheure en sciences sociales, Institut Interdisciplinaire d'Anthropologie du Contemporain, IIAC-EHESS
15h05 : Moudjahidines et enfants de chouhadas : reconnaissance ou justice
Laetitia Bucaille, Professeure de sociologie politique, INALCO
15h25 : Les silences du droit pénal : une mécanique du chaos ?
Djoheur Zerouki, Maîtresse de conférences HDR en droit pénal, Université de Saint-Etienne
15h45 : Le jeu des qualifications juridiques au service de l'évitement du droit pénal
Isabelle Fouchard, Chargée de recherche HDR en droit pénal international au CNRS, ISJPS (UMR 8103)
16h10 : Discussion
16h30 : Fin de la 1ère journée
Vendredi 10 Juin
Volet II - La possibilité du droit pénal
Présidence : Xavier Pin, Professeur de droit pénal, Université Lyon 3
10h00 : L'historiographie et les problématiques relatives au droit et à la justice pendant la guerre
Sylvie Thenault, Historienne, Directrice de recherche, CNRS
10h20 : Lois d'amnistie et Cour interaméricaine des droits de l'homme
Kathia Martin-Chenut, Directrice de recherche en droit international et droit comparé, CNRS Université Paris 1
10h40 : Lois d'amnistie et Cour européenne des droits de l'homme
Amane Gogorza, Professeure de droit pénal, Université de Poitiers
10h50 : Le passé colonial belge : entre déni et justice
Christine Guillain, Professeure de droit pénal, Université Saint-Louis - Bruxelles
11h10 : Discussion
12h00 : Déjeuner
Volet III - L'opportunité du droit pénal
Présidence : Jérôme Ferrand, Maître de conférences en histoire du droit, Université Grenoble-Alpes
14h00 : Le préjudice historique
Kelly Picard, Maîtresse de conférences en droit public, Université de Saint-Etienne
14h20 : Des Algériens toujours hors la loi. L'impossible justice des crimes coloniaux ?
Noureddine Amara, Historien, Fellow at the Kamel Center, Yale Law School
14h40 : Les alibis du pénal
Damien Scalia, Professeur de droit pénal, Université libre de Bruxelles
15h00 : Discussion
15h30 : Propos conclusifs
Michel Massé, Professeur émérite de droit pénal, Université de Poitiers
Contact : Emilie POINAS, Université Jean Monnet Saint-Etienne Tel. : 04 77 42 19 38 - emilie.poinas@univ-st-etienne.fr
Entrée gratuite sur inscription préalable par mail au plus tard le 1er juin 2022 : cercrid@univ-st-etienne.fr
Journée éligible à la formation continue des avocats (pour une durée de 7h)
Co-organisé par le CERCRID et l'équipe de recherche Louis Josserand, Université Lyon 3 sous la direction scientifique de Xavier Pin, Professeur, Centre de droit pénal, Université Lyon 3 ; Damien Scalia, Professeur, CRDP, Université Libre de Bruxelles et Djoheur Zerouki, Maîtresse de conférences HDR, CERCRID, Université de Saint-Etienne