Argument
Qu'il y ait une « constitution au-delà de l'Etat », voilà qui semble défier la compréhension des grandes théories classiques du droit constitutionnel et de l'Etat. Les discours que l'on regroupe sous le vocable de « constitutionnalisme global », qui cherchent à prendre en compte cette nouvelle réalité, sont nés pour leur part dans le contexte de la construction européenne et ont aujourd'hui gagné une attention considérable. Ce colloque se propose de les examiner sous un regard critique et de contribuer à leur meilleure connaissance.
Les partisans du constitutionnalisme global s'accordent d'abord pour observer divers « processus constitutionnels » à l'oeuvre sur la scène internationale : qu'il s'agisse de relever, au niveau institutionnel, un mouvement de formalisation (Charte des Nations Unies, Convention de Vienne, etc.) ou, au niveau substantiel, l'existence de mécanismes équivalents de garantie des droits. Seraient ainsi dévoilés divers « régimes constitutionnels » tels que l'Union européenne, la Cour européenne des droits de l'homme, l'Organisation internationale du travail etc. Par ailleurs, et plus généralement, les auteurs insistent sur le phénomène de globalisation du droit qui touche des domaines d'action parfois essentiels (sécurité, environnement, économie, etc.) et tend à dessaisir les Etats de leurs prérogatives. Cette « fragmentation de la gouvernance » laisse place à de nouveaux acteurs qui concurrencent les prétentions des Etats. Telle serait la cause du déficit démocratique qui affecte les constitutions nationales. En un mot, l'équation entre l'Etat et la constitution devrait être battue en brèche pour penser au-delà de l'Etat les vertus du constitutionnalisme.
De bases communes, les discours du constitutionnalisme global n'en sont pas moins très fortement hétérogènes. Plusieurs versions se distinguent. Certaines, de veine sociologique ou « néo-kantienne », sont dites « monistes » : elles insistent ainsi sur l'inhérence du concept de Constitution au Droit, ou encore sur l'unité des valeurs au fondement du droit. A contre-courant, les variantes dites « pluralistes » ou « multi-niveaux » reprochent l'idéalisme de la première et suggèrent un discours « modéré » qui aurait pour mérite de refléter davantage la diversité des rapports existants sur la scène internationale.
Les objections suscitées par le constitutionnalisme global sont à la mesure de son succès. Une des fragilités épistémologiques de ces entreprises tient à la confusion entre les aspects descriptif et normatif de ces discours. Car l'emploi du langage du constitutionnalisme n'est pas dénué de portée normative : il permettrait de renforcer la légitimité de l'ordre international (effet « booster ») et contiendrait un « potentiel de responsabilité » susceptible d'assoir ses fondements politiques. Or, du point de vue de ses réfractaires, cette importation ne fonctionne pas – la constitution est partout et donc nulle part. Cet emprunt, utilisé artificiellement pour ses connotations positives porteuses de légitimité politique, conduirait à dépolitiser le concept de constitution, et donc à le dévitaliser. En outre, pour le courant réaliste du droit international, les relations internationales demeureraient encore largement tributaires des rapports interétatiques. Réminiscence d'un moment historique d'optimisme utopique à l'égard de la construction d'une société mondiale, le constitutionnalisme global serait dénué de portée conceptuelle.
En associant l'histoire des idées, la théorie du droit mais aussi les diverses disciplines juridiques du droit constitutionnel, du droit international et européen, ce colloque a vocation à confronter les grands courants de pensée afin de nourrir la réflexion autour des présupposés et enjeux théoriques de ce « programme académique » qu'est le constitutionnalisme global.
Organisateurs : Manon Altwegg-Boussac (Université du Littoral Côte d'Opale) & Denis Baranger (Université Panthéon-Assas, Paris II)
Programme
Lundi 29 mai
Matinée, Salle des Conseils (2e étage, aile Soufflot)
10h00 : Présentation du colloque
Manon Altwegg-Boussac, Professeur à l'Université du Littoral
Denis Baranger, Professeur à l'Université Panthéon-Assas
Allocution d'ouverture
World constitutionalism. Is there a Global Constitution ?
Sabino Cassese, Professeur à l'Ecole normale supérieure de Pise
12h30 : Pause déjeuner
Après-midi, Salle des Conseils (2e étage, aile Soufflot)
Histoire et philosophie du constitutionnalisme global
Présidence : Olivier Beaud, Professeur à l'Université Panthéon-Assas
14h00 : Le constitutionnalisme mondial à l'époque du tournant sociologique : du mouvement des internationalistes à Georges Scelle
Benoît Frydman, Professeur à la Faculté de droit de l'Université Libre de Bruxelles
Hans Kelsen et le constitutionnalisme global
Thomas Hochmann, Professeur à l'Université de Reims Champagne-Ardenne
Unité et légitimité de l'ordre juridique mondial : la constitutionnalité du droit international dans la pensée de Jürgen Habermas et de Hersch Lauterpacht
Pierre Auriel, Doctorant à l'Université Paris II Panthéon-Assas
Gabriel Bibeau Picard, Doctorant à l'Université Paris II Panthéon-Assas
17h30 : Fin de la première journée
Mardi 30 mai
Matinée, Salle des Conseils (2e étage, aile Soufflot)
Le constitutionnalisme global, un "programme académique ?"
Présidence : Evelyne Lagrange, Professeur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le constitutionnalisme global : consolidation ou crise ?
Anne Peters, Professeur à l'Institut Max Planck
Le constitutionnalisme sociétal : neuf variations sur un thème de David Sciulli
Gunther Teubner, Professeur à l'Université de Francfort
Une théorie non constitutionnaliste de la Constitution internationale
Olivier de Frouville, Professeur à l'Université Paris II Panthéon-Assas
12h30 : Pause déjeuner
Après-midi, Salle 4 (1er étage, aile Soufflot)
Approche critique du constitutionnalisme global
Présidence : Anne Peters, Professeur à l'Institut Max Planck
Le constitutionnalisme global, un discours doctrinal homogénéisant. L'apport du comparatisme critique
Marie-Claire Ponthoreau, Professeur à l'Université de Bordeaux
Deep Cracks into the Global Constitution : Brexit, Constituent Power, and European Law
Denis Baranger, Professeur à l'Université Paris II Panthéon-Assas
Droit global et raisonnement juridique : l'empire de la proportionnalité ?
Pierre Brunet, Professeur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
17h30 : Conclusion :
Mikhaïl Xifaras, Professeur à Sciences Po Paris
Organisé pour l'Institut Michel Villey et la revue Jus Politicum par Manon Altwegg-Boussac, Professeur à l'Université du Littoral et Denis Baranger, Professeur à l'Université Panthéon-Assas