Présentation
En droit, le « je » est partout et nulle part à la fois. En un sens, le « je » se trouve au centre du droit, célébré au premier chef par le concept de « sujet ». Pourtant le pronom de la première personne - ce fameux « je » -, est quasiment absent des travaux des juristes savants, et plus largement des discours juridiques. Tout se passe comme si le « je » était acquis, ou bien faisait problème. On pourrait alors croire que le « je » et le « droit » sont incompatibles. Or si le « je » est à première vue banni du droit, il y a tout lieu de penser qu'on le retrouve à la base de sa formation. C'est dire que la venue à l'existence du droit est inséparable de l'homme. Aussi la disparation du « je » en droit en interroge la conception. Raison pour laquelle on se propose d'inviter à y réfléchir celles et ceux animés par la connaissance du droit.
Absence du « je » en droit.
Privé du « je », le discours juridique conduit à penser le droit comme donné, ou objet extérieur à l'homme. Au reste c'est donner à penser l'autonomie du droit. Or l'étonnement face à l'absence du mot « je » en droit invite à révoquer en doute l'autonomie du droit, et à mettre plus largement en question la représentation dominante du droit. Si la quête de scientificité du droit est inséparable d'une quête de crédibilité, cette dernière semble impliquer la mise à l'écart du « je », c'est-à-dire de son moi. L'absence du « je » en droit pose également la question du rôle du droit. Pourquoi dépersonnaliser les normes ? Pourquoi occulter les particularismes ? Pourquoi ainsi prétendre à la transcendance ? De ce point de vue, la mise à l'écart du « je » convoque notamment la réflexion sur l'autorité du droit (ou du texte juridique), ainsi que sur les rapports entre le droit et l'Etat. La prétention à l'universel se lit à cet égard tout particulièrement dans les énoncés du législateur. Aussi l'impression d'unanimité par l'effacement du « je » est perceptible dans la communication de décisions de justice. C'est ainsi que les décisions du Conseil Constitutionnel, rendues parfois à la majorité, et non à l'unanimité, laissent à penser l'inverse. L'absence de publication des opinions dissidentes participe de cette impression d'unanimité. Il s'agit de préserver la légitimité du Conseil Constitutionnel, et plus largement de protéger la démocratie. On pourra dès lors réfléchir à l'effacement du « je » dans les décisions de justice, lesquelles donnent l'impression d'unanimité.
Présence du « je » en droit.
Si le « je » est visiblement absent du droit, on a autrement l'intuition de son omniprésence. Les concepts de « personne », de « sujet », et plus largement les institutions, paraissent particulièrement propres à l'illustrer. On pressent bien que le « je » est au cœur de ces concepts, et qu'ils sont même de « nouveaux je ». On pourra notamment s'appuyer sur le phénomène de « l'institution corporative », suivant l'analyse de Maurice Hauriou, pour mieux le comprendre. Parce qu'elle aide à penser la personnification des organisations (donc l'aboutissement à un « je » collectif). Dans sa pensée, l'institution corporative est un groupe social durable, et par conséquent institué, puisqu'il forme un tout par les mouvements que nécessite la réalisation de l'idée d'œuvre, successivement, l'incorporation (l'institution forme « objectivement » un corps), puis, la personnification (l'institution forme une « unité corporative » subjective). Aussi l'institution est une existence collective, devenue sujet par la personnalité morale, puis acquérant la personnalité juridique. C'est encore l'intériorisation de l'idée d'œuvre qui fait durer l'institution, donc en fait une « chose instituée ». Cette intériorisation se produit par deux phénomènes successifs, le phénomène objectif de l'incorporation, puis, le phénomène subjectif de la personnification. Schématiquement, le « Nous » est aussi « Je ». Tout cela pour dire que le « je » pourrait bien être omniprésent en droit, si l'on y considère le rôle majeur des institutions corporatives.
Programme
Jeudi 16 Juin
9h30 : Accueil
10h00 : Introduction
10h30 : Conférence inaugurale
par Olivier Echappé, Conseiller à la Cour de cassation
La Construction du Je
Présidence : Guillaume Bergerot
11h10 : Le « je » anonyme en droit public et privé de l'entreprise
Paul Lignières, Vice-Recteur à l'Institut catholique de Paris
11h30 : Un président devrait-il dire « je » ? Le « je » présidentiel à l'aune de la théorie des deux corps du roi
Arthur Braun, Maître de conférences en droit public à l'Université catholique de Lyon
11h50 : Approche pénale de la personnalité juridique de la nature
Méryl Recotillet, Maître de conférences en droit privé à l'Université catholique de Lyon
12h10 : Discussion
13h00 : Déjeuner
Le Je dans les mécanismes juridiques
Présidence : Henri Conte
Table ronde - L'affirmation du Je dans les mécanismes juridiques
14h30 : Le jeu de piste de la responsabilité extracontractuelle
Marc Dupré, Maître de conférences en droit privé à l'Université catholique de l'Ouest
14h50 : Le « je » en droit du cautionnement
Aude Bernard-Roujou de Boubée, Maître de conférences en droit privé à l'Institut catholique de Toulouse
15h10 : Le « je » en lieu et place du nous - approche du droit d'action en droit processuel public
Marie-Caroline Arreto, Maître de conférences en droit privé à l'Institut catholique de Paris
15h30 : Discussion
16h00 : Pause
Table ronde - Le retrait du Je dans les mécanismes juridiques
16h30 : Je, tu, il : le recul de la volonté individuelle dans le contrat
Solène Ringler, Maître de conférences en droit privé à l'Université d'Angers
16h50 : Le « Je » en droit civil des biens, vers la fin du monopole ?
Victor Poux, Maître de conférences en droit privé à l'Institut catholique de Paris
17h10 : Discussion
18h00 : Clôture de la journée
Vendredi 17 Juin
9h00 : Accueil
Identité et Je
Présidence : Clément Cousin
Table ronde - Identité et présence du Je
9h30 : Le « je » numérique
Diane Galbois-Lehalle, Maître de conférences en droit privé à l'Institut catholique de Paris
9h50 : Le choix du prénom et du nom de famille
Guillaume Tredez, Docteur en droit
10h10 : Discussion
10h40 : Pause
Table ronde - Identité et absence du Je
11h10 : La voix du client dans les procédures judiciaires : quand l'écrit et la dématérialisation font du justiciable un étranger à sa propre cause
Blandine Richard, Maître de conférences en droit public à l'Institut catholique de Toulouse
11h30 : Les « je » interdits dans l'enseignement et la recherche juridique
Alicia Mâzouz, Maîtresse de conférences en droit privé à l'Université catholique de Lille
11h50 : Discussion
12h20 : Déjeuner
Le Je et le juge
Présidence : Hélène Terrom
Table ronde - Le Je et le juge judiciaire
14h00 : Regards réalistes sur l'office (en mutation) du juge judiciaire
Jean-Benoist Belda, Maître de conférences en droit privé à l'Université catholique de l'Ouest
14h20 : La place du « je » dans les décisions de la Cour de cassation 2030
Solenne Hortala, Maître de conférences à l'Université Toulouse 1 Capitole
14h40 : Discussion
15h10 : Pause
Table ronde - Le Je dans la jurisprudence administrative et européenne
15h40 : « A mon grand regret, je ne peux souscrire… » : la première personne dans les opinions séparées de la Cour EDH
Alexandre Palanco, Maître de conférences en droit public à l'Université catholique de Lyon
16h00 : Soi-même face aux autres : la crainte personnelle dans le contentieux de l'asile
Enguerrand Serrurier, Maître de conférences en droit public à l'Institut catholique de Toulouse
16h20 : Discussion
16h50 : Clôture du colloque et cocktail
Contact et information : claire.leborgne@uco.fr
Tarifs : Formation continue - 2 jours : 150,00 €
Formation continue - 1 jour : 100,00 €
Inscription : https://recherche.uco.fr/actualites/le-je-et-le-droit
Colloque des facultés de Droit des Universités catholiques organisé par le Centre de Recherche en Ethique et Droit de l'Ouest sous la direction scientifique de Hélène Terrom, Henri Conte, Hélène Orizet, Claire Leborgne - UCO