Présentation
Le rapport entre propriété et souveraineté est un thème riche et bien connu, ne serait-ce que par la garantie du droit naturel à la propriété, qui est l'un des fondements de la souveraineté pour les philosophes des Lumières.
A l'époque contemporaine et sous un angle plus technique, le rapport entre propriété et souveraineté a été mis en lumière dès 1927 par un célèbre article de Morris R. Cohen, « Property and Sovereignty » qui montrait déjà comment la propriété ne relève pas exclusivement des rapports privés ni la souveraineté de la sphère publique, bien que la propriété relève classiquement du dominium sur les choses qui devrait être strictement distingué de l'imperium exercé par l'Etat sur le territoire.
Aussi stimulant qu'il soit, l'article de Morris R. Cohen est très délimité dans son objet : il traite, dans le seul cadre intellectuel de l'Angleterre du début du XXe siècle, des atteintes à la propriété qui seraient justifiées par des considérations qui lui sont étrangères, dans le contexte du développement international du communisme. Il nous apprend que les notions de propriété et de souveraineté ne se construisent pas dans un rapport d'opposition, mais également de complémentarité.
La considération selon laquelle le droit de propriété devrait être aménagé pour assurer des considérations d'ordre public a prospéré jusqu'à devenir un sujet classique, en droit public comme en droit privé, en France et dans le monde. Mais c'est évidemment un regard contemporain que nous voudrions porter, en prolongeant les visions classiques de la common law, du domaine public, de l'histoire du droit et du droit international public, par les évolutions juridiques qu'entraînent les nouveaux outils technologiques fondateurs de nouveaux rapports économiques dans un contexte de mondialisation.
Le rapport d'opposition et de complémentarité entre la propriété et la souveraineté est en effet une porte d'entrée vers quelques-uns des thèmes les plus actuels et les plus stimulants du droit comparé.
Les enjeux de propriété sur les actifs immatériels et matériels sont tout d'abord au cœur des plus intenses luttes d'influence entre grandes puissances. Qu'il s'agisse de la propriété des producteurs de
matériels informatiques (5G, semi-conducteurs), des conditions d'accès aux terres rares et aux minerais (concessions minières) ou d'entreprises technologiques. Les enjeux stratégiques effacent les principes, qui n'ont d'ailleurs jamais été très fermement établis ni universellement acceptés, de la distinction entre propriété et souveraineté. Les enjeux de souveraineté sont aujourd'hui pour une large part des enjeux de propriété.
Le rapport entre propriété et souveraineté est ensuite renouvelé par l'émergence d'enjeux de société, notamment environnementaux, visant à limiter l'exercice du droit de propriété. Bien plus, les enjeux majeurs du réchauffement climatique et de la pollution des eaux et des sols impliquent que l'encadrement qui est fait de la propriété remette en cause les limites territoriales de l'exercice de la puissance souveraine. Il est indéniable en effet que le régime de propriété est déterminé par le souverain. Or la théorie des communs semble remettre en cause aussi bien l'exercice inconditionné du droit de propriété que la liberté des Etats de déterminer le régime de la propriété.
En troisième lieu, la dématérialisation et la déterritorialisation de l'économie entrainent une remise en cause de la puissance souveraine de l'Etat à deux égards. D'une part la création des cryptomonnaies met au défi la souveraineté des Etats, initialement attentistes devant la montée en puissance d'un système monétaire concurrent, mais dont la réaction semble désormais inévitable pour lutter contre les risques spéculatifs. L'émergence des cryptomonnaies, un temps rêvée par les libertariens comme une libération du joug de l'Etat n'est qu'un des avatars de ce que permet la blockchain. D'autre part la blockchain remet en cause le rôle de l'Etat dans la garantie de la propriété. Les smart contracts, les enjeux de conservation des documents, la certification mutualisée, la propriété d'objets virtuels (NFT) sont autant de processus décentralisés qui tendent à concurrencer les notaires, les commissaires de justice et une grande partie du système administratif et judiciaire. La caractérisation du réel, condition traditionnelle des missions régaliennes de l'Etat, s'en trouve aussi affectée.
Programme
Mardi 7 Juin
10h00 : Propos introductifs
Gilles J. Guglielmi et Philippe Cossalter
Histoire d'un rapport ambigu
10h30 : La construction de la notion contemporaine de domaine public sur la notion de propriété
Grégoire Bigot
L'actualité de la distinction entre propriété et souveraineté en droit anglais
Deborah Thébault
La protection des espaces naturels peut-elle s'accommoder de la souveraineté ?
Aurore Chaigneau
Le monopole foncier de l'Etat en Afrique de l'Ouest
Diane Ngowire Katsuva
12h30 : Echanges avec la salle
Pause déjeuner
La propriété comme attribut de la souveraineté
14h30 : Territoire, souveraineté et propriété : le regard actuel du droit international public
Thibaut Fleury Graff
La protection du droit de propriété dans les contrats d'Etat
Felix Schubert
La régulation du foncier agricole au nom de la souveraineté alimentaire
Julie Rivera Pena
Le contrôle des investissements stratégiques opérés par les fonds souverains
Raphaël Maurel
16h30 : Echanges avec la salle
17h00 : Fin des travaux
Mercredi 8 Juin
L'Etat et la monnaie
10h00 : Le rapport historique de l'Etat à la monnaie
Bruno Deffains
La dématérialisation de la monnaie
Jean-François Boudet
Souveraineté et propriété des cybermonnaies
Benjamin Moron-Puech
La dette souveraine
Francesco Martucci
12h00 : Echanges avec la salle
Pause déjeuner
La souveraineté territoriale face à la propriété dématérialisée
14h00 : Le cloud souverain
Hicham Rassafi-Guibal
La blockchain et la concurrence faite aux fonctions de souveraineté de l'Etat
Philippe Cossalter
Le droit international privé à l'épreuve de la dématérialisation des relations juridiques
Elie Lenglart
15h30 : Echanges avec la salle
16h00 : Fin des travaux
Inscriptions : cdpc@u-paris2.fr
Organisé par le CDPC, Paris Panthéon-Assas sous la direction scientifique de Gilles J. Guglielmi, Professeur à l'Université Panthéon-Assas et Philippe Cossalter, Chaire de droit public français de l'Université de la Sarre