Présentation
Le Pouvoir entretient une relation particulière avec le monde des spectacles. Souvent, les princes se sont mis en scène au travers de protocoles minutieux réglant et rythmant leur existence quotidienne et la vie officielle de leurs cours. Parfois, ils ont eux-mêmes été les acteurs de spectacles dans lesquels ils ont joué des rôles taillés sur mesure. Louis XIV, passionné de danse, a exprimé cet art spectaculaire de la scénographie royale, qu'il a cultivé tout au long de son règne et jusqu'à sa mort, dernier acte d'une vie de représentation dont il a orchestré les moindres détails. Louis XV, plus discret et plus réservé, n'apprécie guère cette vie de représentation mais il aime la comédie, les ballets et l'opéra. A Versailles, on lui doit la construction en 1770 de l'opéra royal pour servir de cadre au spectacle du mariage de l'héritier du Trône avec Marie-Antoinette d'Autriche. La jeune dauphine, devenue reine, fréquente assidûment l'opéra de Paris avant de donner aux spectacles royaux une autre dimension, plus intime et plus privée, à l'image d'une royauté fatiguée par une étiquette pesante, trop rigide et inadaptée au siècle des Lumières. A l'abri de son petit théâtre de Trianon, la reine se fait comédienne et joue pour et avec quelques courtisans triés sur le volet. Louis XVI, pourtant, a voulu respecter la pompe royale en donnant le dernier grand spectacle de la monarchie à l'occasion des Etats-Généraux, réunis avec un faste éblouissant dans le cadre suranné de la salle des Menus-Plaisirs, aménagée pour la circonstance. Quel curieux hasard que de voir la royauté jeter ses derniers feux à l'endroit même où elle rangeait les précieux décors de ses spectacles de cour !
Mais les spectacles ne se jouent pas seulement dans les résidences royales. Dès le XVIe siècle, les princes comprennent l'utilité politique des spectacles et des pièces de théâtre, qui peuvent servir à montrer leur puissance et à assurer leur propagande. Ils en mesurent l'utilité pédagogique, pour l'éducation des jeunes gens et la transmission de certaines valeurs morales ou civiques. Ils saisissent l'utilité sociale de ces divertissements, très appréciés et recherchés au sein des couches les plus aisées de la population. Les troupes de comédiens se multiplient alors. D'abord itinérantes, elles ont tendance à se fixer au XVII e siècle dans les grandes villes, où elles trouvent la protection du souverain, de son représentant ou d'un puissant personnage qui les favorise, les subventionne et les entretient. Dès lors, les pouvoirs publics incitent à la construction de salles permanentes destinées à les accueillir, à recevoir un public plus nombreux et à satisfaire une demande toujours plus forte. C'est aussi un moyen de contrôler des saltimbanques dont la liberté de ton, parfois, fait trembler le pouvoir. A Paris, l'institution de la Comédie-Française par Louis XIV témoigne de cette volonté d'encadrer le monde des comédiens. L'impulsion est alors donnée et, au XVIIIe siècle, les théâtres publics fleurissent partout, encouragés par le gouvernement royal et les autorités municipales. Les grandes cités du royaume voudront leur salle de spectacle, considérée comme un signe visible de leur puissance politique, de leur vitalité économique et de leur attrait culturel. Les théâtres sont insérés dans des programmes architecturaux ambitieux, destinés à embellir les villes, à les faire entrer dans la modernité et à montrer leur fidélité au régime. Ce processus culturel s'adapte-t-il aux régimes qui se succèdent à partir de la Révolution ? L'Empire, voire la République, craignent-ils ou encouragent-ils les spectacles ?
La construction de ces salles, leur mode de financement, leurs règles de fonctionnement, leur économie, leur utilisation au plan politique concernent aussi bien le royaume de France que la plupart des Etats d'Europe et soulèvent une multitude de questions :
- La construction des salles de spectacles déroge-t-elle aux règles communément observées dans le domaine des travaux publics ? Le pouvoir a-t-il suscité et encouragé une politique de construction à l'échelle du pays ? Les théâtres ont-ils été insérés dans des programmes d'embellissement officiels au même titre que les places ? Le gouvernement a-t-il incité les grandes villes de l'Etat à édifier des salles publiques ? Quel a été le rôle des gouverneurs, des intendants, puis de préfets dans ce domaine ? Comment cette politique, si elle existe, a-t-elle été financée ?
Comment fonctionnent les salles de spectacle ? Sont-elles dotées de règlements de police particuliers ? Quelle est la technique juridique utilisée pour leur exploitation ? Qui les dirige ? Comment sont-elles financées ? Sont-elles subventionnées par le pouvoir central ou par les autorités municipales ? Ce dernier intervient-il dans leur administration intérieure ? Quel est le statut des employés et des comédiens ? L'Etat intervient-il dans le fonctionnement des salles privées ? Cherche-t-il à les contrôler ? Comment les surveille-t-il ?
La nature du régime politique influence-t-elle le contenu des divertissements ? Les salles participent-elles de la propagande ? Comment s'y exerce la censure royale ? Le gouvernement intervient-il dans le choix des spectacles ? Quelles sont les représentations données dans les résidences du pouvoir ? Existe-t-il une programmation privée pour les souverains, distincte de la programmation officielle ? Les spectacles donnés pour le roi, l'empereur ou le président sont-ils diffusés en province ? Par quel canal ? Quel est le pouvoir d'intervention des autorités de police dans ce domaine ? Qui fréquente les salles ? Sont-elles seulement réservées aux élites ?
Quel a été le rôle des salles de spectacles dans le processus révolutionnaire ? Quelle a été la programmation dans les dernières années de l'Ancien Régime et des régimes successifs au XIXe siècle ? Les idées des Lumières y transparaissent-elles ? Quelle a été l'influence des pièces écrites à l'étranger ? Quelle a été l'attitude du pouvoir à l'égard des salles de spectacles ? La proclamation de la liberté d'expression a-t-elle modifié les programmations ? La montée des oppositions au pouvoir de l'Etat y est-elle perceptible ?
Les organisateurs du colloque souhaitent que ces différentes questions soient abordées non seulement sous un angle comparatiste, les exemples offerts par les Etats européens étant les bienvenus, mais aussi sous un angle interdisciplinaire, afin de confronter la vision des juristes, des historiens du droit, des historiens de l'art, des historiens des lettres, des politistes, des sociologues, etc.
Cédric Glineur
Programme
Mercredi 14 juin
Prologue
10h00 : Accueil
Monsieur le Président de l'Université de Picardie (sous réserve)
Mots d'ouverture
Directeurs du CEPRISCA, du CURAPP et du CTAD
Acte I - La construction des salles
Matinée
Présidence de Philippe Sénéchal, Professeur d'histoire de l'art à Université de Picardie
10h30 : Les échafauds de mystères, constructions théâtrales monumentales et éphémères (France, 1480-1550)
Marie Bouhaïk-Gironès, CNRS-Université de la Sorbonne
10h50 : Un intendant urbaniste sous les feux de la rampe : Bruno d'Agay et la construction de la salle de spectacles d'Amiens au XVIII e siècle
Anne-Sophie Condette-Marcant, Université de Paris II - Panthéon-Assas
11h10 : La construction du théâtre de Rennes au XVIIIe siècle
Robert Carvais, CNRS-Université de Paris X
11h30 : Discussions
12h00 : Déjeuner
Après-midi
Présidence d'Hervé Leuwers, Professeur d'histoire moderne, Université de Lille-III
14h00 : Le théâtre au XVIIIe siècle : débats d'architectes autour d'un projet culturel et civique
Marie-Luce Pujalte-Fraysse (Université de Poitiers)
14h20 : Les projets de Comédie-Italienne de 1772
Yvon Plouzennec, Université de Poitiers
14h40 : Reconstruire après l'incendie. Modèles, normes, contraintes et enjeux des nouveaux projets de (re)construction de salles de spectacles en province entre Révolution et Empire
Cyril Triolaire, Université de Clermont-Ferrand
15h00 : Discussions
15h30 : Pause
16h00 : La reconstruction de l'opéra de Paris au XVIIIe siècle (1763-1770)
Alexandra Michaud, Université de Lorraine
16h20 : Le théâtre de Strasbourg aux XVIIIe et XIXe siècles, genèse d'une construction
Véronique Umbrecht, Université de Strasbourg
16h40 : Loi et théâtre : règlementation et cadre bâti des spectacles au XIX e siècle
Maribel Casas, Ecole Nationale Supérieure d'architecture de Versailles - Université de Paris-Saclay
17h10 : Discussions
18h00-19h00 : Visite de la cathédrale d'Amiens par un guide conférencier d'Amiens-Métropole
Jeudi 15 juin
Acte II - Le fonctionnement des salles
9h30 : Accueil des participants
Matinée
Présidence d'Anthony Mergey, Professeur d'histoire du droit à l'Université de Paris II, Panthéon-Assas
10h00 : Pourquoi des machines ? Mécanismes et représentations de l'absolutisme louis-quatorzien (1662-1673)
Anthony Saudrais, Université Rennes 2
10h20 : Le théâtre de Cour à Versailles au XVIIIe siècle
Raphaël Masson, Château de Versailles
10h40 : Régie et entreprise à l'Opéra de Paris : la construction empirique de deux modes de gestion, durant de siècle des Lumières
Franck Monnier, Université de Versailles-Saint-Quentin
11h00 : Discussions
11h30 : Pause
12h00 : Privilèges des spectacles et contrôle des établissements artistiques au XVIIIe siècle
Adeline Karcher, Université de Metz
12h20 : Le teatro di San Carlo et la monarchie des Deux-Siciles. Politique, gestion et stratégie sociale (1734-1738)
Pablo Vázquez Gestal, Université de Paris-Sorbonne-CNRS
12h40 : Discussions
13h00 : Déjeuner
Après-midi
Présidence de Mathieu Da Vinha, Directeur scientifique du Centre de recherche du château de Versailles
14h30 : Un théâtre aux multiples portes : la salle de spectacle de Mâcon dans le dernier tiers de l'Ancien Régime
Georges Escoffier, IEP de Lyon
14h50 : Les Comédiens Français et l'administration des Menus Plaisirs au XVIIIe siècle : un nouveau regard grâce à l'apport des archives
Dominique Lauvernier, Ecole Pratique des Hautes Etudes
15h10 : La liste civile et les théâtres royaux et impériaux
Damien Salles, Université de Poitiers
15h30 : Discussions
16h00 : Pause
16h30 : La mise en pratique de la réglementation des théâtres des petites villes de province au XIXe siècle à travers l'exemple des théâtres du Sud-Ouest
Christine Carrère-Saucède, Université de Toulouse
16h50 : « Si on faisait respecter le cahier des charges, il n'y aurait pas de direction possible ! » : entre prérogatives administratives et contrôle parlementaire, le fonctionnement des théâtres subventionnés par l'Etat au XIXe siècle
Sylvain Nicolle, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / Paris-Saclay
17h10 : Discussions
17h30 : Fin des travaux
20h00 : « Orphée et Eurydice » de Glück, par la « Troup'Universitaire » et le « Chœur » de l'Université de Picardie
(Grands Amphithéâtres Condorcet et Montesquieu de la Faculté de droit et de science politique)
Vendredi 16 juin
Acte III - La programmation des salles
9h00 : Accueil des participants
Matinée
Présidence de Cédric Glineur, Professeur d'histoire du droit à l'Université de Picardie-Jules-Verne
9h30 : L'amphithéâtre du Swan : un éclairage sur les logiques économiques et politiques des spectacles publiques londoniens à la fin du XVI e siècle
Olivier Spina, Université Lumière Lyon 2
9h50 : E ntre service du roi et privilèges d'entreprise, l'Etat royal et la naissance d'une politique publique du théâtre (France, XVIII e siècle)
Pauline Lemaigre-Gaffier, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
10h10 : Célébrer Louis XVI sur scène, entre culture du scandale et conquête de l'opinion publique
Aurore Chery, Université de Lyon
10h30 : Discussions
11h00 : Pause
11h30 : La physiocratie sur les planches : combat d'idées et conquête des esprits dans le théâtre européen du XVIIIe siècle
Thérence Carvalho, Université de Rennes 1
11h50 : La police des spectacles à Toulouse au siècle des Lumières (1736-1790)
Jean-Luc Laffon, Université de Perpignan
12h10 : Politique théâtrale ou politique sociale ? C'est là la question. Les subventions sous le règne du roi Othon
Konstantza Georgakaki, Université Nationale et Capodistrienne d'Athènes
12h30 : Discussions
13h00 : Déjeuner
Après-midi
Présidence de Robert Carvais, Directeur de recherche au C.N.R.S.
14h30 : L'Académie royale de musique sous l'Ancien Régime : quelques éléments d'un système politique
Solveig Serre, CNRS / Centre d'études supérieures de la Renaissance et Centre de musique baroque de Versailles
14h50 : Le respect par les artistes de leurs engagements entre liberté artistique et affirmation politique (Ancien Régime et Révolution Française)
Jahiel Ruffier-Méray, Université de Toulon
15h10 : La question du répertoire au théâtre du Châtelet et au théâtre de Dijon dans le dernier tiers du XIXe siècle
Sylvie Roques, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales / CNRS
15h30 : Discussions
16h00 : Pause
16h30 : Madame Raucourt et le théâtre français en Italie
Elisa Baccini, Université de Padoue
16h50 : Madrid era un espectáculo : évolution de la sphère théâtrale madrilène entre les premiers Bourbons d'Espagne et le règne de Joseph Bonaparte (1740-1813)
Adrian Fernandez Almoguera, Université de la Sorbonne
17h10 : Sur l'affaiblissement de la censure à la fin du XIXe siècle : comment la censure participa malgré elle à l'essor de formes spectaculaires innovantes
Roxane Sauvage, Université de la Sorbonne
17h30 : Du théâtre considéré comme une expérience de pensée juridique : adapter le droit, construire la démocratie
Céline Husson-Rochcongar, Université de Picardie-Jules-Verne
17h50 : Discussions
18h10 : Pause
Acte IV - Tombée de rideau
18h30 : Conclusions du colloque
Jean-Claude Yon, Professeur d'Histoire, Université de Versailles-Saint-Quentin
Organisé par : Robert Carvais, Directeur de recherche, CNRS, Paris-Ouest-Nanterre-La Défense ; Cédric Glineur, Prof. d'histoire du droit, Céline Husson-Rochcongar, MCF droit public et Sophie Sedillot, MCF histoire du droit, Univ. Picardie Jules Verne