H. Gypsie Sylviane Hinvi, Le juge unique en droits français et béninois, thèse soutenue en 2024 à Paris 1 sous la direction de Loïc Cadiet et Ahonagnon Noël Gbaguidi présidée par Julien Théron, membres du jury : Éric Dewedi (Rapp.), Joseph Jdjogbenou
À l’heure où la qualité de la justice est devenue un débat récurrent, il importe de réévaluer la place et l’intérêt qu’il y a de faire intervenir un seul juge au lieu de trois voire plus sur un litige. Il en est ainsi parce que le juge unique est traditionnellement dénigré dans la vie courante. À sa seule évocation, irrésistiblement vient à l’esprit l’anecdote « juge unique-juge inique ». Or, ces dernières décennies, le juge unique a eu « le vent en poupe ». L’idée de faire face à la masse contentieuse et de réduire les délais de jugement est devenue le fil conducteur de plusieurs réformes contemporaines ayant favorisé son développement. Le juge unique n’est plus seulement le juge des petits litiges ni le juge du provisoire. En première instance comme en appel, dans les procédures contentieuses ou dans les procédures sur requête, aucune juridiction n’est hermétique à sa pratique. Certes, sa présence est moins apparente en droit béninois qu’en droit français où il semble constituer un remède à certaines crises dont souffre la justice. Concrètement, il est le juge de plusieurs contentieux. Peu important que ce contentieux concerne la procédure ou le fond même du litige. Mais si ce mouvement avait déjà été constaté par la doctrine notamment dans le droit français et certaines raisons ont pu être identifiées, la réflexion sur le juge unique peut être valablement repensée à nouveau sans qu’elle soit redondante. En effet, depuis quelques décennies déjà, des voix s’élèvent sur l’état de la justice. En réponse aux différents maux de la justice civile, particulièrement, la première approche a été de penser à la gestion des flux judiciaires. Des moyens sont ainsi mobilisés pour limiter le temps de la procédure et du litige afin de pourvoir au désengorgement des juridictions et, ceci, à un moindre coût. De façon progressive, des critères inspirés des entreprises, tels que : l’efficacité, la performance, la productivité, la célérité, etc., sont utilisés par les politiques et servent d’éléments dans la construction des nouvelles règles de procédure. Dans cette approche, naturellement, le mécanisme du juge unique semble correspondre aux nouveaux objectifs assignés à la justice puisqu’il a été investi de plusieurs pouvoirs visant à les atteindre. Il semblerait néanmoins que les fruits n’ont pas réellement tenu la promesse des fleurs. De récents travaux menés sur la justice civile française ont manifesté l’ambition de revenir à la collégialité devant les juridictions de première instance en raison de ce que l’isolement du juge dans l’exercice de son activité peut être source d’insécurité juridique au justiciable et par conséquent constituer un frein à la qualité même de la justice. Dans ce contexte, il convient de savoir si le juge unique participe-t-il à la qualité de la justice ou en est-il un obstacle ? Pour répondre à cette question, il a été nécessaire de convoquer au débat les normes de qualité du procès telles qu’elles résultent des instruments juridiques assurant la garantie du procès afin de discuter si oui ou non elles font obstacle à une économie judiciaire visant à la maitrise des flux des demandes, à une production organisée des décisions, ou encore à un emploi optimal des ressources publiques affectées à la justice.