Présentation
L'objectif des journées d'étude est de poursuivre le dialogue en langue française, déjà amorcé depuis une dizaine d'années, entre les sciences du territoire (la géographie ou l'aménagement-urbanisme notamment) et les sciences juridiques (droit interne comme droit international). L'enjeu disciplinaire est donc double. Il s'agit, d'une part, de contribuer à l'émergence d'une géographie du droit, dans la continuité de numéros de revues sur le sujet (« Pour une géographie du droit : un chantier urbain », Géocarrefour, 2013 ; « Géographie(s) et droit(s) », Développement durable et territoires, 2015 ; « Le droit : ses espaces et ses échelles », Annales de géographie, 2020...). D'autre part, il s'agit de tenter d'approfondir l'analyse autonome, relativement récente, de la spatialisation du droit. Si Y. Madiot invoque la territorialisation du droit dans un article dès 1995, c'est en effet plus récemment – surtout à compter des années 2010 – que les travaux de juristes sur ce thème se sont multipliés, qu'il s'agisse de thèses de doctorat (sur la territorialité ou la territorialisation de différents espaces – l'Europe par exemple – et/ou de normes), de colloques (Le droit constitutionnel et la géographie, dir. S. Schott, CIERA et AFDC, Bordeaux, 2015 ; Le droit international : entre espaces et territoires, dir. L. Rapp, Institut francophone pour la justice et la démocratie, 2020 ; Le piège territorial dans la pensée juridique, Bordeaux, 2021…) ou de conférences (cycle du Conseil d'Etat, Droit comparé et territorialité du droit, La Documentation française, 2017…). On peut également mentionner, suite au colloque CIST2018, l'ouvrage Prolifération des territoires et représentations territoriales de l'Union européenne (dir. S. Brunet, L. Lebon & Y. Richard, PURH) paru en 2019.
Au-delà des objectifs propres à chaque champ disciplinaire conduisant pour les sciences territoriales à complexifier leur regard sur le droit et pour les sciences juridiques à mieux appréhender les dynamiques spatiales et territoriales, il est possible d'identifier des enjeux communs qui marquent l'actualité de ces interrogations :
– L'analyse des effets des processus de mondialisation, de globalisation, d'extra-territorialité voire d'a-territorialisation, conduisant à l'internationalisation du droit et à la reconnaissance que le territoire national n'est pas / plus le seul espace normatif
– L'actualité des débats dans les sciences sociales et les sciences du droit sur le pluralisme juridique dans les différentes acceptions du terme – de l'inter-légalité de B. de Sousa Santos au pluralisme ordonnée de M. Delmas Marty
– La montée en puissance des processus de judiciarisation conduisant à une multiplication des contentieux, en particulier dans les domaines de l'urbanisme, de l'aménagement, de l'environnement et du patrimoine ; et les nouveaux usages du contentieux stratégique dans le domaine des transitions écologiques
– La montée en puissance du droit souple / mou (soft law : plans, schémas, chartes, pactes, accords territorialisés…), des modes alternatifs de règlement des litiges (arbitrage, conciliation, médiation…) et des processus de négociation et de transaction
– La difficulté pour les sciences du territoire et pour les sciences juridiques à conceptualiser et à réguler les impacts de nouvelles technologies de l'information et de la communication, et des activités économiques induites
– Les nouveaux usages des zonages et l'adaptation des règles à certains territoires dans le cadre de procédures d'exceptions justifiées par des crises ou des situations d'urgence (politiques, sociales, sanitaires, environnementales…)
– L'émergence de questionnements et de débats sur la personnalité juridique des non-humains, les droits de la nature et des communs, qui posent la question des régimes juridiques applicables à ces objets, sujets ou espaces.
Que les enjeux soient ou non communs aux différentes disciplines, il sera également intéressant, lors de ces journées, d'ouvrir une ligne de discussion à visée plutôt épistémologique. Il s'agira d'interroger la manière dont l'interface disciplinaire se construit en France autour de la question du droit et de l'espace à l'initiative des sciences juridiques et/ou des sciences territoriales. Qu'est-ce qui motive les juristes à s'intéresser à l'espace, et qu'est-ce qui motive les géographes à s'intéresser au droit ? Comment chaque discipline se saisit-elle de l'objet de l'autre en quelque sorte, et selon quelles perspectives ? C'est sur la base de ces questions que cette ligne de discussion pourra être ouverte dans le but d'interroger, au-delà de nos objets d'étude, de nos centres d'intérêt et de nos expériences de recherche respectifs, ce qui fait exister ce collectif constitué autour d'un intérêt partagé pour les rapports au(x) droit(s) et au(x) territoire(s).
Les communications proposées pourront donc s'intéresser aux différentes notions utilisées par les juristes et/ou les géo[1]graphes, ainsi qu'aux phénomènes divers, d'une part de qualification juridique des espaces – saisis par le droit car objets de réglementations / régulations et de contentieux –, et d'autre part de territorialisation du droit – saisi par le territoire, qui devient, dans certains cas, producteur de normes. Il en découle une prolifération des espaces d'action et de régulation (hard et soft spaces), à tous les échelons (local, régional, national, trans-national, macro-régional, international et supranational), avec une mise à mal du binôme classique Etat-territoire au profit d'autres acteurs, d'autres espaces voire d'autres normativités (soft law). Enfin, les communications proposées pourront analyser les différentes modalités de mise en œuvre du droit dans les territoires (planification territoriale, négociations et stratégies territoriales…).
Programme
Jeudi 8 Décembre 2022
9h30 : Café d'accueil
10h00 : Mot d'accueil de la direction du CIST
10h10 : Présentation des objectifs des journées
Sylvia Brunet & Fabrizio Maccaglia
Session 1 - Sources et objets de la recherche géolégale
Animation : Sylvia Brunet
10h30 : Construire des corpus d'arrêtés préfectoraux à l'échelle nationale et les analyser en géographes : enjeux méthodologiques et (inter)disciplinaires
Alice Nikolli, Adrien Baysse-Lainé, Camille Girault
Quel rôle et quelle place pour les associations syndicales de propriétaires dans la gestion des espaces littoraux et estuariens français ? Un regard depuis les acteurs privés de l'action territoriale
Marie Fournier, Elisabeth Botrel
« Marque territoriale » : l'adéquation ambigüe de la marque au territoire
Philippe Tanchoux
Les caractéristiques géographiques comme nouveau paradigme du droit des collectivités territoriale
Cécile Regourd
12h30 : Déjeuner au foyer du centre des colloques
Session 2 - Qualifications juridiques de l'espace et construction d'ordres locaux
Animation : Mathieu Gigot
14h00 : Définir le zonage territorial : une approche géo-juridique. Etude du cas des zones détendues
Florian Laussucq, Mathilde Vignau
La coercivité des documents d'urbanisme en contexte métropolitain. Recompositions institutionnelles des modes d'administration et de production du logement au sein des quartiers de gare du Grand Paris Express
Antoine Gosnet
Construire sur les terres agricoles : ordres juridiques localisés et nouveaux enjeux alimentaires
Brigitte Nougarèdes, Romain Melot, Béatrice Mésini, Coline Perrin
Les communs saisis par le droit et les sciences du territoire : le cas des sections de commune
Julie Deconchat
Un risque (in)territorialisable ? Une approche géo-légale du zonage risque autour des centrales nucléaires au Royaume-Uni
Audrey Sérandour, Teva Meyer
18h00 : Fin de la 1ère journée
Vendredi 9 Décembre 2022
Session 3 - Conflits d'usage et formes de régulation
Animation : Patrice Melé
9h00 : Spatialiser le droit, judiciariser l'espace : regards croisés juriste / géographie sur les conflits environnementaux en montagne
Oriane Sulpice, Lionel Laslaz
Stratégies et tactiques géolégales de l'extraction. Le cas du lithium dans le désert d'Atacama, Chili
Marie Forget, Vincent Bos, Chloé Nicolas-Artero
Le cloisonnement minier au prisme du droit environnemental. Nouvelles régulations des activités extractives et reconfigurations territoriales en Amérique andine
Solène Rey-Coquais
Session 4 - L'action publique environnementale à l'épreuve du droit
Animation : Stéphane Ghiotti
11h15 : Droit et climat : la mobilisation citoyenne au cœur de la territorialisation
Claire Courtecuisse, Nicolas Kada
Les fonctions et les usages du droit dans les dynamiques territoriales : le cas de la prévention des déchets ménagers
Emilie Laurent
La restauration écologique des cours d'eau : un exemple de politique publique environnementale foncièrement négociée ?
Justine Belleil
Comment le principe de solidarité écologique peut-il influer les politiques d'adaptation au changement climatique ? Regards croisés entre droit et aménagement
Maylis Desrousseaux, Marie Fournier
13h30 : Déjeuner au foyer du centre des colloques
14h30 : Table ronde interdisciplinaire
Animation : Julien Aldhuy
Avec :
Nadia Belaidi, Patrice Melé, Marie Mellac et Michel Verpeaux
16h30 : Fin de la 2nde journée
Inscription : https://cistdroit.sciencesconf.org
Journées d'étude organisées par l'axe Actions et territorialisations et le projet exploratoire ARAPT, en partenariat avec des unités de recherche membres du CIST (Art-DEV, CITERES, CUREJ, Géographie-cités, IDEES, Lab' Urba).