Présentation
L'objectif de ce colloque est d'étudier les relations riches et complexes qu'entretiennent le droit et le cinéma, et dont le premier signe est le nombre impressionnant de films qui, depuis les débuts du cinéma, mettent en scène des questions ou des situations juridiques, racontent des histoires dont les protagonistes sont enquêteurs, juges, avocats, procureurs, victimes, accusés, détectives, gangsters, ou encore shérifs, marshals, outlaw, etc., transformant en décors ces lieux institutionnels de la justice que sont les tribunaux, les commissariats, les bureaux d'avocats ou les prisons, notamment.
Le droit dans le cinéma
Si nombre de films placent le droit au cœur de leur thématique, de leur intrigue, du parcours et des relations entre leurs personnages, il convient de ne pas simplement décrire cette inscription ou cette présence d'enjeux juridiques dans les films. Il s'agit plutôt de se demander comment le cinéma représente ou réfléchit le monde juridique, et quels effets cela peut produire non seulement sur le public du film mais plus précisément sur les juristes eux-mêmes et le regard qu'ils portent sur leur propre discipline. Ainsi on entend analyser la manière dont les enjeux juridiques apparaissent au prisme des films : leurs représentations, leurs figurations, leurs mises en scène voire leurs projections cinématographiques.
L'objectif de ce colloque n'est pas de considérer les films comme des supports ni même des documents, ou des ressources que l'on se contenterait d'ajouter aux textes juridiques et aux exposés de doctrines. Analyser le droit dans ou par le cinéma, c'est surtout étudier comment les juristes peuvent enrichir ou élargir leur appréhension de leur propre discipline en saisissant dans les films une image du droit qui n'est pas simplement cinématographique mais renvoie à la manière dont le droit s'articule à telle ou telle société, à telle ou telle époque.
Lorsqu'un film représente des affaires juridiques, dont il fait le cœur de son intrigue, c'est le plus souvent tout le contexte dans lequel ces affaires ont pris forme qui est mis en scène. Le cinéma reflète alors l'articulation complexe entre un système ordonné de règles et les aléas humains auxquels le droit s'applique, articulation souvent faite de tensions entre certains personnages et la société dans laquelle ils vivent, mises en scène de façon comique ou dramatique. Il serait d'ailleurs rapide de conclure que le cinéma enferme le droit dans le cliché d'un univers normé : parfois la marge n'est pas seulement occupée par les individus jugés, mais par certains acteurs du monde judiciaire eux-mêmes, tel avocat, tel procureur ou tel juge apparaissant en désaccord voire en lutte avec les normes juridiques qu'ils sont censés représenter et le système judiciaire dont ils sont partie prenante.
Plus largement, parce que les films ne sont pas faits par des juristes, parce qu'ils reflètent et en même temps contribuent à forger une certaine perception sociale du droit, ils révèlent la culture juridique qui imprègne une société et dont les écarts inévitables avec la réalité des règles de droit intéressent nécessairement les juristes : la manière dont le droit est perçu dit sans doute quelque chose de son adéquation ou non aux situations auxquelles il est censé s'appliquer.
Le droit comme cinéma
Filmer le droit n'est pas un acte anodin : loin de proposer la description servile des événements, le cinéma en livre une interprétation, voire en fait la critique. Ainsi, le droit est non seulement l'objet mais le sujet du cinéma, et les choix du réalisateur au tournage (ou même ceux faits au cours de l'écriture scénaristique ou du montage) reflètent une vision de la situation juridique qui apparaît à l'écran. Le cinéma offre alors au juriste un nouveau moyen de penser le droit. De plus, il permet, tout comme le procès, d'incarner le droit en donnant chair à des textes abstraits et il renouvelle la manière de s'y intéresser, en montrant des situations explicitement juridiques - comme la signature d'un contrat - et surtout en faisant ressortir la dimension juridique d'événements qui semblent relever avant tout de l'affect - comme une adoption ou un décès, provoquant l'ouverture d'une succession.
Plus encore, filmer le droit, c'est se consacrer à un objet qui est déjà de l'ordre de la représentation et qui, d'une certaine manière, n'a pas attendu le cinéma pour être mis(e) en scène. Cette affinité originelle permet de comprendre pourquoi le procès est si prisé des scénaristes et réalisateurs, au point que le « film de procès » peut être considéré comme un genre cinématographique. De la scène judiciaire à l'écran, le passage est aisé, voire naturel, tant le procès est déjà de l'ordre de la représentation, et du spectacle. Les lois et leur application apparaissent dans un dispositif spectaculaire constitué d'une salle, d'une scène, d'orateurs en costume incarnant sinon un rôle, du moins une fonction, devant un public. On pense également à l'échafaud, au pilori ou à la chaîne des forçats comme autant de mises en spectacle des criminels destinées à édifier les foules. Au fond, le droit, comme le cinéma, ne saurait exister sans public : le « nul n'est censé ignorer la loi » implique que chaque norme juridique soit publique (proclamée, affichée ou consultable) et que chaque acte de justice le soit aussi, la publicité valant garantie de ce que le droit est effectif et justement mis en œuvre. Certains procès engagent même leur propre représentation, généralement « pour l'histoire », et le cinéma est alors d'autant plus requis pour questionner leurs dispositifs de mise en scène.
Méthodologie et pistes
L'enjeu de ce colloque est d'établir un dialogue entre des juristes et des spécialistes de cinéma, pour croiser leurs approches. Les juristes et spécialistes de cinéma sont ainsi éventuellement invités à constituer des binômes sur un sujet commun, que chacun aborde depuis sa discipline. Il serait souhaitable que les propositions s'attachent à traiter de cinéma, le cas échéant de film documentaire, pour éclairer les problématiques liées aux représentations cinématographiques de l'exercice précis du droit, en excluant les récits qui ne convoqueraient la justice que comme une idée, voire un idéal, et en n'hésitant pas à puiser dans toutes les périodes de l'histoire du cinéma, et dans toutes les cinématographies.
Nous pouvons ainsi proposer les pistes suivantes, sans que cette liste soit évidemment exhaustive :
Système judiciaire et dispositif de mise en scène
L'espace juridique : des lieux institutionnels aux décors des films
Le droit incarné : avocat, juge, juré, procureur, marshal, outlaw, justicier, criminel, gangster, détective, enquêteur, … Typologie des figures et étude des jeux d'acteur, de leurs mises en scène
La figuration des institutions juridiques : Etat, administration, police, pénitentiaire, mairie, … autant d'entités abstraites que les personnages, les actions et les lieux figurent et rendent visibles
Etudes par genre : film noir, film policier, biopic, thriller, …
Le « film de procès », un genre à part entière ?
Syntaxe (grammaire, sémiologie) de la représentation du droit au cinéma
La représentation du droit dans une perspective historique et culturelle
Comparaison de différents systèmes judiciaires
Programme
Vendredi 18 Novembre 2022
(Sorbonne)
9h00 Accueil des participants
9h30 Mot d'ouverture
Séance 1
sous la présidence de Jean-Michel Durafour, Professeur des universités en Esthétique et théorie du cinéma, Aix-Marseille Université
10h00 « Ce que le cinéma nous apprend de notre vision du Parlement »
Dorothée Reignier, Maître de conférences en Droit, Sciences Po Lille
10h25 « La contribution du cinéma à la construction d'un “sentiment constitutionnel” en Italie »
Nicoletta Perlo, Maître de conférences en Droit - HDR, Université Toulouse I Capitole
Discussion
Pause
Séance 2
sous la présidence de Pierre Bonin, Professeur des Universités en Droit, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
11h25 « Montrer le droit : Depardon, Rouch, Verdier et Nabede »
Hélène Sirven, Maître de conférences en Esthétique, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
11h50 « “Le juge et la caméra” : le droit entre documentaire et fiction dans Close Up d'Abbas Kiarostami »
Rachel Guillas, Docteur en Droit et Ingénieur de recherche, Institut d'histoire du droit Jean Gaudemet – Collège de France et Vincent Jacques, Maître de conférences en Philosophie, Université Paris Nanterre - ENSA Versailles
Discussion
Déjeuner
Centre Panthéon, 12 place du Panthéon, 75005 Paris
(Salle 216)
Séance 3
sous la présidence d'Antoine Gaudin, Maître de conférence en Esthétique et théorie du cinéma, Université Sorbonne Nouvelle
14h30 « Une mise en abyme : l'image filmée dans le film de procès »
Nathalie Goedert, Maître de conférences en Droit - HDR, Université Paris Saclay
14h55 « Filmer sans cinéma : les archives audiovisuelles de la justice et le “regard-caméra” »
Ronan Bretel, Chercheur postdoctoral, CY Cergy Paris Université
Discussion
Pause
15h50 - 17h00 : Table ronde
Sous la présidence de Camille Bui, Maîtresse de conférences en Etudes Cinématographiques, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Antoine Raimbault, scénariste et réalisateur (Une intime conviction, 2018)
Sabrina Van Tassel, journaliste et réalisatrice (L'Etat du Texas contre Melissa, 2021)
Samedi 19 novembre 2022
Ecole des Arts de la Sorbonne, Centre Saint Charles, 47 rue des Bergers, 75015 Paris
(Salle 251)
8h45 Accueil des participants
Séance 4
sous la présidence de José Moure, Professeur des Universités en Etudes cinématographiques, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
9h15 « Figures prostitutionnelles et œuvres cinématographiques »
Samantha Pratali, Maître de conférences en Droit, Institut catholique de Lille et Constant Candelara, enseignant de littérature - scénariste
09h50 « Travailleur et patron : (re)penser les rapports de travail à travers le cinéma »
Luc de Montvalon, Maître de conférences en Droit, Université d'Albi
Discussion
Pause
Séance 5
sous la présidence de Jean-Loup Bourget Professeur émérite en Etudes cinématographiques à l'ENS
10h45 « Récit judiciaire et récit cinématographique : l'exposé de la construction du récit judiciaire dans quatre films de Ford, Ray et Clouzot »
Gérard Bras, Professeur agrégé de Philosophie et Vincent Légaut, Magistrat
11h20 « Détournement du flashback dans le film de procès : l'exemple de The Third Murder (Koreeda Hirokazu) »
Magalie Flores Lonjou, Maître de conférences en Droit - HDR, Université de La Rochelle et Raphaëlle Yokota,Docteur en Etudes cinématographiques - ATER, Université Lyon III
Discussion
Déjeuner
Séance 6
sous la présidence de Florence Bellivier, Professeur des Universités en Droit, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
14h00 « Faire le procès à la justice : droit et morale dans le Nouveau Cinéma Roumain »
Anca Mitroi Sprenger, PhD - Chargée de cours, Brigham Young University
14h25 « Hégémonie cinématographique du rapport de force et modes amiables de règlement des différends »
Dorothée Guérin, Maître de conférences en Droit - HDR, Université de Bretagne occidentale et Elizabeth Mullen, Maître de conférences en Etudes américaines, Université de Bretagne occidentale
15h00 « De la pénalisation de l'avortement à sa légalisation dans les fictions filmiques. Une relecture de l'histoire du droit de l'avortement en France (1956-2021) »
Sylvain Louet, Docteur en Etudes cinématographiques - Chargé de cours, Université Paris III
Discussion
Pause
Séance 7
sous la présidence de Xavier Lagarde, Professeur des Universités en Droit, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
16h00 « La représentation du châtiment capital au cinéma entre fascination et dénonciation » Florence Bellivier, Professeur des Universités en Droit, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
16h25 « Exposer, contextualiser, dénoncer : les films contre la peine de mort en France et aux Etats-Unis depuis 1950 »
Daniel Morgan, Docteur en Etudes cinématographiques - chercheur associé à l'IRCAV, Université Sorbonne Nouvelle Paris III
Discussion
Conclusions
Claire Lovisi, Professeur émérite en Droit, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Inscriptions obligatoires : irjs@univ-paris1.fr
Organisé pour l'IRJS, l'Institut ACTE, Paris 1 Panthéon-Sorbonne par Yann-Arzel Durelle-Marc, Cécile Gornet, Floriane Masséna et Benoît Rivière