Présentation
La Cour suprême des Etats-Unis est en pleine tempête, pour reprendre le titre d'un célèbre ouvrage. Les récents développements affectant l'institution et les décisions qu'elle a rendues au cours des derniers mois, en particulier la décision Dobbs v. Jackson Women's Health Organization dans laquelle la Cour a jugé que la Constitution fédérale ne garantissait pas le droit de recourir à l'avortement, revenant ainsi sur un droit protégé depuis près de cinquante ans, ont en effet soulevé de manière aiguë la question de sa légitimité, questionné la nature de son rôle dans le système politique, à travers le contrôle de constitutionnalité des lois qu'elle exerce, et soulevé de nouveau la question des réformes institutionnelles envisageables permettant de limiter le pouvoir d'une institution qui serait davantage « suprême » que « Cour ».
Ce colloque entend analyser les raisons et les manifestations de la remise en cause actuelle du rôle de la Cour suprême, en la replaçant dans le cadre de la jurisprudence récente de la Cour mais aussi de débats plus anciens et d'éclairages comparatistes ; étudier les propositions de réformes ainsi que leur faisabilité, en s'interrogeant également sur les contradictions d'une partie de la doctrine dans la dénonciation d'un pouvoir qu'elle louait auparavant ; et enfin dégager des enseignements pour le débat français en s'interrogeant sur la portée de ces controverses constitutionnelles de ce côté-ci de l'Atlantique, s'agissant, entre autres, de la portée des pouvoirs du juge constitutionnel.
La matinée sera ainsi consacrée au contexte de la remise en cause de la Cour et ses marqueurs. Sera envisagée la question de la nomination des juges et de la politisation de la Cour. Le processus de nomination des juges apparaît en effet polarisé et dysfonctionnel, ainsi que l'ont révélé les dernières confirmations et le refus du Sénat de se prononcer sur le cas de Merrick Garland en 2016. Ce processus de nomination alimente également la thèse d'une politisation de la Cour, dont le révélateur serait précisément les revirements de jurisprudence rapidement intervenus à la suite des dernières nominations, illustrant ainsi au plus haut point que le sens de la Constitution change avec les juges qui l'interprètent. Seront également étudiées la décision Dobbs éliminant le droit de recourir à l'avortement ainsi que les décisions rendues par la Cour affaiblissant les garanties du droit de vote. Si l'un des arguments invoqués par la Cour dans Dobbs tient à ce que la question de l'avortement doit être tranchée via le forum politique, et non dans les prétoires, l'étude de la jurisprudence de la Cour relative au droit de vote affaiblit l'argument dans la mesure où la Cour a restreint de manière significative les garanties du droit de vote. Sera enfin étudié l'usage croissant des procédures d'urgence depuis quelques années pour trancher des questions substantielles, de manière opaque et sans que la Cour ne motive ses décisions, à travers ce que la doctrine a nommé le shadow docket.
L'après-midi sera consacré à la question de la réforme. Sera d'abord envisagée l'idée même de réforme d'une cour constitutionnelle dans une perspective théorique et comparative, au-delà du cas des Etats-Unis. Qu'est-ce que l'idée de réforme d'une cour constitutionnelle traduit quant aux pouvoirs respectifs des juges et du législateur ? Quelles sont les motivations, les finalités, la légitimité, voire les mesures du succès d'une telle réforme ? Seront ensuite étudiés le rapport de la Commission chargée par le président Biden d'analyser les principaux arguments pour et contre la réforme de la Cour qui, s'il s'abstient de prendre clairement position sur telle ou telle réforme institutionnelle, est toutefois riche d'enseignements, y compris dans ce qui n'a pas été tranché, ainsi que la question de la réforme de la Cour vue du Congrès, permettant ainsi d'envisager sous une perspective plus politique et concrète les enjeux de la réforme. Sera également étudié le traitement par la doctrine de la réforme et la question de la cohérence des argumentations en ce sens.
Seront enfin apportés des regards et mises en perspective sur l'ensemble de ce débat s'agissant des Etats-Unis mais aussi les enseignements que peuvent en tirer les juristes français.
Programme
9h20 : Ouverture
Marie-Hélène Monsèrié-Bon, Vice-Présidente de l'Université Paris Panthéon-Assas
Mot d'accueil
Gilles J. Guglielmi, Directeur du Centre de droit public comparé, Université Paris Panthéon-Assas
9h30 : Propos introductifs
Idris Fassassi, Professeur, Université Paris Panthéon-Assas
Contexte
9h45 : La nomination des juges et la politisation de la Cour : actualités d'une question ancienne
Maud Michaut, Docteure en droit, Université Paris Panthéon-Assas
10h10 : L'élimination du droit constitutionnel de recourir à l'avortement par la Cour suprême
Wanda Mastor, Professeure, Université Toulouse 1 Capitole
Discussion – Pause
11h00 : La Cour suprême et l'érosion du droit de vote
Anne Deysine, Professeure émérite, Université Paris-Nanterre
11h25 : Décider dans l'ombre : le shadow docket, un détournement de procédure ?
Julien Jeanneney, Professeur, Université de Strasbourg
11h50 : Discussion
12h15 : Déjeuner
Réforme
14h00 : Ce que réformer une cour constitutionnelle signifie : perspectives théoriques et comparatives
Marie-Claire Ponthoreau, Professeure, Université de Bordeaux
14h25 : Réformer la Cour suprême ? Analyse critique du rapport de la commission présidentielle sur la Cour suprême
Thomas Hochmann, Professeur, Université Paris-Nanterre
14h50 : Le Congrès et la réforme de la Cour suprême
François Vergniolle de Chantal, Professeur, Université Paris Cité
Discussion – Pause
15h45 : La doctrine et la réforme de la Cour suprême : « ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent »
Idris Fassassi, Professeur, Université Paris Panthéon-Assas
Perspectives
16h10 : Le rôle contesté de la Cour suprême et les réformes proposées : le point de vue d'un juge fédéral
William A. Fletcher, Juge à la cour d'appel pour le neuvième circuit, Professeur émérite, University of California, Berkeley
16h35 : Quelques observations sur les controverses constitutionnelles américaines
Olivier Beaud, Professeur, Université Paris Panthéon-Assas
Discussion
17h00 : Fin
Renseignements : idris.fassassi@u-paris2.fr
Organisé par le CDPC, Université Paris Panthéon-Assas sous la Direction scientifique de Idris Fassassi, Professeur à l'Université Paris Panthéon-Assas