Date limite le jeudi 29 fév. 2024
Le droit de l'Union européenne semble parfois étrange, voire étranger, aux juges, praticiens et universitaires. Pour autant, il n'a jamais été ce droit abusivement présenté venu d'ailleurs, c'est-à-dire de nulle part. Probablement qu'il semble étrange en vertu de la dynamique qui l'anime depuis la fondation de la construction européenne. Il est possible de moins mal la nommer comme un « processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe », suivant la fameuse formule de l'article 1er TUE.
Cette dynamique repose sur « un droit de l'intégration », en son temps cerné par le juge Pescatore, sans toutefois en dévoiler l'intégralité des contours, lesquels suivant sa nature propre couvrent de nouveaux espaces. Autrement dit, si l'idée d'un « droit de l'intégration » évoque le processus de construction politique de l'Union, il reste impuissant à saisir le processus de construction juridique du droit de l'Union : à savoir la méthode avec laquelle l'Union se saisit de nouveaux objets juridiques et construit leur appréhension par le droit.
Voilà pourquoi le temps paraît venu de s'interroger sur les mécanismes propres d'une Union par le droit, 15 ans après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne (2009) et à l'orée d'une future révision des traités qu'annonce la clôture de la Conférence sur l'avenir de l'Europe (mai 2022). Il est désormais à la fois possible de mesurer les effets entrainés par le traité de Lisbonne mais également ceux des traités de Nice, d'Amsterdam et de Maastricht, produits sur le temps long. Au terme de ce mouvement de nouveaux objets juridiques relèvent du droit de l'Union (Axe 1, Quoi ?), suivant une échelle de méthodes allant de la coopération à l'intégration (Axe 2, Comment ?) pour une dynamique dont les contours restent à analyser (Axe 3, Pour quoi ?)[1].
Axe 1 – De nouveaux « objets » du droit de l'Union
Droit et science politique doivent être mobilisés pour appréhender au plus près la mécanique de l'intégration.
Longtemps, le droit « communautaire » s'est étendu à de nouveaux secteurs par la logique, politique, naturelle du spill-over. Cependant, depuis le traité de Maastricht et la disparition de l'affichage uniquement économique de l'Union, le processus d'intégration s'est ouvert à de nouveaux « objets », dont la notion même mérite d'être dans un premier temps interrogée. En attendant, les « objets » juridiques, ne sont ni des sujets, ni des catégories, ni des champs. De prime abord, le terme désigne : « tout ce qui s'offre à la vue, au toucher » mais aussi : « la chose même qui est pensée, par opposition au sujet, l'être pensant »[2]. Le droit ne se contente
plus de créer des catégories juridiques auxquelles il assigne des régimes. Il crée des « objets » qui seront directement ou indirectement saisis et affectés par l'activité de l'Union dans toutes ses dimensions (politique, symbolique, normative, administrative, coordinatrice ou encore financière). Ainsi, les « objets » désignent tout ce qui est vu, touché et pensé par le droit, si bien que certains peuvent être qualifiés de « micro-objets » tandis que d'autres recouvrent des politiques de l'Union.
Après cet exercice de qualification dont les conclusions rejaillissent nécessairement sur les thèmes traités, le Congrès 2024 de l'AFEE s'intéressera alors à la dialectique entre les nouveaux « objets » du droit de l'Union et à ses méthodes. Dans ce deuxième temps de la réflexion, plus vaste, le caractère nouveau des « objets » du droit de l'Union doit également être matière à réflexion étant précisé qu'il peut s'agit d'une nouveauté liée au développement et au progrès technologique (IA par exemple), à l'utilisation des potentialités des traités (coopérations renforcées et CSP), à l'agenda de la Commission (spatial et new space) tandis que parfois elle procède de la manière dont l'objet est saisi. L'environnement et l'énergie, objets traditionnels du droit communautaire, sont désormais abordés à l'aune de la transition énergétique et environnementale ; leur transversalité a radicalement changé leur visage.
L'objet du Congrès sera alors de définir ces objets, de saisir les processus juridico- politiques avec lesquels l'Union aborde ces objets et en quoi peuvent-ils être qualifiés de nouveaux ?
Axe 2 – L'échelle des méthodes du droit de l'Union
Le traité de Maastricht représente, a posteriori, un saut dans l'inconnu pour le processus d'intégration européenne. En quittant la matière économique, ce processus aborde d'une part deux « objets », alors nouveaux par leur fondement dans le droit primaire, présentés comme des « politiques et formes de coopération » (article A TUE), regroupés dans autant de piliers de l'Union (PESC et JAI). D'autres « objets » font leur apparition (citoyenneté, Union économique et monétaire). Depuis cette extension est continue sans que l'on en connaisse le terme : union bancaire et des marchés de capitaux, investissements (intra UE et pays tiers), sport, statut personnel (filiation, majeur vulnérable), protection des mineurs en mobilité, lutte contre le terrorisme, protection et conservation des données, données de santé, intelligence artificielle (IA), numérique (DMA et DSA), etc. Ces nouveaux objets sont traités au prisme d'une échelle de méthodes allant de la coopération à l'intégration, lissant l'opposition entre une différence de nature plus que de degré les caractérisant.
D'autre part, le projet d'une Europe élargie est à l'origine d'Amsterdam jusqu'à Lisbonne de nouvelles méthodes relevant pour l'essentiel d'une différenciation. Si les dispositifs la rendant possible ont en leur temps fait l'objet de commentaires dépréciatifs, il apparaît que leur usage est extrêmement limité. Si bien que la pertinence des anciennes méthodes s'en trouve confortée.
Il convient alors de s'interroger sur l'articulation entre les objets et les méthodes. En effet, les résultats escomptés ne sont pas univoques, des résistances apparaissent ici et là compensées par la production de puissants effets intégrateurs en général dus à l'attraction du marché intérieur (numérique, santé et sport par exemple), où à un nouveau partage des responsabilités entre l'Union et ses Etats membres dû à l'action d'agences de l'Union (intégration masquée). Par ailleurs, le choix d'une coopération, jugé plus adaptée par les rédacteurs des traités, peut s'avérer totalement improductif en raison des limites inhérentes aux instruments mobilisés, d'autres fois, il prépare la voie à l'intégration. A cet égard, de nouveaux objets témoignent d'un dépassement des méthodes. Pour le dire autrement, à partir d'exemples, une politique intergouvernementale ou relevant de la catégorie des compétences coordonnées au sens de l'article 6 TFUE de l'Union laisse une part à une certaine intégration ; le fonds européen de défense (FED) ou la réserve de protection civile de l'Union (RescUE) en constituent sans exhaustivité de parfaites illustrations.
Le Congrès s'interrogera donc sur la capacité ou l'incapacité, de nouvelles méthodes du droit de l'Union à favoriser l'appréhension de nouveaux objets : révision simplifiée des traités, clauses passerelles générales, clauses passerelles spécifiques, clauses freins- accélérateur, rôle des parlements nationaux (subsidiarité), clause de solidarité (article 222 TFUE) ou encore différenciation (coopérations renforcées, RUP).
Axe 3 – De nouveaux objets pour quelle dynamique ?
La problématique des nouveaux objets confrontée à des méthodes posées par le droit de l'Union, qu'elles soient traditionnelles ou plus récentes procède par définition du constat de leur adaptation ou au contraire de leur inadaptation. Aussi objets et méthodes participent-ils de la dynamique de l'Union. Pour cette raison, les domaines d'intervention de l'Union peuvent être soumis à des changements de méthodes pour de nouvelles dynamiques.
Cette situation se rencontre au terme d'un double mouvement juridique et spatial. Un objet de l'Union, précédemment soumis à des règles peu propices à l'intégration change de régime : un objet soumis initialement à une compétence coordonnée est attrait vers une compétence partagée (phénomène de communautarisation ou d'européanisation). Partagent à des degrés divers cette inspiration d'une mutation des compétences, les modifications touchant les processus normatifs (clauses passerelles, procédure législative ordinaire et vote à la majorité qualifiée). A partir des effets attendus par ces diverses transformations, un premier inventaire des résultats doit être dressé.
Le Congrès cherchera alors à tirer un bilan de l'extension de la coopération ou de l'intégration à ces nouveaux objets, en lien avec l'(in)efficacité de la méthode employée. Les contributions pourront s'intéresser en particulier aux limites de la méthode de coopération et donc à l'attractivité de la méthode d'intégration, au point de voir en elle un modèle politique plus qu'une technique juridique. Ensuite, la question des résistances à l'intégration devra être posée, comme autant de frein à l'extension du droit de l'Union. Enfin, l'irréductibilité de certains objets (fiscalité, ressources propres, défense) est susceptible d'éclairer la nature juridique de l'Union.
Au final les propositions de contributions peuvent porter sur les thématiques évoquées ou sur toutes autres ayant pour socle une réflexion sur les nouveaux objets du droit de l'Union et leurs méthodes. Les propositions émanant de jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs feront l'objet d'une attention particulière.
Le présent appel est ouvert à l'ensemble des chercheurs et enseignants chercheurs intéressés par les études européennes en France ou à l'étranger.
Les propositions de communication (5000 signes maximum, espaces compris) doivent être rédigées en français ou en anglais
Elles sont à envoyer au plus tard avant le 29 février 2024 à l'adresse suivante : toulousecongresafee@gmail.com
La suite donnée aux propositions de communication interviendra avant le 15 mars 2024.
Comité d'organisation du colloque
- Didier Blanc, professeur de droit public, IRDEIC, Université Toulouse Capitole, vice- président de l'AFEE
- Marc Blanquet, professeur de droit public, IRDEIC, Université Toulouse Capitole, Chaire Jean Monnet ad personam
- Olivier Blin, maître de conférences HDR en droit public, IRDEIC, Université Toulouse Capitole,
- Estelle Fohrer-Dedeurwaerder, maître de conférence HDR en droit privé, IRDEIC, Université Toulouse Capitole
- Estelle Gallant, professeur de droit privé, IRDEIC, Université Toulouse Capitole, vice- président des relations internationales
- Hélène Gaudin, professeur de droit public, Université Toulouse Capitole, directrice de l'IRDEIC
[1] A cet égard, un même objet, tel que la protection de l'Etat de droit largement entendue, peut posséder un caractère transversal et relever de tous les axes.
[2] « Objet », www.dictionnaire-academie.fr.