Présentation
Le colloque vise à revisiter un « grand classique » du droit public européen : les rapports entre les juges constitutionnels nationaux et la CJUE. Ces rapports s'inscrivent dans la complexité du système constitutionnellement intégré que forment l'Union européenne et les Etats membres. Les juges constitutionnels nationaux et la Cour de justice forment un Verfassungsgerichtsverbund, à savoir « un réseau spécial des juridictions constitutionnelles », vectrices des imaginaires constitutionnels (nationaux et européens) et gardiennes des identités constitutionnelles (nationales et européenne). Ils ont pour mission commune le contrôle de l'exercice de la puissance publique et la garantie des droits fondamentaux dans un espace des valeurs partagées. Ils participent au mouvement dit de « judiciarisation du politique » (judicialization of politics) en Europe, lequel entraine une montée en puissance des juges constitutionnels et suprêmes dans la vie publique, les processus politiques et la définition des grands choix de société.
Les rapports entre les juges constitutionnels nationaux et la Cour de justice sont, dans les années récentes, traversés par des tensions largement médiatisées. Ainsi, un éditorial de The Economist, dressait une analogie entre la théorie de Calhoun – selon laquelle les Etats fédérés américains disposaient d'un droit de « nullification » à l'égard des actes du pouvoir fédéral – et la soi-disante « résistance » des juridictions constitutionnelles nationales, notamment à propos de l'arrêt Weiss de la Cour constitutionnelle allemande. Par ailleurs, l'appel formulé par quatre membres des juridictions constitutionnelles nationales en faveur de la mise en place d'un « renvoi préjudiciel inversé » afin que l'identité constitutionnelle nationale soit mieux prise en compte par la Cour de justice, irait aussi dans le sens d'une volonté de « reprise de contrôle » de l'intégration européenne par le niveau national.
Il faut néanmoins garder à l'esprit que les attitudes des juges constitutionnels nationaux sont variables et, souvent, bien plus complexes et subtiles que leur présentation dans les médias laisse croire. Régulièrement sous les feux des projecteurs, la Cour constitutionnelle allemande, « meilleure alliée » de la Cour de justice selon le Président Lenaerts, se montre pourtant capable d'exprimer un profond désaccord de fond et de déclarer un arrêt de la Cour de justice ultra vires. Sa démarche dans l'arrêt Weiss a d'ailleurs été trop hâtivement rapprochée de celle du Tribunal constitutionnel polonais défiant l'autorité de la Cour de justice et de sa jurisprudence sur l'indépendance de la justice. Toutefois, il n'y a pas lieu de confondre résistance -certes forte- par la Cour constitutionnelle allemande (ou encore par la Cour constitutionnelle tchèque qui avait refusé l'application de l'arrêt de la Cour de justice dans l'affaire des pensions slovaques) et rupture du dialogue des juges, par le Tribunal constitutionnel polonais, dans un contexte hautement politisé. D'autres attitudes sont davantage constructives. Ainsi la Cour constitutionnelle italienne a été à l'origine d'un dialogue musclé mais sincère qui a amené la Cour de justice à « préciser » son interprétation du traité (« saga Taricco »). Quant à la Cour constitutionnelle roumaine, si elle a déclaré un arrêt de la Cour de justice incompatible avec la Constitution nationale, elle a invité le pouvoir constituant à en tirer les conclusions.
Par ailleurs, il y a lieu de souligner l'ouverture « européenne » du Conseil constitutionnel français et du Tribunal constitutionnel espagnol, ouverture accompagnée de la formulation des limites constitutionnelles à l'application du droit de l'Union. Enfin, mérite d'être relevée la loyauté de la Cour constitutionnelle belge à l'égard de la Cour de justice et son utilisation stratégique du droit de l'Union et du mécanisme du renvoi préjudiciel.
Ces quelques exemples montrent que la thématique des rapports entre les juges constitutionnels nationaux et la Cour de justice ne peut être réduite au seul débat sur la primauté du droit de l'Union ou des Constitutions nationales. Elles révèlent les ressources multiples du pluralisme constitutionnel mais aussi les limites et les défis que celui-ci connaît. Ainsi, la thématique des rapports entre juges constitutionnels nationaux et CJUE, ancienne, s'avère profondément renouvelée, comme le colloque devrait le montrer.
Programme
9h00 : Accueil des participants - Welcoming of participants
9h15 : Propos introductifs - Introductory remarks
Anastasia Iliopoulou-Penot et Francesco Martucci, Professeurs à l'Université Paris-Panthéon-Assas
Matinée/Morning session
Le cadre des relations - The framework of the relationship
Présidence/Chair : Anne Levade, Professeur à l'Université Paris Panthéon-Sorbonne
9h30 : Le moment calhounien de l'Union ? - The EU's Calhounian moment ?
Giuseppe Martinico, Professeur à la Scuola Superiore Sant'Anna, Pisa
Comment une réflexion menée sur la primauté dans une Fédération pourrait éclairer la question complexe de la primauté soit du droit constitutionnel soit du droit de l'Union - The way a reflection on primacy in a Federation could shed light on the complex question of the primacy of either constitutional law or Union law
Olivier Beaud, Professeur à l'Université Paris-Panthéon-Assas
The new constitutional identity of the EU in the context of constitutional conflict - La nouvelle identité constitutionnelle de l'Union dans le contexte de conflit constitutionnel
Ana Bobic, Référendaire à la Cour de Justice de l'Union Européenne, Affiliate Research Fellow at the Jacques Delors Centre, Hertie School
Discussion
11h15 : Pause- café/Coffee break
Les instruments/Instruments
Présidence/Chair : François-Xavier Millet, Professeur à l'Université des Antilles
11h30 : Le renvoi préjudiciel - Preliminary ruling mechanism
Jordane Arlettaz, Professeur à l'Université de Montpellier
Ultra vires review : a borderline instrument - Le contrôle ultra vires : un instrument « limite »
Mattias Wendel, Professeur à l'Université de Leipzig
Le respect des identités constitutionnelles - Respect for constitutional identities
Ernő Varnay, Professeur chercheur à l'Institut des sciences juridiques (Institute for Legal Studies) de Budapest
Discussion
13h15 : Pause déjeuner/Lunch break
Après-midi/Afternoon session
Illustrations/Thematic approach
Présidence/Chair : Fabrice Picod, Professeur à l'Université Paris-Panthéon-Assas, directeur du Centre de Droit Européen
14h30 : Le droit pénal/Criminal Law - Le cas italien/The Italian case
Francesco Vigano, Professeur à l'Università Bocconi Milano, Juge à la Cour constitutionnelle italienne
L'Etat de droit /Rule of Law - Le cas polonais/The Polish case
Robert Grzeszczak, Professeur à l'Université de Varsovie
Michal Wiacek, doctorant à l'Université de Varsovie
Le cas roumain/The Romanian case
Elena-Simina Tanasescu, Professeur à l'Université de Bucarest et juge à la Cour constitutionnelle de Roumanie
The Charter of Fundamental Rights as a Yardstick of Review for Constitutional Courts : The German Data Protection Judgments in Comparative Perspective - La Charte des droits fondamentaux comme norme de contrôle pour les Cours constitutionnelles : les arrêts allemands sur la protection des données dans une perspective comparative
Clara Rauchegger, Senior Assistant Professor of EU Law and Digital Technology Law, University of Innsbruck
Discussion
17h30 : Clôture
Renseignements et inscription obligatoire : bernadette.lafon@u-paris2.fr
Tél. : 01 44 39 86 32
Colloque organisé par Le Centre de droit européen, Université Paris-Panthéon-Assas, sous la direction des professeurs Anastasia Iliopoulou-Penot et Francesco Martucci