Présentation
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
- Article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 - En septembre 2021, le Président de la République Emmanuel Macron, dans une lettre de mission adressée à la Commission Bronner, jugeait que « si nous ne faisions rien, le phénomène de déstructuration du paysage de l'information, que l'accès aux réseaux sociaux et plateformes de partage de vidéos dès le plus jeune âge ne cesse d'amplifier, peut emporter ce que nous avons de plus précieux : notre cohésion nationale, notre système démocratique hérité des Lumières. ». Le 11 janvier 2022, s'appuyant sur le rendu des travaux de la Commission, l'Elysée a manifesté le souhait de « lancer une série de chantiers qui ont vocation à faire de la France un pays pionnier dans la lutte contre la désinformation ». Ainsi, les pouvoirs publics semblent se saisir du phénomène de la manipulation de l'information pour y porter remède.
Cette mobilisation s'inscrit dans un contexte particulier. En effet, comme le rappelle le Président de la République, les moyens d'information et de communication connaissent une réelle mutation notamment par l'omniprésence des réseaux sociaux et le déclin des médias traditionnels. Cette mutation se transpose dans notre rapport à la vérité, aux faits et à la construction de notre opinion. Ainsi, sur fond de révolution numérique et d'un élargissement de l'accès à l'information, la société se trouve bouleversée et même divisée par une dérive qui touche nos différentes perceptions des faits et a fortiori les fondements de notre démocratie.
En outre, les conséquences de ce puissant phénomène sont réelles et perceptibles. En effet, celui-ci se traduit, en France et dans le Monde, par une adhésion croissante aux thèses complotistes (notamment chez les plus jeunes) ainsi que par l'accumulation des événements de manipulation de l'information. En contribuant largement à la perturbation des processus électoraux (ex : infox durant la campagne présidentielle américaine de 2016, durant la campagne du Brexit en 2016, ou la campagne présidentielle française de 2017), et en étant détonateur d'affrontements en temps de crise pandémique (mouvement anti-vaccin) et de crise démocratique (invasion du capitole américain), la manipulation de l'information devient donc un enjeu crucial notamment dans le cadre de l'exercice démocratique du vote et du principe cardinal de sincérité du scrutin.
Aussi, il est complexe de définir avec précision cette altération de la démocratie. La première raison est que la manipulation de l'information comprend en elle seule de multiples notions (désinformation, fake news, fausses informations, ingérences étrangères, infox, théories du complot) parfois confuses, similaires, ou objets de controverses. Il conviendra donc de déterminer le sens pour chacune d'entre elles. La seconde est qu'il s'agit d'un phénomène en perpétuelle mutation et qui touche par ailleurs de nombreux domaines (vie privée, économie, défense nationale, politique, débat public, etc.).
Face à une dérive de la multiplication des flux d'informations, de nombreux mécanismes de protection ont été introduits dans le droit positif européen et national : La loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information, prenant acte de l'existence de campagnes massives de diffusion de fausses informations au sein des campagnes électorales et de l'insuffisance du droit à y répondre, avait pour ambition d'engager une évolution majeure de l'arsenal juridique. Au sein des motifs de cette loi, trois axes de réformes ont été explicitement dégagés : le premier sur l'instauration de nouveaux outils permettant de lutter contre la diffusion de fausses informations en période électorale, le second, a priori, sur le renforcement des obligations de transparence soumises aux plateformes, et le troisième, a posteriori, sur les sanctions judiciaires à imposer dans de courts délais. Ainsi, pour lutter contre la manipulation de l'information, de nouveaux outils existent depuis l'adoption de cette loi (référé « anti fakes-news » devant le juge civil, suspension administrative de la diffusion, modification du référé administratif audiovisuel, coopération renforcée avec les prestataires et diffuseurs etc…). Ils viennent compléter les dispositions préexistantes de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui prévoit, en son article 27, une sanction contre « la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de fausses nouvelles, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, fait de mauvaise foi, elle aura troublé l'ordre public ou aura été susceptible de le troubler » et certaines dispositions plus spécifiques du Code Pénal relatives à l'intelligence avec une puissance étrangère, l'usurpation d'identité, ou l'atteinte à la sécurité nationale.
Dans le même temps, d'autres mécanismes existent. En effet, le contrôle de la manipulation de l'information est également effectué par des acteurs tels que l'ARCOM, autorité publique indépendante, chargée de sanctionner la désinformation et d'émettre des recommandations. En ce sens, un rapport a été publié en novembre 2022 par cette institution sur les moyens mis en œuvre par les opérateurs de plateforme en ligne pour lutter contre la manipulation de l'information en 2021. Il visait à dresser le bilan de la loi de 2018 et à faire état des moyens effectivement déployés par les opérateurs de plateformes.
En sus, des mécanismes d'ordre déontologique mais avec une faible portée juridique sont portés par des médias traditionnels et certaines associations pour s'assurer de l'authenticité d'une information (ex : cellules de fact-checking…).
Toutefois, le phénomène auquel nous assistons interroge sur la nécessité d'imposer des « procédures de vérification » pour déterminer la véracité d'une information. Justifiée par la sauvegarde de la démocratie, l'existence de tels mécanismes de contrôle de l'information connaît le risque d'y porter atteinte de manière concomitante.
Enfin, la lutte contre la manipulation de l'information doit être mise en parallèle avec la liberté d'expression. Si la liberté d'expression est un principe démocratique, consacré et protégé sur le plan constitutionnel et juridique (article 19 DUDH, article 10 de la CEDH, article 10 et 11 de la DDHC), il n'est pour autant pas absolu puisque la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et le Code Pénal posent des limites (sanction des propos illicites…).
En conséquence, la conciliation entre la liberté d'expression et la lutte contre la désinformation, « talon d'Achille » de ce dernier, représente un enjeu majeur dans la préservation et la promotion de nos principes et valeurs démocratiques.
Multitude de sanctions, la lutte contre la manipulation convoque également une multitude d'acteurs pluridisciplinaires (juge judiciaire, juge constitutionnel, autorité administrative, plateformes privées, institutions démocratiques, etc.).
Dans ce contexte, les étudiants du Master 2 Droit Public général et contentieux publics de la Faculté de Droit de Lille ont ainsi le plaisir d'organiser un colloque portant sur le sujet « La lutte contre la manipulation de l'information ». Cet événement, proposé sous la direction scientifique de Jean-Philippe Derosier et Emmanuel Cartier, professeurs de Droit public à l'Université de Lille, se tiendra le vendredi 24 mars 2023, dans les locaux de la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales. Le présent colloque est ouvert à tous les cadres disciplinaires, aux chercheurs comme professionnels et responsables politiques, ainsi qu'aux étudiants de Master. Sont attendues des contributions scientifiques qui s'inscrivent dans les axes et thématiques du colloque.
Pour définir les contours du régime français de lutte contre la manipulation de l'information et sa pertinence du fait de l'évolution du phénomène des fausses nouvelles, différents acteurs interviendront dans ce colloque (universitaires, journalistes, parlementaires, acteurs institutionnels…). L'objet de ce colloque vise d'une part à identifier le contexte et les conséquences de la manipulation de l'information ainsi que les mécanismes et les moyens de lutte contre ce phénomène, et d'autre part, à appréhender l'encadrement juridique sur le plan du droit interne, européen et international ainsi que son efficacité. Une attention particulière portera sur la conciliation du principe démocratique de liberté d'expression et la lutte contre la manipulation de l'information dans une société démocratique. Finalement, l'ambition de ce colloque est de réfléchir à une possible adaptation du droit face à la multiplication des flux d'informations et l'affaiblissement de la démocratie qui en résulte.
Programme
9h00 : Accueil des participants et du public
9h30 : Propos introductifs
Marin Vuillefroy de Silly et Christian Malengele, Etudiants du Master 2 Droit public et contentieux publics de l'Université de Lille
I - La manipulation de l'information, un phénomène évolutif et source d'enjeux majeurs
Président de séance : Emmanuel Cartier, Professeur de Droit public, Université de Lille
A - La manipulation de l'information dans la construction de l'opinion publique : genèse et développement
9h45 : Aux origines de la manipulation de l'information
Louis de Carbonnieres, Professeur d'Histoire du Droit et des Institutions, Université de Lille
Le phénomène exponentiel de la manipulation de l'information : circulation numérique de l'information et construction des opinions au XXIème siècle
Laurence Favier, Professeur de sciences de l'information et de la communication, Université de Lille
10h15 : Débats et pause
B - Regards croisés sur les conséquences de la manipulation de l'information
11h00 : Table ronde
Animée par Jean-Philippe Derosier, Professeur de Droit public, Université de Lille
Avec :
Vincent Cattoir-Jonville, Professeur de Droit public, Université de Lille
Jean-Claude Planque, Maître de conférences en Droit privé et sciences criminelles, Université de Lille
Felix-Christopher Von Nostitz, Maître de conférences en science politique et co-responsable du Master Digital Politics and Governance à ESPOL, Université Catholique de Lille
Juliette Mansour, Journaliste à l'Agence France Presse au sein de la cellule de Fact checking
Ugo Bernalicis, Député du Nord
12h15 : Débats
12h45 : Déjeuner
II - L'efficacité et les perspectives des moyens de lutte contre la manipulation de l'information
Président de séance : Jean-Philippe Derosier, Professeur de Droit public, Université de Lille
14h15 : Etude comparée des systèmes de lutte contre la manipulation de l'information : l'exemple des Etats-Unis
Mélissa Coulibaly, Doctorante en Droit public, Université de Lille
Quel arsenal juridique et extra-juridique pour lutter contre la manipulation de l'information en France ?
Camilla Feliz De La Cruz et Noa Landau, Etudiantes en Master 2 Droit public général et contentieux publics, Université de Lille
14h45 : Pause
Juger la manipulation de l'information : mission impossible ? Etude des limites et de l'efficacité des moyens existants
15h00 : Table ronde
Animée par Emmanuel Cartier, Professeur de Droit public, Université de Lille
Avec :
Benoît Loutrel, Membre du collège de l'ARCOM
Laurent Domingo, Maître des requêtes au Conseil d'Etat
Agnès Granchet, Maîtresse de conférences à l'Institut Français de Presse de l'Université Paris 2 Panthéon-Assas
Marcel Moritz, Maître de conférences en Droit public, responsable du master Droit du numérique, Université de Lille
Delphine Chauchis, Présidente de la 17ème Chambre du Tribunal Judiciaire de Paris
17h00 : Bilan et perspectives des moyens de lutte contre la manipulation de l'information : la nécessité d'une mutation du droit ?
Bertrand Warusfel, Membre de la Commission Bronner et professeur de Droit public, Université Paris VIII
17h20 : Clôture du colloque
Inscription obligatoire : https://docs.google.com/forms/d/1GZHD6r6GQc-vuxO4thcDGRKvDsDfRit7dCy2qYzyoIE/edit
Organisé pour le CRDP, Université de Lille par les étudiants du Master 2 de Droit public et contentieux publics, sous la codirection scientifique d'Emmanuel Cartier et Jean-Philippe Derosier