La reconnaissance

Appel à communication

La reconnaissance

Onzième colloque des doctorants et jeunes docteurs de l'École doctorale 101, Université de Strasbourg, 28 juin 2024

Date limite le lundi 19 fév. 2024

Les doctorants et jeunes docteurs de l'Ecole doctorale des sciences juridiques (ED 101) de l'Université de Strasbourg en collaboration avec la direction de l'Ecole doctorale, la direction de la Fédération de recherche L'Europe en mutation et l'Association des doctorants et jeunes docteurs en Droit, Histoire et Science politique de l'Université de Strasbourg (DEHSPUS), organisent la onzième édition du Colloque des doctorants et jeunes docteurs de l'Ecole doctorale.

Ce colloque s'inscrit dans la tradition des éditions précédentes en ayant vocation à permettre aux doctorants et jeunes docteurs de valoriser leurs travaux de recherche en présentant une communication qui fera l'objet d'une publication.

Une journée sera consacrée à l'étude du thème suivant : « La reconnaissance ». Cette édition suivra l'approche de la précédente et sera centrée sur les échanges entre jeunes chercheurs. Ainsi, les temps d'échanges seront favorisés par rapport aux temps de communication afin d'encourager une réflexion commune sur le thème étudié.

 

Appel à communications :

Dans son sens commun, la reconnaissance désigne l'« action de reconnaître quelqu'un, quelque chose »[1] , c'est-à-dire de « poser que quelqu'un ou quelque chose est tel qu'il est ou qu'il se prétend être »[2]. A ce premier niveau d'abstraction, moins que les juristes, ce sont davantage les philosophes et les psychologues qui pourraient légitimement parler de la reconnaissance. Celle-ci est, dans cette optique, un élément éminemment relationnel : elle suppose au moins deux individus - ou un individu et un groupe le reconnaissant comme tel - et un acte unilatéral. Les philosophes et les sociologues, notamment Axel Honneth, Nancy Fraser, Paul Ricœur ou encore Serge Paugam, ont souligné l'importance de cet acte pour la construction de l'identité individuelle[3]. Avant eux, Hegel avait fait du concept un élément essentiel de sa philosophie[4]. Ainsi, bien que cet appel s'inscrive dans le champ des sciences juridiques, la notion étudiée oblige à mobiliser toutes les connaissances propres au vaste champ des sciences humaines et sociales. Si l'appartenance à un groupe est essentielle au développement d'une identité, la reconnaissance est une notion dont l'étude par-delà le droit est nécessaire, bien que non suffisante. Il faut en effet remarquer que la reconnaissance est également construite par le jeu de structures et d'instruments juridiques, par des formes institutionnalisées d'un acte, dont on a souligné le caractère éminemment social. On touche alors à des questions plus familières au juriste : Qui faut-il reconnaître ? Par le biais de quels instruments ? Sous quelles conditions ?

Du point de vue de la théorie du droit, la reconnaissance peut être perçue comme un élément de diversification des énoncés juridiques contemporains. L'analyse de Véronique Champeil-Desplats est particulièrement éclairante à ce sujet : selon cette auteure, « les ordres juridiques ne se contentent plus de permettre, d'obliger ou d'interdire. Ils préconisent plus simplement de reconnaître, de déclarer, de recommander, d'inciter, d'encourager, de favoriser ou de promouvoir »[5]. Si cette inclinaison peut être comprise comme une manifestation de l'engagement des ordres juridiques dans l'ère post-moderne[6], il reste qu'elle entre en contradiction avec le traditionnel principe de normativité de la loi. C'est ainsi que le Conseil constitutionnel a pu considérer, à propos d'une loi visant à réprimer la contestation de l'existence de génocides reconnus par la loi : « qu'une disposition législative ayant pour objet de “reconnaître” un crime de génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s'attache à la loi »[7].

L'intérêt de la notion de reconnaissance ne s'épuise cependant pas à ce phénomène de diversification des énoncés juridiques, car le terme de reconnaissance est aussi largement employé au sein du droit positif. Sans prétendre à l'exhaustivité, il est possible de penser à la reconnaissance d'un enfant, d'une dette, d'un Etat ou d'un gouvernement, autant qu'à la reconnaissance de l'utilité publique d'une association, ou encore d'un jugement d'une juridiction étrangère. Selon les cas, la reconnaissance peut porter sur une situation de fait ou de droit. Ainsi, ici aussi, la notion dont on constate la polysémie peut être mieux comprise par sa caractéristique centrale : elle désigne un acte unilatéral provenant, aussi bien d'une personne, d'une autorité publique que d'un Etat[8]. Pour Laurent Leveneur, deux variables de cette notion peuvent cependant être identifiées[9]. La première serait celle de la liberté de l'auteur de cet acte. Si certaines formes de reconnaissances sont réalisées avec une liberté importante, pour d'autres elle est largement réduite. La seconde, celle de l'effet de l'acte sur la situation reconnue. A ce titre, la reconnaissance est souvent déclarative, c'est-à-dire qu'elle se borne à constater une situation reconnue sans la modifier juridiquement. Toutefois, elle peut également se révéler constitutive, en établissant une situation juridique nouvelle. Une autre façon de présenter cette alternative est de distinguer la reconnaissance comme processus et comme résultat[10]. Au-delà de ces considérations générales, cette notion peut également être saisie par sa présence au sein des différentes sous-disciplines juridiques.

La reconnaissance occupe une place centrale en droit civil. A titre d'illustration, dans le domaine de la filiation, la reconnaissance joue un rôle primordial. La reconnaissance volontaire ou encore la reconnaissance conjointe anticipée, par exemple, soulèvent des questions sur les droits et obligations qui en découlent. Elle interagit également avec d'autres modes d'établissement de la filiation, comme la reconnaissance judiciaire dont peuvent être étudiés les répercussions directes sur les parties impliquées, en particulier l'enfant. S'agissant des obligations contractuelles, la reconnaissance de dette, par exemple, influence profondément les relations entre le créancier et le débiteur. Il est d'ailleurs loisible de l'envisager sous différentes perspectives : la reconnaissance pourrait-elle, à titre d'illustration, être envisagée comme gratitude ? Pourrait-elle, alors, servir de contrepartie en matière contractuelle ? Dans le même souffle, la reconnaissance peut également influencer la dynamique même d'un contrat, donnant naissance à des implications juridiques parfois inattendues qu'il est passionnant d'explorer. Les droits individuels ne sont pas en reste. La reconnaissance d'un préjudice, par exemple, ou encore la reconnaissance d'un statut juridique particulier comme celui de tuteur, curateur ou mandataire, sont autant d'aspects du droit civil où la reconnaissance joue un rôle déterminant. La reconnaissance a également des ramifications procédurales intéressantes. Elle peut influencer la conduite d'un procès, sa conclusion, et même déterminer la nature et la force des preuves et des aveux présentés.

En droit international, la reconnaissance désigne, avant tout, l'acte unilatéral par lequel un Etat - ou une organisation internationale - accepte pour vrai et déclare comme tel un fait ou un statut juridique. Est alors soulevée la problématique classique, mais demeurant actuelle, de la reconnaissance d'Etat, et avec elle, la question de ses effets, de l'étendue de son caractère discrétionnaire et des limites que lui impose le droit international[11]. L'actualité nous montre les risques d'instrumentalisation d'une telle reconnaissance au travers de l'exemple de la reconnaissance par la Russie de l'indépendance des territoires séparatistes du Donbass, afin de tenter de justifier l'invasion de l'Ukraine en 2022[12]. Une seconde problématique classique entoure la question de la reconnaissance de gouvernement. Cette problématique peut être illustrée par la question de la reconnaissance des talibans comme gouvernement de l'Afghanistan[13]. Par-delà ses problématiques, le terme de « reconnaissance » peut également trouver un second sens en droit international, au travers d'une identification, à la suite d'Emmanuelle Tourme Jouannet, d'une nouvelle branche du droit international : le droit international de la reconnaissance[14]. Ce dernier découlerait de la prise en considération juridique « de l'Autre dans ce qui fait à la fois sa dignité et son identité » et correspondrait à la recherche d'une reconnaissance par le droit international des « revendications liées au genre, à la nation, aux langues, à l'histoire, aux cultures ou aux religions »[15]. L'analyse de la reconnaissance en droit international amène alors à se pencher sur les évolutions de la prise en considération de nouveaux acteurs et sujets en droit international. Elle appelle également l'analyse de la reconnaissance des crimes internationaux, passés et actuels, qui s'accompagne des questionnements en termes d'intertemporalité du droit international.

En droit de l'Union européenne, la reconnaissance s'accompagne généralement du vocable « mutuelle ». Il est alors question pour les Etats membres de reconnaître sur leur territoire les effets de l'application de la loi du pays d'origine des marchandises, dès lors que lesdites marchandises sont conformes à la loi de leur pays d'origine. Il s'agit de l'élément central de la doctrine que la Commission a tiré de l'arrêt Cassis de Dijon[16]. Cette notion est conflictuelle parce qu'elle advient sous le regard de la réalisation du marché unique : son application « met en concurrence l'ordre juridique européen et l'ordre juridique national », d'abord, et conduit à une mise en concurrence des droits nationaux, ensuite[17]. Plus généralement, Maria Fartunova-Michel et Claire Marzo remarquent que la Cour de justice a pu inscrire « la reconnaissance mutuelle dans un discours légitimant la construction européenne et les obligations qui en découlent à l'égard des Etats membres»[18]. Outil jurisprudentiel, la reconnaissance mutuelle deviendra une véritable doctrine. Toutefois, cet outil se complexifie par ailleurs et appelle à des clarifications. S'agit-il d'une véritable technique d'intégration ? Comment trouve-t-elle alors à se structurer avec la confiance mutuelle ? S'agit-il encore, d'un simple outil, d'une méthode ou d'un principe ? Est à noter par ailleurs que, si la reconnaissance mutuelle trouve à s'appliquer dans le domaine de la libre circulation des marchandises, elle le dépasse également pour s'appliquer à celui des diplômes ou encore des jugement - dans le cadre de la coopération judiciaire en matière civile et pénale.

Ces quelques éléments laissent voir une première caractéristique de la reconnaissance : largement employée, elle recouvre différentes formes, ce qui donne toute sa pertinence à un effort de clarification de son sens. Après en avoir balisé les contours, il est possible de chercher à en clarifier les effets et la portée. Ses utilisations contemporaines invitent également à faire de la reconnaissance un véritable outil de compréhension, permettant de sonder les modifications du rapport au droit des différents ordres juridiques. Au regard de sa nature polysémique ainsi qu'à la richesse de sa définition, la reconnaissance constitue un champ d'investigation riche en perspectives.

 

Consignes scientifiques :

Cet appel à communications s'adresse exclusivement aux doctorants et jeunes docteurs.

Bien qu'il propose certaines pistes de réflexion, celles-ci ne sont ni exhaustives, ni exclusives. Plus encore, si ce colloque s'inscrit dans le champ des sciences juridiques, le comité accueille les contributions qui mobiliseront d'autres sciences humaines et sociales à titre principal, ou dans une optique interdisciplinaire.

Une seule proposition de contribution sera examinée par personne. La proposition comporte un maximum de 800 mots (hors bibliographie) , au format Word, et sera accompagnée d'une bibliographie et d'un curriculum vitae. L'ensemble doit être adressé avant le 19 février à l'adresse suivante : colloque.ed101.2024@gmail.com

Les doctorants et jeunes docteurs dont les communications auront été sélectionnées en seront informés par courriel en mars.

Les contributions peuvent être réalisées en français ou en anglais. Les versions définitives devront être transmises au comité scientifique avant le jour du colloque. Ces contributions seront valorisées par la publication des actes du colloque.

Les frais afférents au voyage et au séjour à Strasbourg sont pris en charge par les organisateurs du colloque.

 

Comité scientifique :

  • Mme. Estelle Beauvillain, ATER à l'Université de Strasbourg
  • Mme. Julie Dagher, Assistante-chercheur à l'Université de Strasbourg
  • M. Samuel Fulli-Lemaire, Professeur à l'Université de Strasbourg, Directeur de l'école doctorale 101
  • Mme. Johanna Galmiche-Ferhati, Doctorante en contrat CIFRE à l'Université de Strasbourg
  • M. Auguste Ndir, Doctorant contractuel à l'Université de Strasbourg
  • Mme. Delphine Ott, ATER à l'Université de Strasbourg
  • Mme. Céline Pauthier, Professeure à l'Université de Strasbourg, Directrice adjointe de l'école doctorale 101
  • Mme. Delphine Porcheron, Maître de conférences à l'Université de Strasbourg, Directrice adjointe de la Fédération de recherche
  • Mme. Aurélie Tragus, Doctorante contractuelle à l'Université de Strasbourg
  • M. Bruno Trescher, Professeur à l'Université de Strasbourg, Directeur de la Fédération de recherche

 

[1] CNTRL, Trésor de la langue française informatisé, sub verbo « reconnaissance », www.cnrtl.fr/definition/reconnaissance. consulté le 16 novembre 2023.

[2] Ibid., sub verbo « reconnaître ». www.cnrtl.fr/definition/reconnaître. consulté le 16 novembre 2023.

[3] N. Fraser, A. Honneth, Redistribution or Récognition? A Political-Philosophical Exchange, London, New York, Verso, 2003 ; P. Ricœur, Parcours de la reconnaissance, Folio. Essais, Paris, Gallimard, 2004; S. Paugam, Le lien social, 5e éd., coll. Que sais-je ?, Paris, PUF, 2022.

[4]  G.W.F. Hegel, La phénoménologie de l'esprit, Paris, Flammarion, 2012. V. not. A. Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, coll. Tel, Paris, Gallimard, 2017.

[5] V. Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, 3ème éd., coll. Méthodes du droit, Paris, Dalloz, 2022, p.286. C'est nous qui soulignons.

[6] J. Chevallier, « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique », RDP, n°3, 1998, p.659.

[7] Conseil constitutionnel, Décision n° 2012-647 DC, 28 février 2012, Loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi, considérant 6.

[8] D. Alland, S. Rials, (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, coll. « Quadrige »,PUF, 2003, sub verbo « reconnaissance », p.1303.

[9] Ibid.

[10] L. d'Avout, « La reconnaissance dans le champ des conflits de lois », TCFDIP, 2016-2018, p. 215-236, n° 11.

[11] D. Alland, S. Rials, (dir.), op. cit., p.43-51.

[12] « Crise ukrainienne : au Conseil de sécurité de l'ONU, la plupart des membres condamnent la décision de Poutine », Le Monde.fr, 21 février 2022, www.lemonde.fr/international/article/2022/02/21/ukraine-moscou-juge-premature-d- organiser-un-sommet-entre-vladimir-poutine-et-joe-biden 6114590 3210.html, consulté le 16 novembre 2023.

[13] « Afghanistan : Guterres juge inacceptable l'interdiction de travailler pour les femmes », ONU Info, 2 mai 2023, https://news.un.org/fr/story/2023/05/1134712. consulté le 16 novembre 2023.

[14] E. Tourme Jouannet, « Le droit international de la reconnaissance », in E. Tourme Jouannet, H. Muir Watt, O. De Frouville, J. Matringe (dir.), Droit international et reconnaissance, Paris, Editions Pedone, 2016, pp.7-38.

[15] Ibid., p.7.

[16] CJCE, 20 février 1979, Rewe-zentral AG c./ Bundesmonopolverwaltung für Branntwein, aff. 120/78, EU:C:1979:42. Remarquons que dès 1957, les traités originels mobilisent la notion dans l'objectif de faciliter la réalisation de la liberté d'établissement par le jeu de l'adoption de directives en matière de reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres ( V. par exemple l'article 57 du traité de Rome).

[17] M. Fartunova-Michel, C. Marzo, « La notion de reconnaissance mutuelle », in M. Fartunova-Michel (dir.), Les dimensions de la reconnaissance mutuelle en droit de l'Union européenne, coll. Droit de l'Union européenne, Colloques, Bruxelles, Bruylant, 2018, p. 19.

[18] Ibid., p.15