La reconnaissance constitutionnelle de l’indépendance, de l’impartialité et de la compétence juridictionnelles de la magistrature judiciaire est l’aboutissement d’un processus séculaire de l’intervention de l’État dans la maîtrise des litiges et de la répression pénale. L’indépendance juridictionnelle n’interdit pas une réflexion sur le service public de la justice, notamment sur l’égalité d’accès au juge, la célérité de la procédure, les ressources financières de l’institution, sa performance, la transparence de son action publique, ou encore l’évaluation de la charge de travail des magistrats. Pourquoi l’autorité judiciaire n’a-t-elle jamais été indépendante dans l’administration générale des tribunaux et de leur équipement ? Comment s’est réalisée la mutation du contrôle législatif de l’activité juridictionnelle, vers celui, administratif, de l’organisation du service public judiciaire ? Comment le pouvoir exécutif gère-t-il l’organisation judiciaire sans pénétrer l’indépendance dans l’acte de juger ? Enfin, quels principes du service public structurent l’activité administrative des juridictions judiciaires ? Le devoir régalien de rendre justice à tous les usagers qui la saisissent dans l’État unitaire, a conduit les pouvoirs publics à réorganiser le pouvoir judiciaire de l’Ancien régime en ordre judiciaire fonctionnarisé. La centralisation administrative a donné un corpus de lois écrites d’application erga omnes et une organisation judiciaire unifiée sur l’ensemble du territoire. Le statut dérogatoire de la magistrature dans la fonction publique d’État préserve l’acte de juger, en précisant la situation administrative des magistrats. Agents publics relevant du ministère de la Justice pour la gestion de leurs compétences et de leur emploi budgétaire, les magistrats judiciaires bénéficient d’une indépendance juridictionnelle dans leurs décisions sur l’action publique, l’application des lois et la sauvegarde de la liberté individuelle. L’unité de l’État est maintenue avec le pouvoir de nomination des magistrats par décret du président de la République. Le chef de l’État est garant et responsable de l’indépendance de l’autorité judiciaire devant la représentation nationale. Pour renforcer ces garanties, le Conseil supérieur de la magistrature prend une part importante dans l’administration du corps judiciaire. L’« assistant » du président de la République fixe des critères propres d’avancement des magistrats – les compétences en gestion des ressources humaines et matérielles d’un tribunal en font désormais partie – au soutien de la fonction juridictionnelle. L’imperium du juge, fraction de pouvoir régalien imposant la force exécutoire de ses décisions, se maintient dans son indépendance juridictionnelle. Cependant, les contraintes d’administration, d’organisation et de gestion du service public rendent l’exercice juridictionnel plus difficile à assumer. La solution d’isoler la fonction d’administration des juridictions, pour la confier à d’autres corps de fonctionnaires, peut s’envisager. Elle ne porterait pas, en soi, atteinte à l’indépendance juridictionnelle. Elle influerait sur la seule répartition des affaires dont la justice est saisie, car l’institution n’a plus les moyens de répondre à toutes les demandes dans le contexte contraint des finances publiques. Or, le magistrat saisi par les parties est tenu de juger. La Chancellerie a donc créé des circuits organisationnels, processuels et déjudiciarisés de dérivation des contentieux pour désengorger les tribunaux. Incitée à partager son imperium avec d’autres administrations ou organismes privés, la justice n’a plus le monopole du règlement des litiges, ni de l’exécution des décisions. Le tribunal perd de sa représentativité des rapports économiques et sociaux. Pour continuer à rendre des décisions « au nom du peuple français » dans un délai raisonnable, le modèle juridictionnel régalien doit être soutenu par un modèle organisationnel de bonne administration de la justice.