Présentation
L’ouvrage contient les actes d’un colloque international dont l’objet était d’étudier les rapports complexes qu’entretiennent les droits subjectifs et la citoyenneté d’un point de vue philosophique, historique et juridique, à l’échelle à la fois nationale et supranationale, européenne en particulier. Ces deux notions majeures du lexique juridique et politique moderne ont des histoires différentes, mais entrelacées : le sujet politique moderne se définit à la fois par son statut de titulaire de droits et par sa qualité de citoyen. Toutefois, leurs rapports sont controversés, comme on le voit à la lecture de l’ouvrage. Ces deux notions sont-elles indissociables, notamment depuis que la citoyenneté a été entièrement refaçonnée par la problématique des droits de l’homme ? Ou bien y a-t-il entre elles une contradiction qui hante les démocraties modernes et que les difficultés de la construction d’une identité européenne soulignent particulièrement ?
Les éditeurs du volume :
Olivier Beaud, professeur de droit public à l'Université de Panthéon-Assas (Paris II), directeur de l'Institut Michel Villey. – Publications récentes : La République injuriée, PUF, 2019 ; avec Cécile Guérin-Bargues, L'état d'urgence, LGDJ-Lextenso, 2016 ; Théorie de la Fédération, PUF, 2007.
Catherine Colliot-Thélène, professeure émérite de philosophie à l’Université de Rennes 1. – Publications récentes : Que reste-t-il de Marx ?, PUR, 2017 ; (avec F. Guénard et P. Rosanvallon) Peuples et populisme, PUF, 2014 ; La démocratie sans « demos »,PUF, 2011.
Jean-François Kervégan, professeur émérite de philosophie à l’Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne. – Publications récentes : Explorations allemandes, CNRS Editions, 2019 ; La raison des normes. Essai sur Kant, Vrin, 2015 ; Que faire de Carl Schmitt ?, Gallimard, 2011. Traduction des Principes de la philosophie du droit de Hegel (PUF, 3e édition augmentée, 2013).
Liste des contributions (par ordre alphabétique des noms d’auteurs) :
Caroula Argyriadis-Kervégan : Droits subjectifs et théories holistes de la société : Althusius, Gierke, Duguit.
Les théories holistes de la société considèrent que l’individu, avant d’être titulaire de droits subjectifs, occupe une place spécifique dans l’édifice social. Rejoint sur certains points par L. Duguit, O. von Gierke, dans le prolongement de la théorie du droit symbiotique d’Althusius, considère que les droits subjectifs sont un trait de l’Etat autoritaire, tandis que dans une société corporative, les individus sont unis dans un ordre juridique ordonné à l’intérêt général. Les deux auteurs prônent une organisation associative, voire syndicale, des intérêts particuliers.
Julien Barroche : Une citoyenneté sans conscience d’elle-même est-elle possible ? le cas de l’Union Européenne
L’Union européenne est-elle justiciable de la notion de citoyenneté ? Répondre à cette question suppose d’engager une réflexion épistémologique sur l’idée même de citoyenneté, sur la place qu’y occupe la dimension politique et sur le rôle de la conscience dans le phénomène de l’appartenance collective. À épouser la seule facette libérale de la modernité, la citoyenneté de l’Union ne tend-elle pas à éluder l’enjeu de la définition du corps politique pour mieux s’en remettre à la logique des processus économiques et des droits individuels ?
Olivier Beaud : La citoyenneté est-elle une catégorie universelle du droit constitutionnel ?
L’article entend démontrer que la citoyenneté n’est pas une notion qiu peut rendre compte du statut politique des individus dans tout État car, à la différence de la nationalité, il ne peut pas être considéré comme un concept adéquat dans les régimes autoritaire et totalitaire. Pour le démontrer, il est fait appel tant à l’histoire de la doctrine constitutionnaliste que l’étude de quelques régimes autoritaires.
Catherine Colliot-Thélène : Les droits subjectifs à l’épreuve de la solidarité sociale
L’érosion de l’État social a donné une nouvelle actualité à la critique des droits subjectifs. Cette contribution évoque diverses variantes contemporaines de cette critique. Malgré leurs différences, toutes confondent l’usage administratif des droits subjectifs comme technique d’attribution des droits et le concept originaire de droit subjectif. Ce concept permet de concevoir les droits sociaux comme partie intégrante de la citoyenneté démocratique moderne, et ils doivent être défendus comme tels.
Luigi Ferrajoli : La contradiction entre l’égalité des droits fondamentaux et la citoyenneté comme statut d’exclusion
L’article examine la tension entre la dimension universelle des droits subjectifs et le caractère toujours particulier de la citoyenneté. Issus de deux traditions différentes, ils proposent des orientations normatives qui s’avèrent contradictoires. Il propose donc de mettre en question la valeur que nous attribuons à la citoyenneté, ce dernier privilège.
Dieter Gosewinkel : Appartenance politique et droits subjectifs : la montée en puissance de la citoyenneté comme institution juridique au XXe siècle
La fréquente confrontation entre droits subjectifs et citoyenneté postule souvent une différence quant à la genèse et à la fonction des deux concepts. Cet article se situe au-delà de cette confrontation en se fondant sur le concept de “citizenship” qui saisit le développement à la fois parallèle et corrélé des droits subjectifs et de la citoyenneté. Au cours du XXe siècle, la citoyenneté progresse, emblème de l’appartenance politique, mais aussi institution juridique répartissant les droits subjectifs.
Olivier Jouanjan : Droits publics subjectifs et citoyenneté dans l’œuvre de Georg Jellinek
Cette contribution, à partir de l’œuvre de Georg Jellinek, précise d’abord la notion de droit subjectif et insiste sur le fait qu’un droit est un pouvoir sur autrui et que son concept s’entend dans la catégorie de la relation, pas de la « monade isolée ». Il s’agit ensuite de préciser la notion de droit « public » subjectif, un droit opposable à la puissance publique. À partir de là, on montre comment Jellinek construit une théorie de la citoyenneté sous deux espèces, la « citoyenneté positive » et la « citoyenneté active ».
Jean-François Kervégan : Les droits subjectifs, une composante ambiguë de la modernité
On examine la place occupée par la notion de « droit subjectif » dans la conscience de soi de la modernité. Incontestablement, la formation de ce concept, dont on examine quelques étapes, a accompagné la découverte par le monde moderne de son identité juridique, dont le manifeste sera la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Néanmoins, comme le montre un examen de la position des droits subjectifs chez Hegel, il serait sommaire d’identifier la modernité juridique sociale et politique au triomphe sans partage des droits subjectifs.
Christoph Menke: Democratic Citizenship and Subjective Rights: Marx’s Riddle
In On the Jewish Question Marx describes the bourgeois revolution as an enigmatic act – a paradox. For Marx, this paradox defines the revolutionary declaration of (human) rights: it is the political act of empowerment of the unpolitical man, and therefore the political act of the self-disempowerment of politics. Following Marx, the declaration of equal rights is the politics of de-politicization. The essay attempts to defend this thesis by drawing on the analysis of the modern form of “subjective rights” which Michel Villey has developed.
Agustin J. Menendez et Espen D. H. Olsen : European citizenship : An unhappy misunderstanding ?
Une prémisse tacite dans les débats juridiques et politiques est que la citoyenneté européenne est une forme de citoyenneté. S'appuyant sur le concept de citoyenneté dans le constitutionnalisme démocratique et social et sur l'évolution du droit communautaire, nous remettons en cause cette hypothèse. La requalification des libertés économiques en tant que droits fondamentaux les plus importants des Européens au début des années 80 a transformé la citoyenneté européenne en couverture de la primauté de la propriété privée et de la liberté d'entreprendre.
Étienne Picard : Doit-on, en droit, distinguer entre droits subjectifs et citoyenneté ?
Les deux concepts de droits subjectifs et citoyenneté sont mal identifiés en droit positif, si ce n’est par les implications concrètes dont ils sont porteurs. Mais le corpus doctrinal du droit français, privé et public, les identifie très bien pour en faire deux entités à la fois radicalement différentes et étroitement solidaires. Mais, aujourd’hui, nombreux sont les facteurs qui tendent à leur confusion conceptuelle, tandis que certains courants proposeraient plutôt de les fondre en une catégorie unitive.
Hans Jörg Sandkühler : Il n’y a que des droits subjectifs. Réflexions sur la dignité humaine, les droits humains et la démocratie des citoyens.
La différenciation entre droits objectifs et droits subjectifs paraît compréhensible. Pourquoi cette division ? La réponse se trouve dans le statut anthropologique du droit : la liberté de l’homme engendre une histoire humaine risquée ; elle est à l’origine du besoin d’un ordre qui soit fondé sur une nécessité ayant pour fonction de délivrer les hommes du relativisme lié à la subjectivité de leurs revendications morales. Les droits subjectifs deviennent des droits des sujets, c’est-à-dire des hommes assujettis. Ce n’est qu’après 1945 que les droits de l’homme seront reconnus comme des droits subjectifs. Telle est l’inversion nécessaire : C’est l’ensemble des droits subjectifs qui constitue le droit objectif.