Présentation
Depuis que les idéologies traditionnelles se sont diluées, la gouvernance mondiale s'est métamorphosée. Naguère encore, et assurément jusqu'à la chute du mur de Berlin, le phénomène de pouvoir reposait sur une Vérité de nature philosophique, prenait appui sur un système économique et maintenait un ordre social. Après 1989, la quasi-totalité du monde s'est rangée à l'ordre néolibéral. Dès lors tout a changé, car le pouvoir n'exprime plus un message, mais incarne un ordre. Celui-ci repose sur une culture mondialisée, issue des valeurs des Etats-Unis du XXe siècle. Cette culture commune qui induit et accompagne l'ordre social traduit une domination confortée par la technologie.
Peut-on oser le parallèle avec Rome ? Tout porte à croire, en effet, que la langue des Romains a d'abord été perçue comme une langue belliqueuse, agressive et dominatrice. Et dans le sillage de la langue, c'est toute une manière de vivre, une latina vitaevia qui s'impose bientôt au bassin méditerranéen. Toutefois les différences sont grandes entre la pax romana et la pax americana. Tout d'abord la romanité hérite de multiples influences culturelles et chacun connaît la formule d'Horace, Græcia capta cœpit ferum victorem. Notre rencontre fera du reste la part belle à la Haute Antiquité.
A l'inverse, les Etats-Unis recueillent des cultures venues de partout, dont la cacophonie ne trouve à s'accorder que dans la fierté du drapeau, voire dans la destinée manifeste. Dans le premier cas les diversités étaient compatibles, car elles étaient pour la plupart interpénétrées de longue date, tandis que dans le second elles se juxtaposent dans le mythe du melting pot, dont on sait qu'il n'a jamais réussi à créer une société pacifiée. L'actualité est même hélas là pour témoigner du contraire. En outre, on ne peut pas dire que la romanité soit l'expression d'une culture simplement italiote, alors que la culture américaine exprime majoritairement une culture anglo-saxonne, incarnée par les WASP, aujourd'hui violemment attaqués. Faut-il donc revenir à la théorie du choc des civilisations ?
Ensuite la domination qui pèse sur l'espace romain utilise des acteurs humains ou institutionnels, mais dans tous les cas, on se trouve en présence d'une réalité vivante et identifiable. Aujourd'hui, la domination résulte de la rationalisation de flux de données. D'une part on se situe au XXIe siècle dans le domaine de l'horizontalité où la mise en relation d'une offre et d'une demande résulte de la gestion de flux des serveurs, d'autre part on est dans un monde où les difficultés juridiques sont réglées au mieux par le big data, au pire par l'application du droit américain hors des frontières des Etats-Unis, alors qu'à Rome on a tenté de résoudre les conflits de lois par l'intervention du préteur pérégrin dans un premier temps, puis par la conceptualisation d'un jus gentium prenant appui sur l'homme abstrait et non sur le citoyen, avant d'en arriver en 212 à l'extension de la citoyenneté à tous ceux qui vivaient dans l'empire, tout en réservant le droit antérieur des cités–exception faite des deditices.
Il faudra donc bien repasser par le droit romain, envisagé dans sa dimension culturelle.
Dès lors, si la domination à laquelle nous assistons ne peut raisonnablement être rapprochée de celle qui avait été exercée par Rome, pourquoi prévoir une rencontre au sein d'un groupe de recherche qui, depuis 30 ans, consacre son activité à la romanité ? La première raison tient au fait que la référence à Rome en particulier, et à l'Antiquité classique plus largement, ne signifie pas la même chose tout au long de l'histoire, ou dans l'esprit de ceux qui recourent à cette référence. La seconde raison tient à cela que Rome a conceptualisé la notion de res publica et que c'est encore en son sein que nous évoluons aujourd'hui. Pendant très longtemps, on a regardé la référence antique comme une référence de lettrés, alors qu'elle recouvre en fait une vision du monde. A la Renaissance, la référence à l'Antiquité est novatrice, car elle permet de se libérer des rets médiévaux. En revanche, la voici devenue passéiste au Grand Siècle, quand les Modernes raillent les Anciens. Elle sera à nouveau émancipatrice à l'époque des Lumières et de la Révolution, tandis que la Contre-Révolution l'utilise pour rétablir un ordre qui s'effrite et que le XIXe siècle en fera un de ses instruments de domination. Il n'existe donc pas une culture classique, mais des regards portés sur la culture classique. Telle est la raison pour laquelle la rencontre du Caire débutera par une table ronde animée par un spécialiste de lettres classiques, où seront présentées les facettes émancipatrices et conservatrices du recours à la culture antique.
Telle est aussi la raison pour laquelle il sera fait ici une large utilisation de la littérature.
Par ailleurs, l'ordre néolibéral, par la transposition d'une conception agressive des rapports commerciaux vers l'espace public, a quitté les rivages de la pax hominum8pour s'engager dans l'agonistique. Or la volonté de faire régner la paix entre les hommes vient de Solon, et plus précisément de sa recherche de l'eunomia. C'est sur elle que la philosophie grecque est venue fonder le rejet de l'hybris, et plus généralement, la capacité du corps social à se gouverner de manière convenable, respectueuse envers autrui et digne face à soi-même. Or cette conception, limitée chez les Grecs à l'espace d'une cité, se retrouve à Rome au sein de la res publica. C'est évidemment elle qui permet à Hannah Arendt de dire que la politique c'est l'espace qui se trouve entre les hommes et qui fait du lien. Un lien tissé par la culture, devenue de facto émancipatrice car libératrice de l'aveuglement et de la violence.
Or c'est parce que le groupe de Méditerranées croit profondément à la vertu irénique de la culture qu'il a choisi de consacrer un cycle de trois ans au phénomène de la domination et qu'il a placé en dernier lieu la question de la culture ; comme une sorte de réponse possible au maelström contemporain.
C'est parce que, par ailleurs, il croit profondément à la nécessité d'une utilisation des technologies nouvelles qu'il avait tenu son précédent colloque dans un village, avec une retransmission simultanée, qu'il est prêt à recommencer ce type d'expérience, mais cette fois depuis l'étranger à partir d'une capitale arabe.
La première année du programme a en effet ouvert par le colloque de Sainte-Eulalie-de-Cernon (organisé conjointement par Méditerranées, le CEIR et le CERCOP), et un cycle de conférences dans le cadre du CEIR.
La seconde année se poursuit avec un cycle de conférences autour du thème : « Domination socio-économique et Antiquité ». Le colloque du Caire constituera donc le troisième volet de ce triptyque. Le choix du Caire repose sur le fait que Masromm ed-donya, comme on dit en arabe. De plus, depuis 30 ans, nous avons tenu des colloques dans la plupart des pays de la Méditerranée et, pour notre jubilé qui correspond à la fête sed des Anciens, il nous est apparu naturel de revenir en Egypte, où nous avons tenu un colloque à la bibliothèque d'Alexandrie en 2003.
La rencontre du Caire sera bien sûr publiée dans la collection Méditerranées (http://www.jacques-bouineau.fr/index.php/mediterranees-sep/la-collection.html), ainsi que sur la page Facebook (https://www.facebook.com/CEIRMediterranees) et la chaîne Youtube (https://www.youtube.com/channel/UCevZmpFRBJhX7G_Xueg-Fjg), conjointement avec le cycle de conférences de 2021-2022. Son esprit général est toujours marqué par les trois sceaux qui président à chacune de nos rencontres : pluridisciplinarité, soutien aux jeunes chercheurs et francophonie.
Enfin, à l'heure où la pandémie bouleverse le monde, il est plus que jamais essentiel de faire triompher la valeur de référence de notre groupe de travail : l'intelligence cordiale.
Programme
Dimanche 31 octobre
Matinée
8h30 : Accueil des participants
9h30 : Ouverture
10h00 : Table ronde d'ouverture académique
Modérateur : Jean-Pierre Hocquellet, Membre fondateur de Méditerranées
Avec : Jacques Bouineau, Président fondateur de Méditerranées, Professeur d'histoire du droit - La Rochelle Université
Ahmed Djelida, Secrétaire-adjoint de Méditerranées, Enseignant contractuel en histoire du droit - Université de Rouen
Kevin Henocq, Chargé de communication de Méditerranées, Doctorant en histoire du droit – La Rochelle Université
11h00 : Discussion
11h30 : Une relecture du choc des civilisations (problématique méditerranéenne)
Alexandre Viala, Professeur de droit public – Université de Montpellier
12h00 : Pause
12h30 : Ouverture de l'axe I - Le livre IV des Elégies de Properce et l'épopée : jeux d'allégeance et d'irrévérence
Nathalie Cros, Professeur de lettres classiques en classes préparatoires – Lycée Descartes de Tours
12h50 : Ouverture de l'axe II - La démarche objectiviste-réaliste de Frédéric II Gonzague (1500-1540) : culture antique et laïcité à la Renaissance
Anthony Crestini, Doctorant en histoire du droit –La Rochelle Université
13h10 : Ouverture de l'axe III - (Titre à préciser)
Hassan Abd El-Hamid, Professeur d'Histoire et de Philosophie du Droit, Doyen de la faculté égyptienne de langue anglaise – Université du Caire-Aïn Shams
13h30 : Déjeuner
Après-Midi
15h00 : La pensée de midi de Camus le Méditerranéen (axe I)
Dominique Rousseau, Professeur de droit public – Université Panthéon-Sorbonne
15h20 : Discussion
15h30 : Droit et domination : bia, agon, nomos, agapè (axe II)
François Ost, Professeur de philosophie du droit – Facultés universitaires Saint-Louis de Bruxelles
15h50 : Discussion
16h00 : Aristote comme moyen intellectuel de domination de l'islam sunnite en Afrique du Nord (problématique méditerranéenne)
Lahcen Oulhaj, Professeur d'Economie – Université Mohamed V de Rabat
16h20 : Discussion
16h30 : Pause
16h50 : L'Antiquité contre le monde moderne : une lecture de Péguy (axe III)
Patrick Charlot, Professeur de droit public –Université de Bourgogne
17h10 : Discussion
17h20 : Approches interculturelles en Méditerranée : un défi pour les droits de l'Homme (problématique méditerranéenne)
Ali Sedjari, Professeur de Droit public – Université Mohamed V de Rabat
17h40 : Discussion
17h50 : Assemblée générale de Méditerranées
Lundi 1er Novembre
Matinée
9h00 : Le tribunat et les “éléments constitutifs” de la République (axe I)
Giovanni Lobrano, Professeur émérite de droit romain – Université de Sassari
9h20 : Discussion
9h30 : Dieu, raison et droit chez Spinoza (axe I)
Mohamed Nabout, Doctorant en philosophie du droit – La Rochelle université
9h50 : Discussion
10h00 : La “domination de la nature” : l'individualisme juridique et les lois de la nature (axe I)
Paolo Alvazzi Del Frate, Professeur d'Histoire du Droit – Université de Rome-Roma Tre
10h20 : Discussion
10h30 : Pause
11h00 : La dimension linguistique du gouvernement ecclésiastique au Moyen Age central. Réflexions à partir de la constitution Quoniam in plerisque du IVe concile de Latran (1215) (axe II)
Benoît Alix, Doctorant en histoire du droit - Université Panthéon-Assas
11h20 : Discussion
11h30 : Titre à préciser (axe II)
Benjamin Galeran, Doctorant en histoire du droit – La Rochelle Université
11h50 : Discussion
12h00 : L'éducation princière : l'exemple d'Hattusili (XIIIe siècle av. n. è.) (axe II)
Raphaël Nicolle, Chargé d'enseignement de hittite –Sorbonne Université
12h20 : Discussion
12h30 : Déjeuner
Après-midi
(Problématiques méditerranéennes)
14h00 : Domination culturelle et réception de Droit : le cas de Byzance et les pays slaves orthodoxes
Ivan Biliarsky, Professeur d'histoire du droit – Université de Varna
14h20 : Discussion
14h30 : Hiéroglyphes et communication 2.0
Charly Lacour, Doctorant en droit privé – La Rochelle Université
14h50 : Discussion
15h00 : Gouvernement pontifical et droits antiques à Avignon au XVe siècle
Matteo Marcattili, ATER en histoire médiévale – Université d'Avignon
15h20 : Discussion
15h30 : Pause
16h00 : Titre à préciser
Raphaël Cahen, Chercheur et professeur invité – Vrije Universiteit Brussel
16h20 Discussion
16h30 Titre à préciser
Camille Joguet, Doctorante en droit privé – La Rochelle Université
16h50 : Discussion
17h00 : Titre à préciser
Christophe Hermouet, Doctorant en histoire du droit – La Rochelle Université
17h20 : Discussion
17h30 : Fin de la journée
Mardi 2 Novembre
Matinée
9h00 : Être Romain aux confins du monde connu : Ovide et Agricola (axe I)
Dominique d'Almeida, Professeur honoraire de lettres classiques en classes préparatoires – Lycée Descartes de Tours
9h20 : Discussion
9h30 : L'Antiquité dans Les dieux ont soif d'Anatole France (axe II)
Philippe Sturmel, Maître de conférences HDR en histoire du droit – La Rochelle Université
9h50 : Discussion
10h00 : Pause
10h30 : Charles d'Anjou et Alphonse X de Castille : Rêves de puissances et ambitions d'empire (axe III)
Nasser Souleyman Gabryel, Chercheur à l'Institut de sciences et de théologie des religions – Institut catholique de Paris
10h50 : Discussion
11h00 : Ecrivains égyptiens et résistances (problématique méditerranéenne)
Erik Neveu, Professeur émérite de sciences politiques –ARENES CNRS
11h00 : Discussion
11h30 : Départ pour l'IFAO
12h30 : Déjeuner
Après-Midi
14h00 : Domination hittite et autonomie juridique dans la Syrie du Bronze récent
Sophie Lafont, Professeur d'Histoire du droit – Université Panthéon-Assas, directeur d'études à l'EPHE, PSL
14h20 : Discussion
14h30 : Titre à préciser
Burt Kasparian, Maître de conférences en histoire du droit, en détachement à l'IFAO
14h50 : Discussion
15h00 : Visite de l'imprimerie de l'IFAO
16h00 : L'écriture confère-t-elle une forme de domination ? Les Assyriens en Anatolie au 19e siècle av. J.-C.
Cécile Michel, Directrice de recherches au CNRS, Professeure d'Assyriologie – Université de Hambourg
16h20 : Discussion
16h30 : La domination de la culture juridique romaine à Constantinople
Elena Giannozzi, Professeur de droit romain – Université de Reims-Champagne-Ardenne
16h50 : Discussion
17h00 : Visite de la bibliothèque de l'IFAO
18h00 : Réception à l'IFAO
Avec un reportage photo de Didier COLUS, de l'Académie de Saintonge
Contact : ceir@univ-lr.fr
Organisé par le Centre d'Etudes Internationales sur la Romanité (CEIR) de La Rochelle Université et Le Caire Université