Présentation
L'Europe actuelle est traversée par un double mouvement paradoxal. D'un côté, les juges sont l'objet de critiques grandissantes du fait de leur position de contre-pouvoir. Ils sont en effet susceptibles de contrôler la loi et donc, prima facie, de remettre en cause la volonté générale telle qu'exprimée par le législateur. D'un autre côté, les juges sont plus que jamais sollicités comme dernier recours pour s'opposer à certaines législations - ou à l'inverse, pour exiger de l'Etat certaines actions - au nom d'intérêts supérieurs, en premier lieu, du respect de droits fondamentaux. En particulier, les juges sont saisis de lois et mesures en matière économique et sociale qui ont donné lieu à de vives réactions politiques et populaires. Ils se retrouvent alors dans une position d'arbitre ayant le pouvoir d'écarter ou d'invalider la mesure contestée. Dans ce cadre, les engagements internationaux des Etats ajoutent un facteur de complexité. En effet, la même mesure peut donner lieu à des contrôles et appréciations multiples (et donc potentiellement contradictoires) selon la source juridique à laquelle elle sera confrontée ou selon le juge ou l'organe saisi, que ce soit niveau interne ou international.
Les études juridiques consacrées à ces contentieux sont généralement dispersées. Elles se concentrent sur une législation ou un juge en particulier. Il apparaît ainsi pertinent de mettre en regard ces différentes jurisprudences et analyses afin d'identifier des tendances ou des rapprochements possibles dans une perspective de transdisciplinarité juridique et de droit comparé. Au-delà, s'agissant de l'étude d'un phénomène social, les regards de la sociologie du droit et de sociologie historique viendront utilement croiser et enrichir celui des juristes et des acteurs concernés.
Le champ d'étude étant particulièrement vaste, il sera limité pour ce colloque aux contentieux récents relatifs à des législations nationales ou européennes ayant remis en cause un avantage social ou réduit la protection des travailleurs. De telles mesures sociales régressives et/ou mesures de flexibilisation du travail ont été largement adoptées dans l'ensemble des Etats européens ces dix dernières années, dans un contexte de crise des finances publiques et de chômage de masse. Or, elles ont donné lieu à des saisines de juges nationaux et supranationaux ainsi qu'à des décisions riches d'enseignements.
La présentation de contentieux ou arrêts phares adoptés au sein de différents Etats européens et organisations européennes, nous permettra de confirmer l'hypothèse d'une tendance commune d'une judiciarisation des luttes sociales.
Une fois le phénomène de judiciarisation des luttes sociales constaté, il pourra être questionné. Ne constitue-t-il pas un des symptômes de la dégénérescence de la démocratie politique ? Tout se passe comme si le combat politique, désertant progressivement les arènes traditionnelles affaiblies, investissait les prétoires ou - en tout cas - se poursuivait en leur sein. Le prétoire des juges deviendrait un nouveau lieu d'expression politique, voire démocratique, notamment lorsque sont en cause des mesures souvent perçues par les peuples concernés - à tort ou à raison - comme imposées ou insuffisamment discutées. Un tel déplacement est-il nouveau ? Est-il pertinent ?
Programme
Jeudi 27 juin 2019
8h45 Allocutions d'accueil
9h Rapport introductif
Carole Nivard, MCF, Université de Rouen
I. La judiciarisation des luttes sociales constatée
A. Du point de vue des juges
Sous la présidence de Marine Toullier, MCF, Université de Rouen
Juges en Europe
9h30 – Italie
G. Guiglia, Professeur, Université de Vérone
10h – Portugal
B. Mestre, Juge, Docteur de l'Institut universitaire de Florence
10h30 – Grèce
Ch. Deliyanni-Dimitrakou, Professeure, Université de Thessalonique
Pause
11h15 – Roumanie
C. Samboan, Docteure, Université Artifex de Bucarest
11h45 - Royaume-Uni
S. Corby, Professeure émérite, University of Greenwich
Discussion
Sous la présidence de Christophe Willmann, Professeur, Université de Rouen
Juges en France
14h - Le Conseil constitutionnel français
Christophe Radé, Professeur, Université de Bordeaux
14h30 - Le juge administratif
Virginie Donier, Professeure de droit public, Université de Toulon
15h - Le juge judiciaire
Syvlaine Laulom, Professeure, Université Lyon 2, Avocate générale auprès de la Cour de cassation en service extraordinaire
Discussion
Juges européens
16h - La Cour de Justice de l'Union européenne
Konstantina Chatzilaou, MCF, Université de Cergy- Pontoise
16h30 - Les organes du Conseil de l'Europe (CourEDH et CEDS)
Despina Sinou, MCF, Université Paris 13
Discussion
Clôture de la première journée
Vendredi 28 juin 2019
Sous la présidence de Sophie Devineau, Professeure, Université de Rouen
I. La judiciarisation des luttes sociales constatée
B. Du point de vue des acteurs collectifs de défense des droits
La judiciarisation comme stratégie de défense d'intérêts collectifs (Exemples pratiques)
9h30 - Les Saisines du Comité européen des droits sociaux relatives à l'égalité salariale
C. Dimitroulias, Présidente de l'AFEM (Association des Femmes d'Europe Méridionale), ex Vice-Présidente de la Conférence des OING du Conseil de l'Europe
10h - Le contentieux de la barémisation des indemnités de licenciement abusif
Avocat représentant du SAF (Syndicat des Avocats de France)
Discussion
II. La judiciarisation des luttes sociales questionnée
A. La question des origines et de l'évolution du phénomène
11h - Perspective sociologique
J. Pélisse, Professeur, Sciences Po Paris
11h30 - Perspective historique
J.-Ph. Tonneau, Docteur, chercheur au CENS, Université de Nantes
Discussion
Sous la présidence d'Antoine Basset, Professeur, Université de Rouen
B. La question de l'efficacité de l'action judiciaire
13h30-14h30 Table ronde
Intervenants « Acteurs » + Intervenants « Juges »
Discussion
C. La question de la légitimité du juge
15h-16h Table ronde
Sociologues du droit + Intervenants « Juges »
Discussion
16h45 Fin des travaux
Entrée libre. Pour toute demande d'information :
Organisation scientifique : Carole Nivard, carole.nivard@univ-rouen.fr
Organisation administrative : Corinne Thierry, corinne.thierry@univ-rouen.fr
Colloque international organisé par le CUREJ, Université de Rouen