Présentation
Depuis 2005, le Collège de France, en partenariat avec l'UMR de droit comparé de Paris 1 (désormais Institut de sciences juridique et philosophique de la Sorbonne), réunit des juristes français et européens, brésiliens, chinois et étatsuniens autour des processus de l'internationalisation du Droit (« réseaux ID »). Prolongeant et élargissant les réseaux ID, ce nouveau programme de recherche s'inscrit aussi dans le cadre d'une coopération entre le Collège de France et la Fondation Charles Léopold Mayer (recherche « Prendre la responsabilité au sérieux ») et pourrait se développer en relation avec d'autres institutions, comme par exemple l'Academia Sinisa de Taiwan qui mène une recherche sur les « Hybrid Legal Regimes : the case of Taiwan ».
Objectifs et méthode :
Ayant pour ambition d'esquisser, à la lumière du passé et du présent, les conditions de développement d'un futur droit commun, nous proposons d'adopter une méthode dynamique qui considère les pratiques de droit commun comme des processus transformateurs rapprochant les divers systèmes juridiques sans nécessairement les fusionner. Ces processus se sont développés à diverses époques et dans diverses régions du monde. Leur réapparition par fragments dans le sillage de la mondialisation suggère-t-elle la possibilité d'un droit commun mondial sinon universel, du moins « universalisable » ?
Pour répondre, nous proposons trois objectifs à cette recherche.
1) Eclairer la notion de droit commun par une approche historique Si la notion même de droit «commun» postule la diversité des systèmes de droit concernés et leur rapprochement, la comparaison montre aussi la diversité des pratiques. Le rapprochement vient parfois de l'extension unilatérale d'une culture juridique dominante - droit romain en Europe, droit chinois en Asie orientale, droits occidentaux en pays colonisés (Afrique ou Amérique du sud), droit(s) islamique(s) dans les pays conquis par l'Islam. Mais le rapprochement se fait aussi par le jeu d'interactions multilatérales, elles mêmes diverses.
On peut tenter de les saisir par la métaphore du droit commun comme langage commun, invitant à distinguer différents degrés de rapprochement allant du dialogue (coordination par influence croisée entre législateurs, être juges, ou entre commentateurs) au modèle de la traduction (harmonisation par la recherche d'équivalences); voire au modèle de « créolisation » (fusion par hybridation réciproque).
Il resterait à savoir quel degré le rapprochement est nécessaire à l'apparition d'un droit qualifié de « commun » et à partir de quel degré ce droit commun disparaît, victime de son succès, au profit d'un droit unifié. Autrement dit, l'objectif serait de comparer et évaluer les divers équilibres entre l'un et le multiple, le commun et le différencié.
La méthode proposée consiste à partir d'un découpage principalement géographique, par régions du monde. Cinq régions ont été retenues, sans prétention exhaustive mais suffisamment variées pour éclairer la notion de droit commun : le Royaume uni et la sphère d'influence anglo-américaine (Common Law) ; l'Europe continentale ayant reçu le droit romain et le droit canon (Jus commune au sens particulier à cette région) ; l'Afrique et l'Amérique du sud comme sphères de colonisation (acculturation imposée ?) ; l'Asie orientale (Japon, Corée du Sud, Taïwan et Vietnam) dans la sphère d'influence chinoise (acculturation spontanée ?) ; le Monde musulman et la sphère des croyances islamiques (adhésion ?)
Cet agencement ne doit pas être conçu comme un retour à l'ancienne taxonomie des « familles » de droit. En revanche, il vise à rechercher dans des cadres régionaux recoupant de larges parties de la planète des types de modalités de formation et de dynamique de droits communs à partir d'interactions entre plusieurs systèmes particuliers, sans que ces types relèvent exclusivement de la région étudiée dans le cadre de notre projet.
On pourra s'interroger plus particulièrement sur deux hypothèses. D'une part l'hypothèse d'une bipolarité des normes, combinant la règle de droit positif avec l'esprit de la règle (ou le dogme ?) Par exemple : droit romain et droit canon ; droit pénal chinois et rites confucéens ; ou encore les écoles sunnites pour les règles islamiques et le soufisme comme dimension spirituelle. D'autre part l'hypothèse de tensions et/ou de complémentarités entre les acteurs (émetteurs des normes et récepteurs, praticiens et théoriciens du droit).
2) Décrire l'émergence de fragments d'un droit commun mondial à l'heure de la mondialisation. Le deuxième objectif exclut le découpage géographique car ces fragments se détachent du territoire selon diverses formes de déterritorialisation que l'on observera dans cinq domaines : la justice internationale pénale, le droit du commerce et des investissements, la justice climatique, la justice sociale, ou la
Protection des droits de l'homme.
Dans chacun de ces domaines la méthode consistera à étudier des cas choisis par les intervenants pour illustrer non seulement l'émergence d'un droit commun, mais aussi la résistance des droits nationaux au nom d'un contexte national particulier. En témoignent les dispositifs de différentiation prévus par le droit international, tels que les «responsabilités communes mais différenciées» (OMC et conventions sur le climat), la «marge nationale d'appréciation» (CEDH), la subsidiarité (cours régionales des droits de l'homme) ou la «complémentarité» (CPI) entre juridictions nationales et internationales.
D'où la complexité et l'instabilité de ces fragments dont on a parfois comparé la forme changeante à celle de nuages que l'on tenterait d'ordonner. On pourrait d'ailleurs se demander alors à partir de quel degré la déstabilisation des droits préexistants annonce la disparition du droit « commun » au profit soit du grand désordre, soit d'un droit devenu «mondial».La méthode des études de cas devrait permettre d'évaluer les tensions et/ou complémentarités entre les acteurs.
Elle devrait aussi montrer l'hétérogénéité des règles (par exemple hard law /soft law) et les contradictions dans l'esprit qui les inspire (par ex. : liberté/sécurité, compétition/coopération, conservation/innovation, exclusion/intégration).
3) Esquisser les conditions d'un futur droit commun universalisable »
Quels facteurs (marché, nouvelles technologies, droits de l'homme...) appellent ce Droit commun qui n'existe pas, ou pas encore ?
Quel type de communauté, d'intérêts et /ou de valeurs, préexistante, en formation, ou imaginaire, implique-t-il ?
Quel type d'ordre juridique conditionne un tel processus qui semble exclure à la fois l'universalisme utopique d'un droit uniforme et le repli sur un souverainisme mythique postulant des droits nationaux irréductiblement différents ?
Autant de questions qui pourraient évoquer la méthode de François Ost (A quoi sert le droit ? Bruylant 2016) consistant à examiner les usages, les fonctions et les finalités du droit. Il est vrai qu'il ajoute d'emblée (p. 13) qu'en définitive « le droit sert aux fins que l'on imagine pour lui »...
Programme
Lundi 10 Avril
(De 17h00 à 18h00)
Introduction
Mireille Delmas-Marty, Professeur émérite, Collège de France
Mardi 11 Avril
(De 9h00 à 18h00)
Histoire et diversité des dynamiques de droit commun
Modérateur : Alain Wijffels, Directeur de recherche, Centre d'Histoire Judiciaire, Université de Lille-2, Titulaire de la Chaire Européenne au Collège de France (2016-2017)
Chine
Pierre-Etienne Will, Jérôme Bourgon
Tradition romano-canonique
Olivier Descamps, Professeur à l'Université Paris 2 (Panthéon-Assas)
Tradition islamique
Suleiman Mourad, Professeur au Smith College, USA
Common Law
Vivian Curran, Distinguished Professor of Law, University of Pittsburgh School of Law, USA
Droits autochtones et colonisation
Florence Renucci, Directeur de recherche au CNRS, Université Lille 2 Droit et Santé
Kathia Martin-Chenut, Chargée de recherche au CNRS, ISJPS, Université Paris 1
Mercredi 12 Avril
(De 9h00 à 17h00)
Fragments de droit commun à l'heure de la mondialisation
Modérateur : Dominique Rousseau, Professeur à l'Université de Paris 1 (Sous réserve)
Justice climatique
Marta Torre-Schaub, Chargée de recherche au CNRS, ISJPS, Université Paris 1
Luca d'Ambrosio, Chargé de recherche, Collège de France
Violation des droits humains et responsabilité des Etats et des entreprises
Vivian Curran, Distinguished Professor of Law, University of Pittsburgh School of Law, USA
Kathia Martin Chenut, Chargée de recherche au CNRS, ISJPS, Université Paris 1
Droit du commerce et des investissements
Caroline Devaux, Assistante Académique, Collège d'Europe
Robert Guillaumond, Adamas Law Firm, Lyon, Paris, Pékin
Nitish Monebhrrun, Professeur au Centre universitaire de Brasilia
Justice sociale
Antoine Jeammaud, Professeur à l'Université Lumière-Lyon 2
Jean Michel Servais, ancien Directeur au BIT, Président honoraire de la Société internationale de droit du travail
Justice internationale pénale
Isabelle Fouchard, Chargée de recherche au CNRS, ISJPS, Université Paris 1
Pejman Pourzand, Docteur en droit de l'Université Paris 1, expert auprès des Nations Unies (sous réserve)
Conclusions Et Perspectives
Mireille Delmas-Marty, Professeur émérite, Collège de France
Séminaire de recherche coordonné par Mireille Delmas-Marty, Kathia Martin-Chenut et Luca d'Ambrosio