L’autonomie du droit administratif : approche par les rites de la doctrine

Appel à communication

L’autonomie du droit administratif : approche par les rites de la doctrine

Colloque, 13 mars 2025, l’IUT 2 de l’Université Grenoble Alpes

Date limite le lundi 21 oct. 2024

Orientations du projet

La présente journée réserve à la question de l'autonomie du droit administratif un traitement singulier. En effet, l'autonomie est à l'origine d'un questionnement fondamental pour les théoriciens et les praticiens du droit administratif. Les étudiants n'y sont pas non plus insensibles, dès lors qu'en deuxième année de licence, le droit administratif est présenté, par convention, via le prisme de l'autonomisation du droit administratif à l'égard du droit civil.

Si ce questionnement n'a pas connu d'achèvement, les différentes dimensions du débat sont bien connues. A l'occasion de la célébration des 150 ans de l'arrêt Blanco du Tribunal des conflits en 2023, certaines voix[1] ont souligné que l'essentiel, voire trop, avait été dit de cet arrêt mythique, et finalement de ce moment conçu peut-être hâtivement comme originel pour le droit administratif moderne.

Il resterait donc une dimension méritant l'étude : les rites accomplis par la doctrine en droit administratif. La commémoration de l'arrêt Blanco comme de tant d'autres participe précisément d'un rite de la doctrine[2], c'est-à-dire d'une activité cérémonielle, presque cultuelle, visant à assurer la communion des administrativistes et partant à conforter l'assise de leur discipline. Le traitement de cette question requiert une approche pluridisciplinaire, dès lors que la doctrine juridique doit s'aborder au prisme de considérations historiques, anthropologiques, ethnologiques ou encore sociologiques. Cette journée d'études se veut également et d'une certaine façon un hommage aux figures récemment disparues que sont Pierre Legendre et Bruno Latour, anthropologue et ethnologue du droit respectivement.

Les célébrations de l'arrêt Blanco ne sont que l'un des nombreux signes d'une liturgie des administrativistes, avec son cortège d'interrogations.

 

Forme du projet

Les propositions de contribution pourront s'inscrire dans l'un des axes suivants :

 

1/ La galaxie des rites doctrinaux pratiqués par les administrativistes.

Quelle serait la consistance des pratiques rituelles des administrativistes ? L'on imagine qu'il serait ici question ensemble des rites de commémoration à la fois d'un individu ou d'un événement tel qu'un arrêt[3], des rites d'initiation au droit administratif, des rites d'intronisation à une fonction éminente occupée par un administrativiste ayant vieilli sous le harnois. Au-delà de cette diversité des rites, l'unité de la catégorie se dévoile-t-elle ? Le cas échéant, cette spécificité tiendrait-elle à la nature juridique de la discipline étudiée, le droit administratif, au lien que ce dernier entretient avec l'intérêt général, voire à un esprit français[4] ?

 

2/ Les rites doctrinaux des administrativistes par-delà les frontières nationales.

C'est toute une tradition juridique qui varie d'un Etat à l'autre. Il serait particulièrement stimulant de proposer dans une approche comparatiste une typologie des rites doctrinaux pratiqués par les administrativistes, sinon d'insister sur les points de singularité d'une expérience étrangère ou, éventuellement, de la tradition française à la lumière d'exemples étrangers.

 

3/ La perpétuation des rites doctrinaux chez les administrativistes.

Le cycle de vie des rites interroge. Des acteurs interviennent afin d'énoncer, clarifier, relayer les rites doctrinaux en droit administratif, voire pour y mettre un terme. Peut-on identifier des clercs, des thuriféraires, voire des oracles et autres haruspices du droit administratif, doctrines académique et institutionnelle comprises[5] ? Disposent-ils d'une habilitation explicite, implicite ou se prévalent- ils simplement d'une légitimité charismatique ? Autrement dit, y a-t-il une spécialisation des rôles dans l'établissement de l'hypothétique liturgie du droit administratif et le cas échéant comment s'organise-t-elle ? On dit souvent que la doctrine universitaire relaie la doctrine organique[6].

L'autorité doctrinale peut emprunter notamment le chemin d'un ouvrage ou d'une revue. Est-il possible d'envisager un recueil faisant autorité, sorte de rituel, c'est-à-dire de forme codifiée des rites pratiqués par les administrativistes ? Qu'est-ce qui fait d'un ouvrage ou d'une revue la courroie de transmission d'un rite pratiqué par les administrativistes ? Les Grands arrêts pourrait servir de livre d'heures, là où le recueil Lebon ou le guide du rapporteur en juridictions administratives feraient office de bréviaire. De même, semble-t-il, les revues juridiques traduisent parfois une dogmatique, via la publication d'articles qui, à la manière de contes ou de fables qui ne disent pas leur nom, comportent une charge moralisatrice.

 

4/ L'instrumentalisation des rites doctrinaux chez les administrativistes.

Les rites soulèvent des enjeux liés à leur historicité et à leur fonction idéologique, qui sont parfois gommés dans l'entreprise d'édification de « cathédrales » du droit administratif. En quoi certains rites présentent-ils une vision partielle d'une époque ? La démarche est-elle efficace[7] ?

On sait par exemple que la célébration de l'arrêt Blanco sert à asseoir l'histoire républicaine du Conseil d'Etat, ce que la décision Rothschild de 1855 ne faisait pas. Dès lors, dans quelle mesure le rite participe-t-il d'une présentation des principes du droit administratif comme permanents et immémoriaux ?

 

Modalités de soumission

Les propositions de contribution sont attendues au plus tard le lundi 21 octobre 2024.

D'une longueur de 5 000 à 10 000 signes (espaces compris), elles sont à adresser aux deux organisateurs de la journée d'études :

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L'attention des auteurs est attirée sur les informations devant figurer au terme de la proposition : nom, prénom, titre(s) et fonction(s), institution(s) de rattachement.

Le comité scientifique répondra aux auteurs le 15 novembre 2024.

 

Comité scientifique

  • Mohesh Balnath, enseignant-chercheur contractuel en droit public, Université Grenoble Alpes.
  • Emilie Barbin, professeur des universités en droit public, Université Grenoble Alpes.
  • Alexis Blouët, chargé de recherche CNRS, sociologie et sciences du droit, Université d'Aix- Marseille.
  • Nolwenn Duclos, maître de conférences en droit public, Université Lumière – Lyon 2.
  • Igor Moullier, maître de conférences en histoire, Ecole normale supérieure de Lyon.
  • Christophe Testard, professeur des universités en droit public, Université Jean Moulin – Lyon 3.
  • Léo Vanier, professeur des universités en droit public, Université Grenoble Alpes.

 

 

Bibliographie indicative

Louis ASSIER-ANDRIEU, « Le juridique des anthropologues », Droit et Société, 1987, p. 89.

François BRUNET, « Le droit administratif à travers l'anthropologie dogmatique », in Karl-Henri VOIZARD et Jacques CAILLOSSE (dir.), Le droit administratif aujourd'hui : retours sur son enseignement, Dalloz, 2021, p. 85.

Baudouin DUPRET, Le jugement en action. Ethnométhodologie du droit, de la morale et de la justice en Egypte, Genève et Le Caire, Droz, 2006, 491 p.

Robert JACOB, « La coutume, les mœurs et le rite. Regards croisés sur les catégories occidentales de la norme non écrite », in La coutume et la norme en Chine et au Japon, Extrême-Orient, Extrême-Occident, 2001, n° 23, p. 145.

Jacques LENOBLE, « Retour sur Droit, Mythe et Raison : comment penser l'obéissance à la loi ? Sur les traces de Freud, Lefort et Castoriadis », in Le droit malgré tout : Hommage à François Ost, Presses universitaires Saint-Louis Bruxelles, 2018 [en ligne].

Nicolas MARIOT, Conquérir unanimement les cœurs : usages politiques et scientifiques des rites : le cas du voyage présidentiel en province 1888-1998, thèse, version dactyl., 1999, 799 p.

Gilda NICOLAU, Geneviève PIGNARRE, Régis LAFARGUE, Ethnologie juridique : autour de trois exercices, Méthodes du droit, Dalloz, 2007, 423 p.

Tristan POUTHIER, Pierre-Marie RAYNAL (dir.), Droit & Philosophie, n° 12 : La théorie de l'Etat au défi de l'anthropologie, 2020, 312 p.

Annelise RILES, Pour une anthropologie des savoirs juridiques, trad. Vincent REVEILLERE, Rivages du droit, Dalloz, 2022, 150 p.

 

[1] Pierre LEVALLOIS, « Célébrer l'arrêt Blanco ? », JCP A, 27 mars 2023, n° 2095.

[2] Il n'est besoin d'être aussi iconoclaste que Just Luchet pour le reconnaître (à ce sujet, v. Anne-Laure GIRARD, « L'arrêt Blanco, objet d'étude doctrinal : la thèse de Just Luchet » in Florent BLANCO, Simon GILBERT, Anne JACQUEMET GAUCHE (dir.), Autour de l'arrêt Blanco, Dalloz, 2023, p. 153).

[3] Pour exemple, en 1971, pour marquer les 50 ans de l'arrêt du Bac d'Eloka, les professeurs de droit en poste à Abidjan immergeaient un manuel de droit administratif dans la lagune Ebrié (Alain-Serge MESCHERIAKOFF, « L'arrêt du bac d'Eloka. Légende et réalité d'une gestion privée de la puissance publique », RDP, 1988, p. 1059).

[4] Fabrice MELLERAY, « Marcel Waline et la manière française contemporaine de faire du droit administratif », Revue française de droit administratif, 2014, p. 145.

[5] Jean BOULOUIS, « Supprimer le droit administratif ? », Pouvoirs, 1988, n° 46, p. 6 : « Or, comme on le sait, les dogmes ne sont pas seulement affaire de conviction mais aussi de culte. Il y faut un temple, des docteurs, des ministres. Le droit administratif n'en a pas manqué, ni bien entendu, de querelles proprement théologiques ».

[6] Jean RIVERO, « Nouveaux propos naïfs d'un huron sur le contentieux administratif », Etudes et documents du Conseil d'Etat, n° 31, 1979-1980, p. 30 : « Ces vérités premières, que j'ai, durant de longues années, rappelées sans me lasser, assis sous mon hêtre pourpre, aux générations de jeunes guerriers qui venaient entendre mes leçons, ne sont-ce pas celles qui, depuis bien des lunes, ont guidé votre grand Conseil, et qui ont fait sa gloire ? ».

[7] Chez les administrativistes, l'adoption de chartes est un rite à l'efficacité incertaine. Ce dernier ne fait pas oublier la situation à l'origine du document. S'agissant de la charte de la déontologie des membres de la juridiction administrative, qui n'efface pas les suspicions de partialité du juge administratif, v. Anne-Laure GIRARD, « D'un pouvoir l'autre », RDP, 2023, p. 1483.




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