L’inceste, entre actualité et histoire : regards croisés sur un tabou social

Appel à communication

L’inceste, entre actualité et histoire : regards croisés sur un tabou social

Colloque, Nice, 28 et 29 avril 2022

Date limite le dimanche 15 août 2021

 

A sa sortie en janvier 2021, le livre de Camille Kouchner, La familia grande, fait grand bruit. L'auteure y raconte les agressions sexuelles qu'aurait commises son beau-père sur son frère jumeau alors âgé de 13 ans. Plus qu'une affaire de famille, ce récit soulève une question majeure de notre société, longtemps restée dans l'ombre, celle de l'inceste.

A la suite de ces révélations, l'opinion publique se saisit des faits. Avec le #metooinceste, ce sont des milliers de personnes qui se manifestent. Il ne s'agit pas à proprement parler d'accusations ou de plaintes, les faits sont d'ailleurs souvent prescrits, ce sont davantage des témoignages. On dénonce désormais publiquement ce tabou social, la parole autour de l'inceste se libère et place le sujet au cœur de l'actualité.

Un sondage de l'Ipsos (novembre 2020) révèle avec effroi qu'un Français sur dix a été victime d'inceste. Longtemps resté dans le secret de la sphère familiale, l'inceste ne semble ainsi pas aussi marginal qu'on aurait pu l'imaginer, bien au contraire. Déjà Claude Lévi-Strauss soulignait qu'il était « sans doute, beaucoup plus fréquent qu'une convention collective de silence ne tendrait à le laisser supposer ». Le milieu familial dans lequel il se produit le rend, en effet, particulièrement difficile à déceler et à appréhender. L'honneur et la réputation des familles tendent à enfouir la parole de la victime et à occulter ce terrible secret.

Avec la promulgation du Code civil de 1804, la famille est érigée comme le « sanctuaire des mœurs », placée sous l'autorité paternelle dans laquelle l'Etat n'a pas à s'immiscer. Le Code se contente d'énoncer simplement les interdictions traditionnelles au mariage entre membres d'une même famille et de régler la question de la filiation de l'enfant incestueux.

A l'époque contemporaine, l'inceste est en grande partie décriminalisé en tant que tel, les relations consenties entre adultes ne faisant plus l'objet de sanctions pénales. Cela reste pourtant dans l'esprit collectif, un acte odieux, abominable, mais une situation que l'on considère à tort comme exceptionnelle. La presse participe à la diffusion de cette image et à la construction de ce tabou social (d'autant qu'au XIXe siècle, la question biologique entre dans le débat avec la consanguinité). L'inceste est quelque chose de dérangeant, son étymologie même le rappelle. Du latin incestus, il renvoie à l'idée de souillure, à quelque chose d'impur et s'érige comme un interdit social.

Pourtant, l'histoire fournit d'innombrables exemples de relations incestueuses et d'ailleurs dans certaines cultures, les mariages entre membres d'une même famille étaient permis (comme entre frères et sœurs durant l'Egypte pharaonique).

La notion d'inceste varie en réalité selon l'époque et le lieu où l'on se trouve et les sociétés ne l'ont pas toujours appréhendé de la même façon. Ce colloque s'attachera ainsi à définir les différentes perceptions juridiques, sociales et culturelles de l'inceste au fil des siècles.

Le développement du christianisme a participé à l'évolution des mœurs sur cette question. Le droit canonique est venu préciser cet interdit en encadrant les degrés de parenté dans lesquels les mariages sont autorisés (Concile de Latran IV, 1215). Dans l'ancien droit, l'inceste est défini plus largement que de nos jours et implique toute relation sexuelle entretenue au sein d'une parenté qui interdit le mariage. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait un lien de sang entre les accusés et les relations entre beau-frère et belle-sœur sont par exemple prohibées. Par ailleurs, est également réprimé ce que l'on nomme « inceste spirituel », c'est-à-dire toutes relations entre un parrain et sa filleule ou une marraine et son filleul ainsi que les unions entre un confesseur et sa pénitente.

Sous l'Ancien Régime, l'inceste est donc entendu de façon beaucoup plus large, d'autant qu'il ne se limite pas aux viols commis par des membres de la famille sur des enfants mineurs et concerne également les adultes consentants. De plus, c'est le couple dans son entier qui est accusé d'inceste et pas seulement celui qui détient l'autorité sur son partenaire, car ils sont tous deux considérés comme fautifs.

Toutefois, à la Révolution, cette vision vole en éclats et l'inceste est décriminalisé. On considère désormais que la sexualité est une affaire privée qui n'a pas à intéresser l'Etat. L'infraction est ainsi absente du Code pénal de 1791. L'inceste ne réapparaît qu'en 1810, mais il devient une simple circonstance aggravante des crimes de viols et d'attentats à la pudeur lorsqu'ils sont commis sur des mineurs. L'inceste n'est plus une infraction en soi, d'ailleurs le terme même n'est pas inséré dans le Code.

Les procès pour inceste ne disparaissent pas pour autant. Les sources judiciaires le confirment et sont riches d'informations. La jurisprudence montre aussi que les violences incestueuses sont parfois invoquées en tant que faits justificatifs, comme ce fut le cas dans l'affaire de Violette Nozière (1934) qui, après avoir subi durant plusieurs années les attouchements de son père, finit par l'empoisonner.

Ce n'est qu'en 2016, que le mot « inceste » est inséré dans le Code pénal, mais il continue d'accompagner une agression sexuelle sur un mineur. Puis, en 2018, la prescription des violences incestueuses est portée de 20 à 30 ans. Pourtant, la question de l'inceste fait encore débat.

Certaines associations demandent notamment l'imprescriptibilité des infractions sexuelles commises sur des mineurs en évoquant l'amnésie traumatique que les victimes subissent et qui les empêche de se manifester auprès des tribunaux dans le délai accordé. En France, seuls les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles ; cette revendication ne peut donc que susciter la discussion et elle pose aussi nécessairement la question de la preuve. Le Parlement européen a pourtant voté en juin 2020 une résolution pour exhorter les états européens à adopter l'imprescriptibilité des crimes sexuels touchant les enfants et, en France, une proposition de loi a été déposée en ce sens le 23 février 2021 à l'Assemblée nationale (nº 3907). D'autant que ce n'est pas le seul point qui fait l'objet de controverse. Dans le même temps, une autre proposition de loi (n°4029) visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels prévoit un retour à une présomption irréfragable de non-consentement pour les mineurs de moins de 15 ans (s'il y a une différence d'âge d'au moins 5 ans) et de 18 ans lorsque l'auteur de l'infraction sexuelle est un membre de la famille (ou leur conjoint, partenaire ou concubin ayant une autorité de droit ou de fait). Cette proposition, enregistrée à l'Assemblée nationale après une deuxième lecture le 26 mars 2021, est une avancée en matière d'inceste car, avec elle, la question du consentement du mineur ne se pose plus.

L'inceste suscite ainsi un regain d'intérêt et de nombreuses interrogations auxquelles ce colloque tentera de répondre. Plusieurs pistes de recherche pourront être envisagées (sans que celles-ci soient exhaustives) :

  • L'inceste en droit pénal : la répression des violences incestueuses, la question du consentement du mineur, le retour de l'inceste en une infraction spécifique… ;
  • L'inceste en droit processuel : le dépôt de plainte, le délai de prescription, l'instruction… ;
  • L'inceste en droit de la famille : l'institution de la famille comme barrière à la parole de l'enfant victime, l'image de la société patriarcale du XIXesiècle, la complicité des membres de la famille qui dissimulent l'inceste, les règles du mariage et degrés de parenté qui sont interdits, le cas de l'enfant incestueux, le lien de filiation restreint… ;
  • L'inceste et la jurisprudence : la pratique des tribunaux et l'étude des sources judiciaires, appréhender et révéler l'inceste, analyser la parole de la victime, la question de la preuve, la mise en lumière d'un procès spécifique… ;
  • L'histoire de l'inceste : la définition de l'inceste, l'apparition de l'interdiction de l'inceste, la perception sociale et culturelle de l'inceste au fil des siècles, l'évolution de la notion, le cas particulier de l'inceste spirituel, la construction d'un tabou social, l'impact de la presse sur l'imaginaire de l'inceste… ;
  • L'inceste à l'étranger : la législation de l'inceste dans les autres pays, la position du Parlement européen sur cette question… ;
  • Etude sociologique de l'inceste : les victimes d'inceste, l'ampleur de l'inceste, les milieux sociaux touchés, l'inceste et les médias, les mobilisations contemporaines… ;
  • Etude anthropologique de l'inceste : les sociétés qui prohibent ou bien qui tolèrent l'inceste… ;
  • La parole de l'enfant : la question de son discernement, l'assistance qui lui est apportée, son enregistrement audiovisuel, sa confrontation avec l'éventuel auteur … ;
  • Dimension psychologique de l'inceste : les conséquences et les effets des violences incestueuses, la prise en charge psychologique et socio-éducative des victimes et des familles… ;
  • L'identification de l'inceste : la question de rendre obligatoire le signalement de suspicion à l'ensemble des professions médicales, la formation des médecins aux violences et aux troubles somatiques, le regard des professionnels de santé sur l'inceste...

 

Organisé par les laboratoires ERMES et CERDP (Université Côte d'Azur, EUR LexSociété), ce colloque aura lieu à la Faculté de droit et science politique de Nice, le 28 et 29 avril 2022.

Si la situation sanitaire ne le permet pas, il se tiendra en distanciel.

 

 

Modalités de soumission des propositions :

 

Les propositions de communication devront être adressées à Gwenaëlle Callemein (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.) au plus tard le 15 août 2021. Elles ne devront pas dépasser 2500 signes et seront accompagnées d'une brève présentation de leur auteur et des sources envisagées.

 

Elles seront examinées par un comité scientifique composé de :

 

La décision du comité sera communiquée à la mi-septembre 2021. Les communications seront d'une durée de vingt minutes.

Les actes du colloque seront publiés.