Regards croisés sur la justice fiscale (Xe-XXIe siècles). Égalité ou statuts particuliers ?

Appel à communication

Regards croisés sur la justice fiscale (Xe-XXIe siècles). Égalité ou statuts particuliers ?

Université de Picardie Jules Verne, 4 et 5 avril 2019

Date limite le lundi 01 oct. 2018

 

Parce que l'impôt est un prélèvement contraint – ou, tout du moins, pouvant se dispenser de l'accord du contribuable –, la question de sa justice est un problème constant. Il est certes possible, sinon tentant, d'y répondre sommairement en le considérant comme intrinsèquement injuste – Taxation is theft – ou de juger la question vaine puisque, juste ou non, l'impôt devra être payé – Nothing is certain but death and taxes ! Pourtant, à l'heure où le gouvernement français s'apprête à engager plusieurs réformes de la fiscalité, la justice fiscale semble à questionner sur plusieurs plans. Dans ses aspects les plus concrets, elle se donne bien sûr immédiatement à voir dans l'organisation, le fonctionnement et les réformes successives du système fiscal. Cependant, l'incontestable technicité de la matière – souvent fantasmée comme forcément attentatoire aux intérêts particuliers – ne doit pas dissimuler l'importance des questions qui s'y jouent. En effet, à travers l'idée de justice fiscale, c'est toute une conception du monde – et aujourd'hui, particulièrement, une conception de l'Etat et de ses missions – qui apparaît derrière la technique juridique. Pour saisir l'ambiguïté de cette double dimension, l'analyse historique se révèle essentielle. Permettant d'envisager l'évolution du système fiscal en fonction des contextes, des inflexions politiques et des ambitions du temps, elle seule permet une analyse fine des enjeux les plus contemporains en leur offrant la mise en perspective qu'ils méritent. C'est donc à travers ces trois dimensions – fiscale, théorique et historique – profondément imbriquées que l'on se propose de questionner ici la justice fiscale.

Pour étudier la justice fiscale, la question de l'égalité dans la répartition de l'impôt est bien sûr classique entre toutes. L'idée que chacun doit payer l'impôt à raison de ses facultés nous est même si familière que nous peinons désormais à en reconnaître la part d'indétermination – de quelles facultés parle-t-on ? – et, plus encore, ce qu'elle porte en elle de révolutionnaire dans cette radicale indifférenciation des sujets devant l'Etat. Diverses inflexions devraient pourtant nous rappeler que l'histoire de la justice fiscale n'est guère linéaire. Ainsi, l'impôt a longtemps été pensé comme indissociable du privilège. Apparus en France – et plus largement en Europe – dès le Moyen Age, d'abord au profit de la noblesse et de l'Eglise, les privilèges fiscaux seront ensuite développés tout au long de la période moderne, la monarchie ayant su en jouer pour composer avec une société d'ordres, à la fois frein et relais du pouvoir royal. D'un point de vue fiscal, la société d'Ancien Régime apparait dès lors comme un agglomérat de corps privilégiés et de statuts particuliers ne reconnaissant pas un principe d'égalité. Ce n'est que dans les dernières décennies de l'absolutisme que la royauté fit sienne une aspiration des Lumières à l'égalité civique, parce qu'elle estimait que le rétablissement des finances publiques passait par la réduction du nombre des privilégiés. Elle échouera pourtant à imposer ses réformes fiscales, la contradiction entre justification par le statut et justification par l'égalité constituant peut-être l'un des principaux écueils sur lesquels a sombré la légitimité royale. Par la suite, si la plupart des régimes proclamèrent, plus ou moins, l'égalité fiscale héritée de 1789 et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ils n'hésitèrent cependant pas à aménager quantité de statuts fiscaux particuliers, ressuscitant ainsi les inégalités d'autrefois. Il s'agira d'interroger ici ces privilèges et ces statuts dans une vision historique et comparatiste.

Au-delà du contexte politique et social, dont dépend intimement la justice fiscale, doivent ainsi être envisagées les difficultés liées aux outils dont dispose l'Etat pour évaluer ses besoins, estimer les moyens des contribuables, répartir les impositions, les percevoir et juger leur contentieux, ces particularités techniques, juridiques et politiques de l'impôt donnant une dimension concrète à l'exigence de justice. Qui doit contribuer ? Selon quelle répartition ? Comment penser la relation entre équité et égalité dans le domaine de la fiscalité ? Peut-on imaginer une stricte égalité fiscale ? Comment la notion de justice fiscale a-t-elle évolué ? Quelle a été l'influence du contexte et du régime politique ? Comment a-t-elle été reçue par les contribuables et analysée par la doctrine ? Quelles conséquences a-t-elle entraînées sur les plans économique et social ? Quelles mesures a-t- elle servi à justifier ? Comment a-t-elle contribué à forger notre manière d'envisager le lien entre recettes fiscales et dépenses publiques ? Les questions sont nombreuses et peuvent être traitées selon plusieurs perspectives qui réclament de se pencher sur l'évolution de la justice fiscale à la fois dans son principe (égalité ou statuts particuliers ?) et dans sa mise en œuvre (quelle justice fiscale ?).

En dépassant la conception de l'impôt en tant que violence d'Etat, se pencher sur la justice fiscale revient à questionner, à partir de son expression fiscale, ce qui fonde la légitimité de l'Etat. Dans l'analyse des raisonnements qui valorisent la justice par l'égalité comme de ceux qui justifient au contraire l'inégalité par l'efficacité, c'est donc tout d'abord la souveraineté qui se trouve saisie à travers l'impôt, lequel s'envisage à la fois comme conséquence et comme condition de l'Etat.

La question de la légitimité peut toutefois également être saisie à travers les divers ressorts de l'adhésion du contribuable à un système fiscal. En effet, le contribuable est aujourd'hui – et de plus en plus, depuis un siècle – partie prenante de son bon fonctionnement, le rejet d'un impôt perçu comme injuste pouvant se traduire par des évitements, une inertie, voire une généralisation de la fraude. Les jeunes Etats savent d'ailleurs ce qu'il en coûte de ne pouvoir recourir aux formes les plus contemporaines du prélèvement fiscal, souvent considérées comme les plus efficaces.

Enfin, étudier la justice fiscale suppose d'examiner l'effectivité du principe d'égalité fiscale face à une multiplication des régimes fiscaux relevant davantage de l'exception à ce principe que d'une adaptation de sa mise en œuvre. La question se pose notamment avec une acuité particulière lorsque se multiplient aussi les pouvoirs fiscaux dont un même contribuable est susceptible de relever. Ainsi, les arbitrages auxquels l'investisseur ou le résident peut procéder (pudiquement euphémisés en « structuration de la dette fiscale ») ne lui ouvrent-ils pas l'accès à un régime fiscal sur mesure, a fortiori lorsque les souverains fiscaux plient eux-mêmes leur loi aux desiderata de contribuables mondialisés, la revendication d'une égalité de traitement devenant ainsi une voie royale du régime fiscal privilégié ?

C'est aux confins de ces différentes problématiques et en croisant les perspectives disciplinaires que ce colloque se propose de saisir la justice fiscale, tant dans son principe même que dans ses évolutions.

 

Comité d'organisation

  • Emmanuel de CROUY-CHANEL, Pr. de Droit public, Université de Picardie Jules-Verne
  • Cédric GLINEUR, Pr. d'Histoire du droit, Directeur du CEPRISCA, Université de Picardie Jules-Verne
  • Céline HUSSON-ROCHCONGAR, Maître de conférences en Droit public, Directrice de l'IPAG, Université de Picardie Jules-Verne

 

Comité scientifique

  • Michel BORGETTO, Pr. de Droit public, Directeur du CERSA, Université Panthéon Assas
  • Michel BOUVIER, Pr. de Droit public, Université Panthéon Sorbonne, Président de FONDAFIP
  • Jacques CHEVALLIER, Pr. émérite de Droit public, Université Panthéon Assas
  • Florent GARNIER, Pr. d'Histoire du droit, Directeur du CTHDIP, Université Toulouse Capitole
  • Daniel GUTMANN, Pr. de Droit public, Université Panthéon Sorbonne
  • Marc LEROY, Pr. de Sociologie, Université de Reims-Champagne-Ardennes
  • Albert RIGAUDIERE, Membre de l'Institut

 

Contact

 

 

Les propositions de communication sont à adresser aux organisateurs sous la forme d'une présentation succincte (2500 signes maximum) accompagnée d'un court curriculum vitae avant le 1er octobre 2018