Alors que sa disparition semble se profiler à l’horizon, du moins à l’intérieur de l’espace Européen, la notion juridique de frontière qui dessine les limites du territoire de l’Etat reste l’objet d’une imprécision surprenante. Aucune définition générale et intelligible ne semble encore lui avoir été consacrée, nonobstant la place centrale qui lui est attribuée par nombre d’analyses savantes sur les institutions de la modernité politique (Etat, souveraineté, territoire). Une tentative de définition (ou de théorisation) de la frontière est donc nécessaire. Théoriser la frontière n’implique pas de s’éloigner de la réalité : ce sont au contraire des données empiriques, sélectionnées à l’intérieur d’une foison d’informations disponibles sur le sujet, qui doivent guider un travail de systématisation. Au sein de celles-ci, la place privilégiée du droit fiscal (interne, communautaire et internationale) s’explique par les affinités personnelles de l’auteur. Ce dernier n’a toutefois pas omis de balayer d’autres disciplines, à l’instar du droit international public ou du droit international privé, aux fins de caractériser une substance irréductible et invariable de la frontière. Deux fonctions distinctes, bien que complémentaires, s’imposeront très rapidement comme les éléments constitutifs de la notion de frontière : la ligne réputée impénétrable en droit international qui sépare les territoires des Etats, d’un côté (ou « frontière internationale »), le filtre perméable qui régule les circulations entre les territoires des Etats (ou « frontière-obstacle »), de l’autre. Le temps et l’espace imposeront de limiter l’analyse au premier élément, à savoir la frontière internationale. À raison de ses fonctions pour commencer : quel est son rôle ? Mais aussi à raison de son objet : à quoi, ou à qui, s’applique-t-elle ? L’analyse des fonctions permettra d’abord de vérifier que la frontière internationale, en tant que cause et conséquence du principe de l’exclusivité territoriale, est étroitement liée à la notion d’Etat moderne. La naissance de la notion moderne de souveraineté, dans la mesure où elle est largement tributaire de la conquête du monopole de la violence légitime au profit des autorités centralisatrices de l’Etat, n’aurait pas été envisageable sans la constitution de frontières impénétrables aux limites du royaume. Plus largement, bien des notions fondamentales associées au droit étatique moderne (intégrité territoriale, centralisation de la contrainte, dualisme juridique,…) peuvent être reconsidérées à la lumière de la notion de frontière. L’analyse de l’objet de la frontière internationale permettra, ensuite, de surmonter bien des incertitudes. Celle qui touche, en particulier, au rapport entre la frontière impénétrable et le principe de territorialité des lois (ou des impôts) : la territorialité normative, sous toutes ses formes, ne peut-être assimilée à une manifestation (ou à une composante) de la frontière internationale. Celle qui touche, aussi, à la nature et à la portée de l’assistance administrative internationale entre les Etats dans le domaine fiscal. Le développement récent de celle-ci, sous toutes ses variantes (assiette et recouvrement), ne se traduit qu’exceptionnellement par des entorses à l’impénétrabilité des frontières. Toutes les activités de l’Etat n’ont pas, en effet, vocation à s’arrêter aux limites du territoire en application du droit international public. Seul l’imperium de l’Etat entendu stricto sensu, c’est-à-dire le pouvoir coercitif proprement dit, semble être soumis au respect de cette imperméabilité. En somme, à défaut de parvenir à dresser une théorie générale de la frontière en droit, certaines de ses caractéristiques majeures seront en l’espèce esquissées dans l’espoir de fournir au juriste une grille de lecture supplémentaire, et si possible originale, du droit positif.