Présentation
La réparation est la compensation octroyée à la victime, la personne lésée. Articulée autour de l'idée de satisfaction de la victime, elle correspond à une approche économique, et à une évaluation en somme d'argent. Sur le principe du respect de la dignité humaine, sa valeur constitutionnelle a émergé dans les décisions des Cours et Conseils constitutionnels. Les systèmes tunisiens, français, et européens ont été des plateformes juridictionnelles pour en débattre. D'autant que les intérêts atteints s'étendent vers des droits non économiques. La « satisfaction équitable », avancée par la Convention européenne des droits de l'Homme, et relayée par des décisions de la Cour européenne, offrent « un mécanisme subsidiaire », dans l'hypothèse où il atténue les dommages réalisés.
Au-delà de ce questionnement, la fonction de l'indemnisation a été revisitée par les approches nuancées des systèmes comparés, et par la nature particulière de certains préjudices.
Pour le premier aspect, la fonction punitive de la responsabilité civile a été admise par certains docteurs et certains systèmes (norvégien, brésilien …). Les droits américains et anglais ont développé le droit à des dommages et intérêts exemplaires, les dommages punitifs (punitive damages). Des Codes assez récents (le code québéquois, le code de la Nouvelle Zélande), ont penché vers cette sanction, alors que d'autres ont choisi d'autres techniques indemnitaires.
Quant aux branches du droit, l'arbitrage a été très réceptif aux dommages et intérêts punitifs. L'émergence de la faute lucrative a articulé la réparation sur les profits réalisés par l'auteur du fait générateur. Le droit de la concurrence et le droit de la propriété littéraire et artistique, y ont trouvé l'expression d'une indemnisation équitable.
Ces théories sont source de richesse scientifique, mais aussi d'ambigüité et d'incohérence. Les droits tunisien et français, dans leur source jurisprudentielle, méritent une systématisation qui élucide son régime. Plus précisément, la jurisprudence tunisienne est en voie de reprendre une interprétation des articles 107 et 278 COC, inspirée au début des sources matérielles suisses, pour s'en départir et s'ouvrir à une fonction punitive de l'indemnisation. Tandis que la jurisprudence française, proche de ses homologues européennes (allemande) a rejeté les dommages et intérêts punitifs, sauf si leur montant ne viole pas le principe de proportionnalité. La réception des théories anglo-saxonnes est encore discutée avec le duty to mitigate, issu de la théorie de la mitigation. Admise dans le commerce international et le droit de l'arbitrage, ses consécrations ont diversement convaincu, lorsqu'il est question d'indemniser les dommages corporels. Les principes de la réparation intégrale et de la réparation équitable, qui prennent en compte les fluctuations monétaires, sont-ils des « utopies », ou des fondements constructifs, auprès des juges judiciaires et administratifs ? La réparation compensatoire s'allie à l'attribution de dommages et intérêts compensatoires. L'indemnisation porte sur une dette de valeur.
Avec la barémisation, se pose le droit, voire le pouvoir du juge, de desserrer l'étau législatif, et d'écarter en vertu du principe de la proportionnalité, des règles indemnitaires qu'il juge inappropriées avec la réalité et l'effectivité du dommage. Face au législateur, le juge fera-t-il prévaloir son office à décider des montants équitables alloués aux victimes ? La question est d'une acuité certaine. Si le droit français a mûri dans les normes Dinthillac des paramètres objectifs pour réduire les écarts excessifs entre les différentes juridictions, dans le calcul des dommages et intérêts, le système tunisien est nettement plus malheureux avec une législation spéciale sur les accidents de la circulation, habilitant les compagnies d'assurance à spéculer sur les droits des victimes à une indemnisation raisonnable.
L'indemnisation couvre d'autres chefs de préjudice, avec la lutte contre le terrorisme. Elle est encore problématique avec le droit de l'environnement. Le dommage écologique est suffisamment particulier, pour remettre en chantier les conditions classiques du dommage. Il l'est encore plus s'agissant de la quantification des indemnités. Reprenant les régimes anglo-saxons, le contentieux écologique est de plus en plus saisi par l'arbitrage, avec un alignement en aval sur le régime du droit de l'arbitrage.
Par ailleurs, l'indemnisation obéit à la volonté privée et à l'ingénierie contractuelle.
Le colloque traite de ces thèmes, et invite les universitaires des deux pays à croiser les regards de leur système respectif, devant un auditoire composé de magistrats, d'avocats, de professionnels, d'étudiants et de chercheurs.
L'objectif du colloque est de discuter des réformes proposées pour les différents régimes spéciaux des deux pays, et même pour le régime général (avec un examen de l'apport du projet français de réforme de la responsabilité civile, et les travaux du GRERCA).
Programme
Mercredi 18 Octobre 2023
9h00 : Accueil du public et des participants
9h10 : Allocutions d'ouverture
M. Khalil Fendri, Doyen de la Faculté de Droit de Sfax
M. Abdelwahed Mokni, Président de l'Université de Sfax
M. Jean-François Albat, Directeur-délégué de l'Institut français de Tunisie à Sfax, Consul Honoraire de France en Tunisie
M. Mohamed Medhaffer, Président de l'Association Université et Environnement
9h40 : La responsabilité pour défaut d'information médicale : fondement et régime
M. Philippe Pierre, Professeur à la Faculté de Droit de Rennes
10h00 : Pause-café
10h30 : Le principe de la réparation intégrale
Mme Salma Abid Mnif, Maître de conférences à la Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis
11h00 : L'indemnisation dans la récente jurisprudence de la Cour de cassation
M. Sami Jerbi, Professeur Emérite à la Faculté de droit de Sfax
12h30 : Débat
13h00 : Pause médiane
15h00 : L'indemnisation des préjudices environnemental et climatique
M.atrice Jourdain, Professeur Emérite à l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
15h30 : L'intérêt à agir dans l'action en réparation du dommage écologique
Mme Nada Zidi, Maître assistante à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
16h00 : Pause-café
16h20 : L'indemnisation du préjudice écologique
Mme Olfa Triki, Docteure en droit, Assistante à la Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis
17h00 : Débat
17h45 : Clôture de la séance
Jeudi 19 Octobre 2023
9h00 : L'indemnisation de la perte de chance en droit tunisien et français
Mme Mariem Abdmouleh, Maître Assistante à la Faculté de Droit de Sfax
9h30 : L'indemnisation du préjudice corporel (et le rôle de la barémisation)
Mme Sophie Hocquet-Berg, Professeure à l'Université de Metz
10h00 : Pause-café
10h30 : L'indemnisation du préjudice économique
Mme Laura Vitale, Professeure à l'Université de Lille
11h00 : L'indemnisation en droit de l'arbitrage
M. Walid Ben Hamida, Professeur à l'Université de Lille
11h30 : Débat
12h45 : Clôture du colloque
Colloque organisé par l'unité de recherche "Obligations et arbitrage" de la Faculté de droit de l'Université de Sfax (Tunisie), en collaboration avec l'IODE, Université de Rennes et l'IRJS, avec le soutien de l'Institut français de Tunisie