1. Résumé
« De moyen, la mer est devenue objet de conquête »[1]. En ce début de XXIe siècle, la mer est un espace où se concentrent des enjeux économiques, écologiques et géostratégiques. Outre l'intensification d'activités classiques telles que la pêche et le transport maritime, de nouvelles activités apparaissent ou se développent dans des espaces de plus en plus reculés, à l'instar de l'aquaculture, de la production d'énergie en mer, du stockage de carbone ou encore de l'utilisation de drones. Ce développement croissant des activités en mer fait de l'espace maritime un lieu de rencontre d'intérêts multiples qui parfois se superposent et entrent en concurrence.
Empruntée à la sociologie, la notion de conflits d'usages trouve également à s'appliquer en droit. En mer, la notion peut a priori être entendue comme la rencontre d'utilisations concurrentes - voire incompatibles - de l'espace maritime ou de ses ressources. Par exemple, l'ouverture d'une zone à la recherche et à l'extraction d'énergies fossiles sera difficilement compatible avec les activités de pêche préexistantes dans cette zone. Certains conflits d'usages apparaissent de façon moins évidente : tel peut être le cas lorsque se superposent, au sein d'une aire marine protégée, des activités de conservation du milieu marin et des projets relatifs au développement d'énergies marines renouvelables ayant à la fois une vocation écologique et économique, qui sont susceptibles de causer des risques pour la faune marine[2]. Or, la concurrence d'activités comporte une dimension juridique dans la mesure où les activités en question s'inscrivent dans l'application de règles de droit distinctes dont la rencontre ne permet pas toujours une cohérence. Cette concurrence peut être prise en compte en amont par le droit, lorsqu'il prévient les conflits ou prévoit les modalités de leur résolution, mais elle peut aussi résulter d'une absence de prise en compte de cette situation par le droit. Se pose alors, derrière le conflit entre activités, la question du conflit de normes et du conflit de compétences.
La rencontre proposée concernera les eaux de l'Union européenne (UE), eaux dans lesquelles trouve à s'appliquer tout particulièrement le droit de l'UE. Dans ces espaces, le droit de l'UE apparaît, en effet, comme un cadre particulièrement pertinent pour étudier les conflits d'usages en mer, car il se développe actuellement autour des questions liées à la planification spatiale des océans avec, notamment, la mise en œuvre progressive de la Directive-cadre pour la planification de l'espace maritime[3]. Ce texte vise à favoriser une gestion coordonnée des activités et « usages » de la mer dans une logique de développement durable[4]. Or, les activités conduites dans les eaux communautaires dépendent des compétences attribuées, exclusivement ou de manière partagée, par les Etats membres à l'Union. Ainsi, seule l'UE est compétente pour assurer la conservation des stocks halieutiques dans le cadre de sa Politique commune des pêches, tandis qu'en matière d'énergie, de transport et de protection de l'environnement, sa compétence est partagée avec les Etats membres. En outre, certaines organisations internationales ou régionales possèdent des compétences dans cet espace en matière de pêche, de navigation, ou encore de protection du milieu marin. Dès lors, comment résoudre un conflit d'usages impliquant des activités menées sous l'égide d'autorités compétentes différentes ? A titre d'exemple, peut être envisagée l'obligation de conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche par l'UE, qui doit être conciliée avec le transport maritime dont l'organisation résulte d'une compétence étatique. Ceci pourra donc amener à étudier la question des conflits d'usages en mer sous le prisme de l'articulation et de l'exercice de compétences distinctes entre les Etats membres et l'Union. De manière générale, la question des conflits d'usages renvoie à la nécessité de concilier des intérêts et objectifs parfois contradictoires, ce qui rend leur articulation d'autant plus complexe.
Il s'agira d'envisager comment le droit, et plus spécifiquement le droit de l'UE, appréhende les conflits d'usages en mer, et d'étudier les méthodes de prévention et de résolution de ces conflits qui cristallisent généralement une confrontation entre intérêts économiques, écologiques, voire stratégiques. Le droit de l'UE sera entendu largement, à la fois dans sa dimension interne (relations avec les Etats- membres) et externe (relations avec les organisations dont les compétences trouvent également à s'appliquer dans cet espace).
Le premier objectif de ces journées sera de tenter de préciser et délimiter les contours de la notion de conflits d'usages. La recherche d'une définition, à travers le regard de chercheurs de plusieurs disciplines, permettra non seulement d'établir si la notion de conflits d'usages peut être considérée comme une notion du droit[5], mais aussi de déterminer ce que les notions de « conflits » et d'« usages » recouvrent : s'agit-il de conflits de droits, de compétences, d'activités, ou d'objectifs (ou encore tout cela à la fois) ? La protection du milieu marin fait-elle partie des activités entendues comme des « usages » de la mer ou de ses ressources ou doit-elle être distinguée de ceux-ci ?
Ces prérequis théoriques – qui devront être confirmés ou affinés à l'issue de ces journées – permettront ensuite d'identifier de manière plus pratique des exemples de conflits entre « utilisateurs » de la mer. Il s'agira notamment de mettre en lumière les activités actuellement ou potentiellement concurrentes dans les eaux européennes, que ces activités soient statiques ou dynamiques (énergies, pêche et aquaculture, navigation, aires marines protégées, activités militaires, recherche scientifique, câbles sous-marins, tourisme, activités sportives, etc.). Ces conflits d'usages sont, en outre, exacerbés du fait de la spécificité de l'espace maritime, qui s'étend sur plusieurs dimensions (fonds marins, colonne d'eau, surface, espace aérien surjacent). Leur dimension temporelle doit également être prise en compte puisque la réalisation de certaines activités, comme l'exploitation minière, limite fortement la réalisation successive d'autres activités au sein du même espace à moyen et long terme.
Enfin, ces journées inviteront à réfléchir, d'une part, aux conséquences engendrées par ces conflits d'usages, et, d'autre part, aux moyens mobilisés ou mobilisables pour les résoudre, voire les prévenir. Des exemples tirés de cas réels serviront à exposer les outils à la disposition de l'Union afin de prévenir ou résoudre ces conflits : il peut s'agir, entre autres, de la planification spatiale maritime, de l'obligation de réaliser des études d'impact, ou encore des outils de règlement juridictionnel ou non des différends potentiellement engendrés.
Le colloque proposé se veut pluridisciplinaire. Il est à destination de chercheurs, d'enseignants-chercheurs et de praticiens et s'adresse de manière privilégiée aux jeunes chercheurs, doctorants et étudiants. Une demi-journée sera ainsi spécialement réservée à des présentations de jeunes chercheurs et d'étudiants en Master 2 souhaitant approfondir certaines dimensions de ces problématiques. Le thème se situe en effet à la confluence du droit de l'UE, du droit international de l'environnement, du droit de la mer, sans oublier le droit européen de l'énergie ou encore des transports et permet, en outre, de mobiliser d'autres disciplines dont en particulier la géographie, la sociologie, l'économie ou encore l'histoire.
Colloque organisé par le Centre d'Etudes et de Recherches Internationales et Communautaires (CERIC), Aix-Marseille Université, et l'Institut du droit économique de la mer (INDEMER, Monaco) les 19 et 20 novembre 2020 à l'Université Aix-Marseille.
Direction scientifique et organisation
- Anaïs Bereni, Doctorante au CERIC, anais.bereni@hotmail.fr
- Annick De Marffy, Présidente du Conseil Scientifique INDEMER (Monaco), marffy@aol.com
- Pascale Ricard, Chargée de recherche au CNRS, Université d'Aix-Marseille, CERIC, pascale.rcd@gmail.com
- Wissem Seddik, Doctorant au CERIC, wissem.seddik@gmail.com
Comité scientifique
- Anaïs Bereni : Doctorante au CERIC.
- Annick De Marffy, Présidente du Conseil Scientifique INDEMER (Monaco).
- Sophie Gambardella : Chargée de recherche au CNRS, Université d'Aix-Marseille, CERIC.
- Marie-Pierre Lanfranchi : Professeure à l'Université d'Aix-Marseille, CERIC.
- Pascale Ricard : Chargée de recherche au CNRS, Université d'Aix-Marseille, CERIC.
- Wissem Seddik : Doctorant au CERIC.
- Eve Truilhé-Marengo : Directrice de recherche au CNRS, Directrice du CERIC.
Modalités de soumission et perspective de publication
Les chercheurs et praticiens du droit intéressés par cet appel à contributions sont invités à envoyer leur proposition de contribution aux membres du Comité scientifique (v. adresses e-mails mentionnées ci-dessus). Seront accueillies avec un intérêt particulier les contributions des jeunes chercheurs, praticiens, doctorants et étudiants souhaitant s'engager dans un travail de thèse.
Les contributions prendront la forme d'un résumé (max. 8000 caractères, espaces compris) rédigé en français, présentant le thème de leur choix, les objectifs et l'intérêt de la contribution, le plan envisagé et les principales références se trouvant au cœur de l'analyse. L'attention des contributeurs est attirée sur le fait que les contributions écrites devront être rédigées en français uniquement et envoyées aux membres du Comité scientifique avant le colloque des 19 et 20 novembre. Un délai sera laissé aux auteurs à l'issue de celui-ci pour apporter des modifications à leur contribution originale s'ils le souhaitent (max. 15 000 mots).
Suggestions de questions et thèmes pouvant faire l'objet de contributions :
- Définition, contenu, champ d'application et interprétation de la notion de conflits d'usages, en droit de l'Union mais aussi dans le cadre d'autres disciplines juridiques et non juridiques.
- Lien entre les conflits d'usages en mer et l'exercice des compétences de l'UE, à la fois exclusives et partagées (articles 3 et 4 du TFUE) mais aussi la coordination des politiques économiques (article 5) et le développement durable (article 11).
- Articulation entre droits et activités concurrentes en mer : exemples pratiques de conflits avérés ou potentiels entre usages ou activités : transport maritime, pose de câbles sous-marins, énergies marines, géo-ingénierie, pêche et l'aquaculture, protection du milieu marin par le biais d'aires marines protégées ou encore conservation des ressources biologiques de la mer.
- Relations entre l'Union et les autres organisations internationales et régionales compétentes dans les eaux de l'UE.
- Concurrence entre activités et concurrence entre les objectifs prônés dans le cadre de l'Union, mais aussi au sein de chaque objectif.
- Modalités et outils de gestion, de résolution et de prévention des conflits d'usages en droit de l'UE : négociation, information et participation, planification spatiale maritime, gestion intégrée des zones côtières, études d'impact environnemental, combinaison d'activités, recours au juge…
- Enjeux liés à l'exemption accordée à certaines activités dans le cadre de la planification spatiale maritime par exemple, comme les activités militaires.
- Dans quelle mesure ces divers outils contribuent-ils effectivement à la résolution et la prévention des conflits d'usages en mer ? Quels sont leurs effets, leurs limites ?
Calendrier
- Date limite d'envoi des propositions de communication : 1er juin 2020
- Réponse aux intervenants : 15 juillet 2020
- Remise de la contribution écrite : 10 novembre 2020
- Dates du colloque : 19 et 20 novembre 2020
- Remise des contributions finales : 5 janvier 2021
- Publication : 2021.
[1]. LUCCHINI L., VOELCKEL M., Les Etats et la mer, le nationalisme maritime, la Documentation française, 1978, p. 433.
[2]. C'est notamment le cas au sein du parc marin du Golfe du Lion, avec un projet relatif à l'installation d'une ferme d'éoliennes flottantes. Voir le Rapport d'enquête publique Enquête unique sur le projet de ferme pilote «Eoliennes flottantes du Golfe du Lion» au large de LEUCATE et LE BARCARES et de son raccordement électrique au réseau présenté par les sociétés EFLG et RTE, disponible en ligne au lien suivant : http://www.aude.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_enquete_eolienne_eflg.pdf..
[3]. La Directive 2014/89/UE du 23 juillet 2014 établissant un cadre pour la planification de l'espace maritime est entrée en vigueur vingt jours après sa publication au Journal officiel de l'Union européenne le 28 août 2014, conformément à son article 16. Le délai de transposition par les Etats a été fixé au 18 septembre 2016. Quant aux plans nationaux de planification de l'espace maritime prévus dans le cadre de la Directive, ils doivent être adoptés au plus tard le 31 mars 2021.
[4]. En cohérence avec la politique maritime intégrée (PMI) de l'Union européenne, qui vise depuis 2007 des objectifs de développement durable et de mise en cohérence des activités maritimes, de même que la Directive-cadre stratégie pour le milieu marin (Directive 2008/56/CE du 17 juin 2008).
[5]. La notion du droit s'entend ici comme l'appréhension d'une notion non juridique par le droit. L'évolution de l'organisation de nos sociétés entraîne l'appropriation par le droit de notions nouvelles. Cette appropriation créée des notions du droit (voy. en ce sens : la notion d'énergie renouvelable), que l'on oppose généralement en doctrine aux notions de droit, considérées comme purement juridique, tel que le contrat.
Colloque organisé par le Centre d'Etudes et de Recherches Internationales et Communautaires (CERIC), Aix-Marseille Université, et l'Institut du droit économique de la mer (INDEMER, Monaco) les 19 et 20 novembre 2020 à l'Université Aix-Marseille.