Au Sud de la Bourgogne, le Brionnais peut de loin apparaître comme une génération spontanée du XII° siècle. De fait, ce n’est ni une région physique naturelle, ni une division ecclésiastique. En un temps où une frontière vient séparer la France et la Bourgogne, puis l’Empire, une sorte de hasard va faire de ce territoire disparate, en marge, dirait-on, une marche, vouée à se définir. Le Brionnais va se former, bénéficiant d’une politique volontaire, due à la présence active de deux seigneuries féodales, incarnées par les familles de Semur et Le Blanc : autour d’elles, par le jeu des alliances, voire des rivalités, par les prestigieuses carrières ecclésiastiques de certains de leurs membres, les seigneurs du Brionnais tissent des liens avec les grandes familles des territoires voisins. Au résultat, solidité au dedans,ouverture au dehors sur les régions limitrophes, les lieux de culte, églises et monastères, fleurissent en peu de décennies, pour en dessiner un paysage monumental spécifique. Il sera précisément marqué par une originalité assez sûre d’elle-même pour chercher, adopter, interpréter et faire fructifier les influences. En somme, réseau politique, réseau artistique, les édifices religieux vont former un ensemble animé de riches interactions. Ce point de vue nous a permis de renouveler le regard porté jusqu’ici sur ce domaine original, le paradoxe étant que cet ensemble n’est pas parvenu jusqu’au XXIe siècle sans pertes ni modifications, et que, sous des apparences romanes, le paysage actuel est avant tout une construction du XIXe siècle ! Il a donc fallu procéder tout d’abord à une analyse régressive, de décapage dans le temps, et de reconstitution prudemment guidée par les traces et la documentation. En parcourant à reculons le patrimoine religieux contemporain et moderne, nous avons pu remonter jusqu’au IX° siècle, jusqu’ici ignoré de la recherche : elle ne s’était intéressée qu’aux églises conservées en élévation, alors que plus de la moitié des églises construites entre le IX° siècle et le XII° avaient disparu de la surface observable. Le premier résultat est d’importance : l’on peut maintenant suivre la genèse du tissu paroissial, comme un glissement du découpage en agri et villæ vers un maillage de parrochiæ. Une fois restitués la géographie politique et ecclésiastique et le patrimoine, il s’est révélé que le contexte particulier du Brionnais avait donné naissance à une architecture religieuse particulière, grâce à l’étude de la morphologie des bâtiments, de leur style, à une attention spéciale portée à la pierre à bâtir depuis son approvisionnement jusqu’à l’ouvrage. L’architecture du Brionnais offre de fait un profil totalement original. Le détail des analyses montre une invention, née de la capacité des bâtisseurs à puiser formes et techniques à des répertoires variés pour composer des créations inédites. Naturellement, comme l’historiographie du Brionnais roman est abondante (en particulier concernant le décor sculpté), notre travail a croisé les sources de réflexion, les bâtiments, les textes et les images, associant archéologie du bâti, histoire de l’art, géologie, histoire. Pour revenir au côté paradoxal, nous avons gardé le souci de favoriser autour de notre XII° siècle le temps long de l’Histoire, et l’époque Moderne, par exemple, nous a beaucoup parlé du Brionnais roman.