Dans les affaires humaines, la nécessité paraît exclure la liberté, notamment celle qui consiste à faire un choix : elle renvoie ainsi à « ce qui ne peut pas ne pas être ». Comme l'impossibilité, la nécessité étouffe la discussion : ce qui est nécessaire est non seulement impératif, mais aussi indiscutable. A bien des égards, c'est bien en ce sens que le droit appréhende d'abord la nécessité : c'est une réalité impérieuse face à laquelle les règles juridiques doivent se plier. L'adage « à l'impossible, nul n'est tenu » exprime bien cette idée que la nécessité effrite voire sacrifie les exigences du droit, du moins celles que l'on admet en temps « normal ». Il s'agit par exemple d'admettre la légalité d'actes qui seraient, sans cette circonstance, parfaitement illégaux (jurisprudence administrative des circonstances exceptionnelles), ou bien de considérer qu'un comportement est légitime en raison d'un état de nécessité (droit pénal). Hauriou évoquait d'ailleurs, au sujet de la jurisprudence Heyriès du Conseil d'Etat, la 'légitime défense de l'Etat'. Parce qu'elle évoque un risque d'arbitraire ou une raison d'Etat, la nécessité susceptible de couvrir l'illégalité ou de faire admettre l'inadmissible pose question au juriste. La nécessité semble s'imposer au droit, au point de conditionner sa réaction. Mais le droit est-il ou peut-il rester essentiellement passif face à une « nécessité » indiscutable ? La nécessité mérite d'être interrogée dans sa réalité même. Du point de vue épistémologique, elle s'apparente à un fait et pose des questions analogues. De même qu'il 'n'y a pas de fait brut si brutal qu'il interdise toute suspicion à son adresse' (G. Canguilhem), la nécessité ne s'impose pas d'elle-même. Elle est, au moins en partie, construite socialement. Si certains faits s'imposent selon toute vraisemblance au droit (attentat, épidémie, catastrophe naturelle, etc), la nécessité peut aussi apparaître comme un argument de nature à clôturer les débats, tout en offrant une justification pour une évolution du droit existant. La nécessité est certes liée à l'impératif de reconnaître les circonstances nouvelles, de s'adapter à elles: le droit ne peut pas ne pas prendre en compte le réel, qui impose ses exigences. Mais le monde juridique s'adapte constamment à la réalité des faits auxquels il entend s'appliquer. Si la nécessité est bien spécifique, des indices tels que l'anormalité (plus ou moins radicale), l'urgence, l'imprévisibilité ou encore l'ampleur des troubles réels peuvent aider à en clarifier le statut, notamment pour différencier la nécessité d'un événement plus banal. L'étude portera sur le droit administratif, au regard de la place considérable que ce droit reconnaît à la nécessité et à l'actualité de la question. Peu analysée jusqu'ici pour elle-même, contrairement à d'autres notions voisines telles que l'urgence ou la mutabilité, la nécessité occupe une place considérable dans le droit administratif. En particulier, le juge administratif est un juge de la nécessité administrative: depuis les origines, le Conseil d'Etat est attentif à prendre en compte les 'nécessités' de l'action publique et juge en conséquence. Au fond, la nécessité paraît constituer une justification essentielle du droit administratif, lequel peut alors être réinterprété comme le droit de la nécessité administrative.