"La 4e de couverture indique : On savait qu’à côté des barèmes légaux étaient assez largement diffusés dans les juridictions des outils d’aide à la décision, construits par les acteurs et actrices du droit, dans de multiples domaines d’activité. Cette recherche le confirme et présente un large éventail de barèmes disponibles, sans pour autant prétendre à l’exhaustivité, après avoir réalisé une sorte de radiographie des juridictions du fond, tous contentieux confondus. L’étude a permis de recenser 122 outils (*) à partir de 55 entretiens semi-directifs conduits auprès de juges et membres du parquet relevant de trois juridictions de premier degré de chaque type (**) (soit 30 juridictions visitées), enrichie de deux établissements pénitentiaires et d’une exploration systématique de l’intranet justice. C’est à partir de cet ensemble que nous proposons une définition de ces objets qui place au second plan leur dimension fonctionnelle (gain de temps, prévisibilité, harmonisation) pour en retenir une définition plus théorique. Que ces outils suggèrent un montant (indemnisation, pension, peine…) ou l’orientation d’un dossier, ils permettent tous de préciser les critères de décision fixés par le droit applicable, proposant une interprétation de la règle de droit et resserrant ainsi le maillage normatif. Cette dimension politique essentielle s’apprécie moins dans l’activité individuelle des juges, maîtres de leurs décisions, que dans la possibilité de construire des politiques publiques qui s’appuient sur ces régularités recherchées : ces outils admettent par construction l’existence de situations suffisamment similaires pour être traitées de façon comparable. A partir de cette définition, il devient secondaire de déterminer si un outil d’aide à la décision doit se fonder sur des données chiffrées ou produire un résultat chiffré pour être qualifié de « barème » : cette construction peut passer par des données chiffrées ou pas. On retient plus généralement le vocable de barème dans le premier cas, de référentiel ou de lignes directrices dans le second. La capacité de ces outils à harmoniser les solutions retenues justifie largement leur utilisation aux yeux des professionnel.le.s, qui restent pour autant soucieux de conserver leur liberté et rappellent le caractère nécessairement facultatif de ces outils. Cette préoccupation explique sans doute que ces outils restent largement invisibles, confinés aux pratiques professionnelles et très rarement objets de références explicites dans les décisions de justice. Non seulement ils proposent une réduction de l’espace des possibles et apparaissent comme susceptibles de restreindre le principe de la liberté d’appréciation souveraine – d’où l’attachement à leur caractère facultatif – mais aussi ils démontrent, a contrario, l’espace de décision des magistrat.e.s, par ailleurs nié par une tradition civiliste qui voit dans le juge un instrument d’application transparent de la loi générale et abstraite ; ils manifestent une préoccupation pour l’égalité de traitement des justiciables, par opposition à un autre idéal de justice donnant la préférence à une succession de décisions individuelles incomparables ; enfin, bien que cela n’apparaisse pas comme un argument prépondérant des magistrat.e.s, les barèmes sont malgré tout associés à une préoccupation relative à la rapidité de traitement des demandes, qui s’oppose à une conception artisanale de la justice. Pourtant, compte tenu de l’ampleur du phénomène comme de l’accumulation d’outils hétéroclites, de facture incertaine, déployés au niveau local ou sur un territoire plus large et des incertitudes constatées dans l’accès à ces outils, peut-on ou doit-on laisser les magistrat.e.s continuer à en faire, seuls, leur affaire ?"