Présentation de l'éditeur
La norme sociale de conduite, qui se déploie au sein d'un groupe, présente la caractéristique observable d'imposer des devoirs de conduite sanctionnés collectivement, notamment par la mise au ban, plus ou moins prononcée, du déviant. La science juridique a su illustrer cette norme par des exemples saisissants, sans toutefois réaliser sa conceptualisation. Le présent ouvrage tente d'y remédier. Il établit que les phénomènes grégaires procèdent d'une situation dans laquelle des individus, massés dans un groupe restreint, se sentent intimement tenus par une norme de conscience partagée. En effet, c'est en admettant que cette norme intérieure est l'aune à laquelle chacun juge autrui, que l'on comprend comment elle gouverne la relation qu'on entretient avec lui. S'il la respecte, la relation se renforce ; s'il la piétine, elle se délite. À l'échelle du groupe, le manquement à la norme de conscience partagée se traduit inexorablement par un phénomène d'exclusion. La norme sociale se trouve ainsi charpentée par l'identification de l'autorité qui l'impose (la conscience morale), de son cadre d'exécution (le groupe restreint) et de sa sanction caractéristique (l'intégration ou l'exclusion du groupe). La norme sociale peut alors s'arracher à son état de chose diffuse et fuyante, émanant d'un groupe personnifié. Elle devient un concept mobilisable, notamment pour mener une analyse critique du statut qu'on lui a forgé.
La thèse s'efforce de montrer que la pensée privatiste considère classiquement la norme sociale comme une norme de rien, juste bonne à réguler ce que le Droit délaisse. Une telle marginalisation de la norme sociale paraît d'abord corrélée à l'idée qu'il existe des situations juridiques formant le domaine réservé du Droit, sur lequel toute emprise normative concurrente est niée. Ensuite, l'examen de l'univers normatif que se représentent les juristes finit de convaincre de la marginalisation de la norme sociale. On constate qu'elle fut, pendant longtemps, radicalement absente du tableau, le Droit n'étant mis en concurrence qu'avec la Morale et la Religion. Concurrence de façade, d'ailleurs, puisque les impératifs moraux étaient ramenés à l'exercice d'une liberté individuelle ; quant aux prescriptions religieuses, elles présentaient l'infirmité de ne pouvoir revendiquer de sanction qui se développe en ce monde.
Puis, la doctrine redessina l'univers normatif. Le Droit fut alors mis à l'épreuve d'une nouvelle norme : la règle de moeurs, sous les traits de laquelle on reconnaissait la norme sociale (intériorisation, régularité des comportements, sanction grégaire). C'était le début de sa reconnaissance.
Ancien ATER à l'Université de Bourgogne, Samuel Benisty est aujourd'hui Maître de conférences en droit privé à l'Université de Paris-Est Créteil.
Lauréat du Prix de thèses de l'Institut Universitaire Varenne
Préface de Thomas Clay