Présentation
« Si la connaissance se donne comme connaissance de la vérité, c'est qu'elle produit la vérité par le jeu d'une falsification première et toujours reconduite qui pose la distinction du vrai et du faux », disait Michel Foucault dans une de ses Leçons sur la volonté de savoir 1. Les récents débats autour des fake news en témoignent, au-delà de la représentation même de la vérité, ce sont les enjeux de la production de la vérité et sa relation avec les instances capables de fonder son autorité qui sont en cause.
La relation du droit est, du moins dans notre système juridique, consubstantielle à celle de vérité, Res iudicata pro veritate habetur. C'est là une forme de vérité particulière propre aux juristes, qui s'inscrit dans le domaine des normes. Le jugement ne dit pas le vrai, il est réputé dire le vrai. Une fiction qui opère alors même que le caractère erroné de la décision serait reconnu (3e Ch. civ., 4 mars 1998, pourvoi n° 96 11-399 et Ch. soc. 19 mars 1998, Bull. n°158).
Les enjeux de la vérité judiciaire sont évidemment à chercher ailleurs que dans l'établissement d'une réalité factuelle et sont d'abord affaire de pouvoir. On a parfois tendance à oublier que l'office du juge n'a pas toujours été rapporté à la fonction de dire le vrai et que sa décision a pu être une sentence plutôt qu'un jugement au sens strict du terme. C'est lorsque le procès devient l'outil du pouvoir que la vérité sert d'autorité à la chose jugée, une vérité que le juge édicte en même temps que le justiciable doit la reconnaître. Si l'on veut comprendre et mesurer les implications politiques de la vérité judicaire, il faut partir à l'origine du concept, et retrouver le moment au cours duquel le jugement pénal s'est imposé comme discours de vérité.
Au-delà du souci d'érudition qui est celui de l'historien du droit, l'enquête déborde sur le présent car les représentations d'aujourd'hui empruntent à celles du passé. Pour comprendre le présent, Michel Foucault proposait de recourir à la méthode archéologique. Il s'agissait selon lui non pas tant de situer les origines d'une institution que de comprendre les transformations, le processus des évolutions qui l'ont produite. C'est cette chaîne que l'on tentera ici de recomposer en revenant non seulement sur le contexte dans lequel le jugement est apparu comme discours de vérité, mais aussi sur les modalités qui ont permis sa pérennité, également sur les influences culturelles diverses qui lui ont donné sa physionomie particulière.
La journée d'études organisée par le Centre d'Histoire et d'Anthropologie du Droit interrogera la notion autour de plusieurs questions :
I – La vérité judicaire, Construction du concept et approche comparative
Le rapport entre jugement et vérité, Orient/Occident
La vérité judiciaire au regard d'autres vérités, vérité historique, vérité scientifique
Res iudicata pro veritate habetur. Archéologie du concept et construction du principe.
II – Dire le vrai
Jugement de Dieu, jugement des hommes (Jury)
La place de la fiction et le rapport à la réalité
Torture et vérité
III – La vérité judiciaire et ses applications contemporaines
Expertise, vérité scientifique, vérité vraisemblable
La pratique pénale, les gardes à vue et la culture de l'aveu, le droit au mensonge
Les ADR en droit pénal. Le plaider coupable à la française, Les Commissions Vérité et Réconciliation
Soazick Kerneis, Centre d'Histoire et d'Anthropologie du Droit
Programme
Vendredi 8 décembre 2017
Sous la présidence de Soazick Kerneis, Université Paris Nanterre
9h00 : La construction de la vérité judiciaire dans la Chine impériale
Frédéric Constant, Université Paris Nanterre
Le recours à l'ordalie dans l'Angleterre anglo-saxonne (VIIe-XIe s.)
Christophe Archan, Université Paris Nanterre
Vérité sociale contre vérité de faits : la fabrique de verdicts par le jury anglais (XIIe-XIVe s.)
Kim-Thao Le, Université Paris Nanterre
Sous la présidence de Jean-Pierre Poly, Université Paris Nanterre
11h00 : La personne entre vérité et fiction en droit médiéval
Elisabeth Schneider, Université de Freiburg
La vérité judiciaire à l'épreuve du scandale dans la doctrine canonique médiévale
Capucine Nemo-Pekelman, Université Paris Nanterre
12h00 : Pause Déjeuner
Après-midi
Sous la présidence d'Yvonne Muller, Université Paris Nanterre
14h00 : L'autorité de la chose jugée fondée sur une présomption légale de vérité (XVIIe-XXIe s.)
Sofiane Yahia Cherif, Université Paris Sud
Vérité judiciaire, vérité factuelle et élément moral en droit pénal contemporain
Alexandre Frambéry, Université de Bordeaux
La vérité à l'audience des assises
Christiane Besnier, Université Paris Nanterre
« Je ne sais pas si c'est vrai ou si ce n'est pas vrai, je n'en sais rien… » : Le juge et les malentendus dans les audiences de la justice familiale belge
Barbara Truffin & Corentin Chanet, Université Libre de Bruxelles
16h30 : Fin
Contact : soazick.kerneis@orange.fr
Journée organisée par le Centre d'Histoire et d'Anthropologie du Droit (CHAD) membre de Fédération Interdisciplinaire de Nanterre en Droit (FIND)