Présentation
Ce colloque concrétise l'aboutissement d'un projet d'ampleur engagé sur deux années dans le cadre d'un appel à projets «Politique scientifique» de l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et intitulé «Internormativités dans le champ pénitentiaire». Il s'inscrit ainsi dans la continuité de six journées d'étude exploratoires organisées autour de problématiques pénitentiaires variées : création de la norme, responsabilité(s) du service public pénitentiaire, sens de la peine, conditions matérielles de détention, santé des personnes incarcérées et radicalisation religieuse. Il a pour objectif de mettre en lumière l'apport scientifique de ces travaux tout en valorisant une méthode, celle d'échanges directs entre chercheurs et praticiens au soutien d'une dialectique renforcée entre théorie et pratique. Le constat est unanime : le combat mené pour la reconnaissance des droits des personnes détenues a porté ses fruits. Les évolutions conjuguées de la jurisprudence administrative et européenne, soutenue par l'impulsion législative du 24 novembre 2009, ont eu des effets remarquables sur le quotidien carcéral et remarqués par l'ensemble des acteurs. L'économie de la privation de liberté carcérale en a été modifiée par une redistribution des cartes, investissant les autorités pénitentiaires de missions renforcées de protection, mais faisant également peser sur elles des exigences de concrétisation de l'accès au droit des personnes détenues.
Bien que demeurent nécessairement des domaines dans lesquels les ressources des droits de l'homme n'ont pas encore été exploitées, ou pourraient l'être différemment, il semble opportun d'arrêter le regard un moment sur les effets pratiques, déjà connus, de cette diffusion à grande échelle des droits.
Les observateurs disposent aujourd'hui d'un certain recul permettant de dresser un premier bilan sur les améliorations concrètes apportées par l'application croissante des droits fondamentaux à la vie carcérale, mais il semble tout aussi essentiel d'en déceler les zones d'ombre, les dysfonctionnements, les effets néfastes parfois inattendus et souvent tus; et ce non pas pour en délégitimer l'existence ou la puissance mais davantage pour en renforcer la portée pratique tout en confortant leur légitimité théorique. Toute médaille a son revers et la place acquise par les droits fondamentaux en prison suscite des questionnements nouveaux, crée des lacunes nouvelles, et suscite parfois des contestations, tant de la part des personnels pénitentiaires que des personnes incarcérées.
Le terme de « revers » désigne «le côté opposé à celui qui se présente d'abord ou est considéré comme le principal». C'est en ce sens que nous envisagerons essentiellement l'expression de « revers » des droits de l'homme, comme une invitation à explorer les effets moins connus de la reconnaissance des droits en milieu carcéral.
Qu'il s'agisse de la protection du droit à la vie qui conduit à prendre des mesures sécuritaires extrêmement contraignantes à l'encontre de personnes détenues qui présenteraient des risques suicidaires, ou de la prohibition des traitements inhumains et dégradants qui a imposé la construction d'établissement au sein desquels les relations humaines sont oubliées au profit des garanties de sécurité, les exemples sont nombreux au soutien de l'idée de cet impensé politique, celui du revers des droits en prison.
A travers les exemples de plusieurs droits fondamentaux, l'objectif de ce colloque est celui d'une mise en lumière des difficultés concrètes nées de leur reconnaissance.
L'originalité de ce projet est également de mettre l'accent sur les préoccupations pratiques qui sont communes à l'ensemble des acteurs, personnels pénitentiaires et personnes détenues, permettant ainsi, grâce à la discussion, d'élaborer des perspectives de résolution des difficultés observées.
La première demi-journée du colloque sera consacrée aux réflexions générales qui sous-tendent la genèse du sujet. Il est particulièrement intéressant d'interroger la conception de la Direction de l'administration pénitentiaire sur cette question du « Revers des droits de l'homme en prison », tout comme il sera utile d'entendre les représentants des différents organes de contrôle qui ont pour mission de s'assurer du respect des droits des personnes détenues par les autorités publiques (CGLPL, CNCDH...).
Il sera également fait une place aux associations de défense des droits des personnes privées de liberté dont le travail a beaucoup participé de la diffusion des droits en prison.
Au-delà de ces vues générales, la journée du 13 septembre sera consacrée à l'illustration concrète de cette problématique. En partant de divers droits reconnus à présent aux personnes détenues, seront envisagées les difficultés pratiques qu'ils suscitent, tant du point de vue de l'administration pénitentiaire que du point de vue des personnes détenues.
Cet échange à partir d'exemples concrets permettra d'ouvrir la discussion sur les voies possibles de résolution des difficultés rencontrées et d'ébaucher des recommandations qui pourraient être utiles à l'heure d'une volonté affichée par les autorités gouvernementales de repenser la prison.
Programme
Mardi 12 septembre
14h00 : Allocution d'ouverture
Jean-Jacques Urvoas, ancien Garde des Sceaux, ministre de la Justice
14h20 : Propos introductifs
Isabelle Fouchard et Anne Simon, responsables scientifiques du projet « Internormativités dans le champ pénitentiaire »
14h40 : Table-ronde introductive :
Regards croisés sur le « revers des droits » dans l'espace carcéral
Présidence : Geneviève Giudicelli-Delage, Professeur émérite de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Avec :
Un représentant de l'Administration pénitentiaire (à confirmer)
Christine Lazerges, Présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme
Adeline Hazan, Contrôleur général des lieux de privation de liberté
Delphine Boesel, Présidente de l'Observatoire international des prisons – section française
17h00 : Echanges avec la salle
17h30 : Clôture
Mercredi 13 septembre
9h00 : Droit à un recours effectif ~ Formalisme, traçabilité et contournements
Discutant :
Mattias Guyomar, Conseiller d'Etat, Président de chambre au sein de la section du contentieux
Valérie Decroix, Directrice interrégionale des services pénitentiaires Strasbourg -Grand Est
Nicolas Ferran, Responsable du contentieux OIP – Section française
L'exemple des effets d'un formalisme renforcé. En vertu du droit au recours effectif, les pratiques ont dû être profondément transformées pour renforcer la justiciabilité des mesures pénitentiaires. Afin qu'une mesure prise à l'encontre d'une personne détenue puisse être contestée, il est impératif que la mesure soit formalisée, motivée et que des procédures soient organisées pour que la contestation soit possible, depuis l'intérieur des établissements pénitentiaires jusqu'aux juridictions. Le développement du droit au recours a pu avoir certaines conséquences néfastes. D'une part, certaines pratiques se sont développées pour contourner ces exigences formalistes, c'est le cas notamment de l'instauration dans certains établissements pénitentiaires d'un plaider-coupable disciplinaire, destiné à éviter les exigences nouvelles liées à la composition des commissions de discipline. D'autre part, ces exigences croissantes encouragent l'élaboration d'une forme de traçabilité constante des personnes détenues, destinée à motiver chaque décision prise à leur encontre. Tout élément de détention doit être noté, enregistré, répertorié, alourdissant la charge administrative des agents, au détriment des rapports humains avec les personnes détenues.
11h00 : Droit à la vie privée et familiale ~ Quartiers nurserie
Discutantes :
Caroline Touraut, Docteur en sociologie, chargée d'études à la Direction de l'administration pénitentiaire
Laurence Bebin, Puéricultrice, équipe PMI à la nurserie du centre pénitentiaire des femmes de Rennes
Amaria Tlemsani, Juge d'instruction au Tribunal de Grande instance de Paris et ancienne juge d'application des peines
L'exemple des quartiers nurserie. Le droit au respect de la vie privée et familiale peut être invoqué au fondement du droit des mères incarcérées à garder auprès d'elles leurs jeunes enfants, qu'elles soient condamnées ou simplement prévenues. La loi prévoit en effet que les enfants en bas âge, jusqu'à 18 mois, peuvent être gardés par leur mère en détention. Dans ce cas, ils seront placés dans des quartiers ou des cellules nurserie. Il existe dans notre arsenal normatif une lacune manifeste qui concerne le statut juridique de l'enfant en détention en raison de son lien de parenté. Que dire des droits de l'enfant dans de telles hypothèses, détenu sans être sous écrou ? Comment l'autorité parentale s'exerce-t-elle dans ce lieu de totale dépendance de la mère à l'administration ? L'intérêt supérieur de l'enfant doit être concilié avec les droits fondamentaux de ses parents. Interroger le régime juridique des quartiers nurserie pose de nouvelles questions en termes de respect des droits
12h30 : Pause déjeuner
14h00 : Droit à la vie ~ Prévention du suicide
Discutants :
Eric Péchillon, Professeur de droit public, Université Bretagne Sud
Véronique Pajanacci, Ancienne chef de la mission de la prévention du suicide à la DAP
Dr Cyril Manzanera, Psychiatre et docteur en droit, CRIAVS – UCSA, CHRU Montpellier
L'exemple de la prévention du suicide. La protection du droit à la vie et l'extension du champ de la responsabilité de l'Etat sur ce fondement conduit les autorités publiques au développement de mécanismes notamment destinés à la prévention du suicide des personnes incarcérées. Certaines des mesures prises peuvent être perçues comme de nouvelles atteintes portées au droit à l'intégrité des personnes détenues. Le dispositif de protection d'urgence, y compris au quartier disciplinaire, la cellule de protection d'urgence, les réveils nocturnes, la surveillance continue en cellule, éventuellement par le biais de systèmes vidéo, la mise à l'isolement préventif, la limitation du port de certains vêtements et du mobilier en cellule pourraient être considérés comme une violation du droit à l'autonomie personnelle et conduire à des qualifications nouvelles et impensées de traitements inhumains ou dégradants
16h00 : Prohibition des traitements inhumains et dégradants ~ Architecture
Discutants :
Laurent Solini, Maître de conférences en sociologie, Université de Montpellier
Julien Morel d'Arleux, Directeur des services pénitentiaires, ancien directeur de la maison d'arrêt de Lyon-Corbas(sous réserve)
Hugues de Suremain, Avocat, Réseau européen de recherche et d'action en contentieux pénitentiaire
L'exemple de l'architecture des nouvelles prisons. Sur le fondement de la prohibition des traitements inhumains et dégradants, le contentieux de la responsabilité de l'Etat pour indignité des conditions de détention s'est amplement développé. Ainsi, les conditions d'incarcération dans de nombreux établissements pénitentiaires vétustes ont été pointées du doigt comme contraires à la dignité humaine et, ainsi, 5 constitutives d'un traitement dégradant. Ce mouvement contentieux a conduit à la fermeture de plusieurs établissements dont les détenus ont été transférés vers de nouvelles prisons, supposées garantir les exigences européennes en matière de condition de détention. Des sanitaires cloisonnés, des douches en cellule, des fenêtres et des systèmes d'aération de taille suffisante ont ainsi été intégrés aux plans de ces nouveaux lieux d'enfermement. Cependant, de tels établissements ne sont pas de nature à résoudre toutes les difficultés inhérentes au respect des droits fondamentaux. La problématique de la surpopulation qui dégrade de manière accélérée ces locaux persiste dans ce nouveau contexte. Par ailleurs, nombreux sont les acteurs à constater que la sécurité semble avoir été l'unique critère guidant la construction de ces nouvelles prisons, oubliant l'obligation de resocialisation mise à la charge des autorités pénitentiaires. Isolement des surveillants, mécanismes sécuritaires renforcés (multiplication des grilles, des visiophones, des dispositifs vidéos...), isolement des détenus dont les contacts humains apparaissent extrêmement limités. La déshumanisation de ces nouvelles conditions de détention pourrait apparaître comme une nouvelle source d'atteintes aux droits
17h30 : Conclusions
Bruno Cotte, Président honoraire de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, ancien Président de chambre de jugement à la Cour pénale internationale et membre de l'Institut de France
18h00 : Fin du colloque
Accès libre, sur inscription préalable à l'adresse : colloque.reversdesdroitsprison@gmail.com
Manifestation validée au titre de la formation continue des avocats
Organisé sous la responsabilité scientifique de Isabelle Fouchard, Chercheur au CNRS et Anne Simon, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.