La démocratie illibérale en droit constitutionnel. Concept et état des lieux

Appel

La démocratie illibérale en droit constitutionnel. Concept et état des lieux

Journées d’étude virtuelles, 7 et 8 avril 2021

Date limite le vendredi 18 déc. 2020

Il est d'usage d'attribuer la création de l'expression « démocratie illibérale » à Fareed Zakaria, politologue américain, qui l'employa à la fin des années 1990 pour désigner l'essor de régimes politiques combinant un système d'élections libres et l'absence d'une culture et d'institutions ressortissant du libéralisme constitutionnel (rule of law, séparation des pouvoirs, droits fondamentaux)[1]. Elle est aujourd'hui entrée dans le langage courant, est assez largement étudiée en sciences politiques et est même revendiquée par certains dirigeants, tel Viktor Orban. Plusieurs régimes sont qualifiés de démocraties illibérales par la doctrine politiste, comme ceux de la Hongrie, mais aussi de la Pologne, de la Roumanie, de la Russie, du Venezuela ou encore de la Turquie et de Singapour. D'autres régimes semblent également répondre au modèle originel, mais leur qualification pourrait être discutée, comme Israël, le Brésil voire les Etats-Unis ou la France.

D'un premier abord, la définition de la démocratie illibérale semble évidente en tant que s'opposant à la démocratie libérale, laquelle est classiquement définie comme un système politique caractérisé non seulement par des élections libres, mais aussi par l'Etat de droit, la séparation des pouvoirs et la protection des libertés fondamentales, notamment par la voie du contrôle de constitutionnalité des lois. Le droit de l'Union est inspirant à cet égard, car l'article 2 du Traité sur l'Union européenne relatif aux valeurs de l'Union place sur un pied d'égalité la démocratie et le respect des libertés (« L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes »).

Quant à la démocratie illibérale, celle-ci serait marquée certes par l'organisation d'élections permettant la désignation des dirigeants par le peuple, mais aussi et en revanche par l'absence de pluralisme politique et de protection des libertés constitutionnelles. Elle serait surtout observée dans des pays ayant accédé récemment à la démocratie, comme les pays d'Europe de l'Est ou d'Amérique latine, marquant une certaine dégradation de la démocratie ou « régression démocratique », alors que l'anéantissement du nazisme et la chute de l'Empire soviétique laissaient entrevoir un triomphe de la démocratie et des libertés fondamentales. Cet état de fait aurait plusieurs origines : l'absence de contrôle de constitutionnalité des lois ou de contrôle juridictionnel de l'administration suffisamment effectifs, la répression des idées d'opposition ou « autoritarisme électoral », par plusieurs biais (contrôle de l'opposition, sanctions allant jusqu'à l'emprisonnement, voire assassinats d'opposants politiques), les restrictions nombreuses à l'exercice des libertés politiques, à savoir d'expression (notamment par le musèlement des médias), de réunion et de manifestation ou même d'autres libertés comme la liberté religieuse, la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée, la liberté académique ou la non-discrimination. La démocratie illibérale pourrait également être caractérisée par les pouvoirs importants d'un chef d'Etat ou de gouvernement, par une séparation des pouvoirs déséquilibrée, par l'affaiblissement des contre-pouvoirs (notamment le Parlement et les juges), par la remise en cause de l'indépendance de la justice, par des révisions de la Constitution s'apparentant à des manipulations institutionnelles comme celles observées en Russie ou en Bolivie, ou par le recours fréquent voire instrumentalisé aux procédures de démocratie directe. Il pourrait ici s'agir des critères juridiques de la démocratie illibérale.

Néanmoins, en tant qu'objet du droit constitutionnel, la démocratie illibérale n'est que peu étudiée, et ne fait pas l'objet d'une définition précise ni d'une théorisation. Pourtant, au regard de la progression des régimes dits illibéraux dans le monde, il semble nécessaire de l'étudier sous l'angle du droit constitutionnel, afin de l'identifier, de la définir et d'en comprendre le fonctionnement. L'une des difficultés de cette tâche est sans doute que la démocratie illibérale est le plus souvent régie par une norme suprême présentant tous les aspects d'une constitution d'une démocratie libérale : c'est donc le détournement de ses dispositions, voire l'utilisation de ses dispositions à des fins illibérales (révision de la Constitution ou de la législation, contrôle des nominations, détournement des procédures de démocratie directe), qui caractériseraient la démocratie illibérale.

Le sujet de l'identification de la démocratie illibérale est d'actualité, non seulement au regard du nombre de régimes susceptibles de recevoir cette qualification, mais aussi de l'escalade de l'illibéralisme observée en pratique dans la plupart d'entre eux (en Pologne, par exemple, l'Etat de droit est progressivement en déclin après des atteintes répétées à la séparation des pouvoirs, à l'indépendance du pouvoir judiciaire et aux droits des minorités). Il est également d'actualité dans le contexte de la crise sanitaire, lors de laquelle la frontière entre libéralisme et autoritarisme semble remise en question.

L'objet de ces journées d'étude est de délimiter le concept de démocratie illibérale, d'en proposer une définition, d'en appréhender le régime constitutionnel et de contribuer à l'élaboration d'une théorie juridique de ce  type de démocraties. Elles seront également l'occasion de montrer ce que la science juridique peut apporter à l'étude du phénomène, en complément des autres sciences sociales. Une première partie théorique permettra de différencier la démocratie illibérale d'autres concepts qui semble proches, comme la démocrature, le régime autoritaire ou le régime populiste notamment. Tant la théorie constitutionnelle que le droit européen pourront à cet égard éclairer les réflexions sur le concept de démocratie illibérale. Une seconde partie axée sur les exemples étrangers permettra quant à elle d'appréhender les différentes approches théoriques de la démocratie illibérale dans le monde et de préciser la définition de la démocratie illibérale, grâce à la méthodologie du droit comparé ou de l'analyse du droit étranger.

Même si l'approche de sciences politiques peut utilement éclairer les contributions, celles-ci devront principalement porter sur les aspects juridiques de la démocratie illibérale. Notamment, les propositions en droit comparé ou en droit étranger sont particulièrement les bienvenues si elles s'attachent à analyser les débats théoriques ou essais de définitions du concept de démocratie illibérale au sein de la doctrine juridique du pays concerné.

Les propositions de contributions (qualités de l'auteur et résumé d'une page maximum) sont attendues au plus tard le 18 décembre 2020 à l'adresse suivante :  Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Ces journées d'étude auront lieu les 7 et 8 avril à distance.

 

Comité scientifique

Vanessa Barbé, professeur de droit public à l'Université Polytechnique Hauts-de-France, directrice-adjointe du Centre de recherche interdisciplinaire en sciences de la société (CRISS)

Charles-Edouard Sénac, professeur de droit public à l'Université de Bordeaux, chercheur au Centre d'Etudes et de Recherches Comparatives sur les Constitutions, les Libertés et l'Etat (CERCCLE)

 

Bibliographie

Paul Blokker, « Populist counter-constitutionalism, conservatism, and legal fundamentalism », European Constitutional Law Review 2019, 15(3), pages 519-543.

Philippe Braud, « Les démocraties libérales sont-elles mal-gouvernables ? », Pouvoirs, 2019/2 n° 169, pages 61-71.

Pablo Castillo-Ortiz, « The illiberal abuse of constitutional courts in Europe », European Constitutional Law Review 2019, 15(1), pages 48-72.

Lucia Corso, « When anti-politics becomes political : what can the Italian Five Star Movement tell us about the relationship between populism and legalism », European Constitutional Law Review 2019, 15(3), pages 462-487.

Thomas Hochmann, « Cinquante nuances de démocratures », Pouvoirs, 2019/2 n° 169, pages 19-32.

Thomas Hochmann, « La Cour européenne des droits de l'homme face aux démocraties illibérales. Pour une application de l'article 17 contre les Etats », RFDA 2020, page 725.

Lucien Jaume, « Démocratie illibérale : une nouvelle notion ? », Constitutions 2019, page 177.

David Kosar, Jiri Baros, Pavel Dufek, « The twin challenges to separation of powers in Central Europe : technocratic governance and populism », European Constitutional Law Review 2019, 15(3), pages 427-461.

Roman Krakovsky, « Les démocraties illibérales en Europe centrale », Etudes, 2019/4, pages 9-22.

Martin Krygier, « The challenge of institutionalization : post-communist “transitions”, populism, and the rule of law », European Constitutional Law Review 2019, 15(3), pages 544- 573.

Didier Mineur, « Qu'est-ce que la démocratie illibérale ? », Cités, 2019/3 n° 79, pages 105- 117.

Georges Mink, « Les historiens polonais face à l'expérience de la démocratie illibérale », Histoire@Politique, 2017/1 n° 31, pages 36-45.

Yascha Mounk, Le peuple contre la démocratie, Editions de l'Observatoire, 2018.

Xavier Philippe, « La légitimation constitutionnelle des démocratures », Pouvoirs, 2019/2 n° 169, pages 33-45.

Cristian Pîrvulescu, « La Roumanie entre « illibéralisme » et protestation », Etudes, 2017/7, pages 17-28.

Thomas  Posado,  « Régressions  démocratiques  en  Amérique  Latine,  La  tentation  de  la démocrature », Pouvoirs, 2019/2 n° 169, pages 97-106.

Michel Rosenfeld, « Is global constitutionalism meaningful or desirable ? », European Journal of International Law 2014, 25(1), pages 177-199.

Jacques Rupnik, « La démocratie illibérale en Europe centrale », Esprit », 2017/6, pages 69- 85.

Silvia Suteu, « The populist turn in Central and Eastern Europe : is deliberative democracy part of the solution ? », European Constitutional Law Review 15(3), pages 488-518.

Joseph H.H. Weiler, « Orban and the self-asphyxiation of democracy », European Journal of International Law, 2020, 31(1), pages 3-5.

Wojciech Zagorski, « L'Etat de droit est mort, vive la « démocratie illibérale » ? Les populistes gagnent les élections parlementaires en Pologne », Blog juspoliticum, 25 octobre 2019.

Fareed Zakaria, « De la démocratie illibérale », Le Débat, 1998/2 n° 99, pages 17-26.

 

[1] Fareed Zakaria, « The rise of illiberal democracy », Foreign Affairs, nov./déc. 1997, vol. LXXVI.


L'objet de ces journées d'étude est de délimiter le concept de démocratie illibérale, d'en proposer une définition, d'en appréhender le régime constitutionnel et de contribuer à l'élaboration d'une théorie juridique de ce type de démocraties.