Appel à contribution

Les droits humains / Human rights

Implications philosophiques, Dossier, fin 2020

Date limite le mercredi 15 avril 2020

Argumentaire

 

« Les droits humains » : le titre de ce dossier nécessite d’emblée quelques explications. Nous avons préféré choisir le vocable « droit humains » plutôt que celui de « droits de l’homme », bien que le second soit plus fréquemment employé dans la littérature philosophique.

Ce choix n’est pas innocent. Le terme « homme » nous a paru renvoyer à l’idée d’une individualité à laquelle serait liée la titularité de droits fondamentaux, dans la droite ligne d’une conception qui semble profondément attachée au contexte des révolutions française et américaine de la fin du XVIIIe siècle.

Or, il nous a semblé que cette conception « individualiste » ne permet plus de rendre compte de ce que sont devenus aujourd’hui les droits fondamentaux de la personne humaine.

En effet, à partir notamment du milieu du XXe siècle, ceux-ci ont évolué. Ils se sont multipliés et diversifiés. Aux droits civils et politiques des origines, sont venus s’ajouter de nouvelles « générations » de droits d’espèce tout à fait différentes, rompant ainsi avec la conception individualiste caractérisant les premiers droits de l’homme. À cette dernière, s’est progressivement substituée une autre conception ayant plus à voir avec l’idée d’un respect ou d’un souci qui serait dû à chaque être humain : du fait même de leur appartenance à l’espèce humaine, les individus n’ont pas seulement des libertés auxquels on ne devrait pas attenter, mais également des aspirations légitimes qu’ils doivent pouvoir satisfaire.

Ce sont ces évolutions récentes dont nous souhaiterions rendre compte dans ce dossier.

Afin d’orienter les contributeurs, six axes de problématisation figurent ci-dessous. Néanmoins, les contributeurs ne sont pas tenus de choisir l’un de ces axes. Compte tenu de la complexité et de l’ampleur du sujet, d’autres approches présentent certainement un grand intérêt. De la même manière, pour chaque axe, nous donnons quelques références bibliographiques mais celles-ci ne sont que des exemples et ne sont en rien obligatoires.

 

1. Les droits humains, droits du sujet

L’une des principales difficultés lorsque l’on cherche à cerner la nature des droits humains porte sur la signification du mot « droits ». En effet, ce mot semble, dans ce contexte, profondément ambivalent, et ce pour deux raisons.

D’une part, traditionnellement, les droits humains n’étaient pas considérés comme des droits juridiques, c’est-à-dire, des droits pouvant être invoqués devant des tribunaux au soutien de prétentions juridiques. Ce n’est qu’à partir du milieu du XXe siècle que cette situation a commencé à évoluer. De plus en plus, les droits humains ont alors été « juridicisés » mais ce mouvement n’a pas été total. De nombreux droits humains restent considérés par les juges comme ayant une portée purement symbolique (la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, par exemple, n’a aucune portée juridique contraignante). Pour ces droits humains non juridiques, le sens du mot droit n’est donc pas clair (sont-ils des droits moraux, des droits politiques ? et qu’est-ce que cela signifie ?).

D’autre part, même pour les droits humains qui ont été « juridicisés », le mot « droit » continue de faire problème car il ne peut pas être entendu dans son sens traditionnel, comme le versant positif d’une dette ou d’une obligation spécifique (quel est, par exemple, le contenu de l’obligation correspondant au droit au logement ?). Ceci invite également à une réflexion plus large autour des notions de droit subjectif et de droit naturel.

 

2. Les droits humains, objets historiques

Les droits humains n’ont pas toujours existé tels que nous les connaissons aujourd’hui. Ils ont une histoire qui prend racine dans les différentes doctrines du droit naturel, dont les plus anciennes remontent à l’antiquité. Au cours de cette histoire, ils ont connu de nombreuses mutations et évolutions. Aussi, pour penser les droits humains d’aujourd’hui, il est certainement utile d’étudier ce développement historique.

À côté de ces éléments, il peut également être intéressant d’étudier la manière dont les droits humains ont irrigué les travaux des différents auteurs qui ont marqué la philosophie politique à travers l’histoire. En particulier, la question de la place des droits humains dans certains des principaux courants politiques et moraux (utilitarisme, libertarianisme, libéral-égalitarisme, etc.) pourraient s’avérer d’un grand intérêt.

 

3. Droits humains, droit et morale

À bien des égards, les droits humains sont à l’intersection entre la sphère du droit et celle de la morale. À travers leur étude, il est donc envisageable d’interroger les relations qui existent entre ces deux sphères. Cette question peut alors constituer le point de départ d’une réflexion plus globale sur la distinction entre la morale et le droit, qui reste l’une des questions les plus controversées de la philosophie du droit contemporaine.

 

4. Droits humains, démocratie et séparation des pouvoirs

Le développement des droits humains a également fait naître un nouveau problème : celui de leur conciliation avec les idées modernes de démocratie et de séparation des pouvoirs.

Certains juristes ont notamment affirmé que l’existence d’une multiplicité de droits humains dont le contenu apparaît relativement difficile à déterminer et qui, au surplus, entrent fréquemment en contradiction les uns avec les autres, offre aux juges un pouvoir qu’ils ne sont pas légitimes à exercer dans un régime démocratique attaché au principe de séparation des pouvoirs : celui de mettre en échec la volonté exprimée par les représentants élus par le peuple.

À côté de ces critiques, le philosophe Marcel Gauchet a défendu l’idée selon laquelle, en se recentrant sur les droits de l’homme qui en sont le fondement et en les sacralisant, la démocratie s’est privée de la possibilité de les convertir en puissance collective, ce qui aboutit à la situation paradoxale dans laquelle, en revenant à ses sources, la démocratie devient son propre adversaire

Ces critiques montrent que la conciliation des droits humains, de la démocratie et de la séparation des pouvoirs est plus problématique qu’il n’y paraît de prime abord.

 

5. La pratique des droits humains

Il peut également être intéressant d’interroger la place des droits de l’homme aujourd’hui dans certaines pratiques militantes, altruistes ou politiques.

Ainsi, des réflexions sur la place qu’occupent aujourd’hui les droits humains dans les approches philosophiques qui étudient les questions du développement et de la réduction des inégalités seraient bienvenues. À titre d’exemple, pourraient être particulièrement intéressantes les études portant :

  • sur les liens qui peuvent exister entre les droits humains et l’approche en termes de « capabilités » introduite par les travaux d’Amartya Sen ;
  • sur le statut des droits humains dans la littérature économique sur le développement ;
  • sur la place des droits humains aujourd’hui dans la pratique des organisations non-gouvernementales (ONG), de l’Organisation des nations unies (ONU) ou de certaines institutions internationales comme la Banque mondiale.

 

6. Les nouveaux enjeux des droits humains

L’évolution des droits humains peut aussi être mise en perspective avec les évolutions politiques et technologiques de ces dernières décennies, lesquelles paraissent susciter de nouvelles questions.

Par exemple, le développement du transhumanisme et les perspectives ouvertes par les progrès de la médecine et de certaines technologies appellent de nouvelles réflexions sur la notion même d’humanité et, partant, sur l’objet de ce qui devrait ou pourrait être protégé par les droits humains.

Par ailleurs, les débats sur la cause animale et le développement de l’intelligence artificielle peuvent nous conduire à nous interroger sur la pertinence qu’il y a à « réserver les droits humains aux humains », et sur le point de savoir s’il ne faut pas aujourd’hui octroyer des droits similaires à des êtres non-humains.

 

Calendrier et informations pratiques :

Les propositions de contribution, d’une longueur de 4 000 signes (espaces comprises) maximum, devront être remises à marc.lamballais@gmail.com avant le 15 avril 2020. Les réponses parviendront avant le 30 avril 2020. Les articles, comme les propositions, pourront être écrits en français et en anglais, à condition que le niveau de langue soit absolument irréprochable.

Les auteur.ices retenu.e.s auront alors jusqu’au 30 septembre 2020 pour rédiger leur article. La publication est prévue pour la fin de l’année 2020.

 

 

Orientations bibliographiques

 

Axe 1

Henri Oberdorff, Droits de l’homme et libertés fondamentales, LGDJ, Paris, 2013, pp. 29-30.

Wesley Newcomb Hohfeld « Fundamental Legal Conceptions as Applied in Judicial Reasoning » in The Yale Law Journal, 1917, vol. 26, n°8, pp. 710-770 ;

Ronald Dworkin, Taking rights seriously, éd. Bloomsbury, Londres, 2013 (notamment son chapitre 7) ;

Joseph Raz, « On the nature of rights » in Mind, Vol. XCIII, 370, 1984, pp.194-214 ;

Joseph Raz, « Human rights without foundations » in Oxford Legal Studies, Research Paper No. 14/2007, mars 2007, disponible sous SSRN : https://ssrn.com/abstract=999874 ou http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.999874.

 

Axe 2

Michel Villey, Le droit et les droits de l’homme, éd. Puf, Paris, 2009 ;

Henry Sumner Maine, Ancient Law: Its Connection with the Early History of Society, and its Relation to Modern Ideas, éd. J. Murray, 1870 (notamment les chapitres I à V) ;

Jeremy Bentham, Anarchical Fallacies, 1796 ;

Edmund Burke, Réflexions sur la révolution de France, éd. Les Belles Lettres, Paris, 2016.

Karl Marx, « À propos de la question juive » in Philosophie, éd. Gallimard, 1892, pp.47-88 ;

Marcel Gauchet, La révolution des droits de l’homme, éd. Gallimard, Paris, 2013.

John Rawls, Théorie de la justice, éd. Points, Paris, 2009.

John Rawls, La justice comme équité, éd. La découverte, Paris, 2008.

Robert Nozick, Anarchie, État et utopie, éd. Puf, Paris, 2016.

 

Axe 3

Lon L. Fuller, The morality of Law, éd. Yale University Press, 1977

Harry W. Jones, « Law and Morality in the Perspective of Legal Realism » in Columbia Law Review, vol. 61, n°5, 1961, pp.799-809;

Ronald Dworkin, Taking rights seriously, op.cit. ;

Joseph Raz, « Human rights in the emerging world order » in Transnational legal theory, 2010, n°1 pp. 31-47 ;

Joseph Raz, The Authority of Law: Essays on Law and Morality, Oxford University Press, 2009;

John Finnis, Natural Law and Natural Rights, Oxford University Press, 2011;

Michel Villey, Le droit et les droits de l’homme, op.cit.

 

Axe 4

René Lacharière, « Opinion dissidente » in Pouvoirs, n°13, 1980, pp. 141-149 ;

Marcel Gauchet, La démocratie contre elle-même, éd. Gallimard, Paris, 2002 ;

Michel Troper, Pour une théorie juridique de l’État, éd. Puf, Paris, 1994 (notamment ses chapitres XIV et XXI) ;

Michel Troper, La théorie du droit, le droit, l’État, éd. Puf, Paris, 2001 (notamment son chapitre XV) ;

Karl N. Llewellyn, « A realistic jurisprudence – the next step », in Columbia Law Review, vol. 30, n°4, 1930, pp.431-465

Jerome Frank, Law and the modern mind, éd. Stevens & Sons Limited, Londres, 1949.

 

Axe 5

Guy Hermet « Les droits de l’homme à l’épreuve des pays émergents » in Christophe Jaffrelot, L’enjeu mondial : Les pays émergents, éd. Presses de Sciences Po, Paris, 2008, pp.287-296 ;

Hubrecht Joël, « Syrie : une justice hors de portée ? » in Esprit, 2017/6 (Juin), p. 44-56 ;

Sylvie Brunel, « L’humanitaire, nouvel acteur des relations internationales » in Revue internationale et stratégique, 2001/1, n°41, pp.93-110.

Amartya Sen, Éthique et économie, PUF, Paris, 2008.

Amartya Sen, L’Idée de justice, éd. Seuil, Paris, 2010.

Amartya Sen, « Human rights and capabilities » in Journal of Human Development, Vol. 6, n°2, 2005, pp. 151-166.

Martha C. Nussbaum, Capabilités – Comment créer les conditions d’un monde plus juste, éd. Climats, Paris, 2012.

 

Axe 6

« #BigData: Discrimination in data-supported decision making », rapport de l’Agence européenne pour les droits fondamentaux, septembre 2018, accessible via https://fra.europa.eu/en/publication/2018/big-data-discrimination ;

Franck Damour, Stanislas Deprez et David Doat, Généalogie et nature du transhumanisme – État actuel du débat, éd. Liber, Montréal, 2018 ;

Emmanuel Hirsch et François Hirsch, Traité de bioéthique. IV – Les nouveaux territoires de la bioéthique,éd. ERES, Toulouse, 2018 ;

Marie-Angèle Hermitte, L’emprise des droits intellectuels sur le monde vivant, éd. Quæ, Versailles, 2016 ;

Paola Cavalieri, « Les droits de l’homme pour les grands singes non humains ? » in Le Débat, vol. 108, n°1, 2000, pp.156-162 ;

Luc Ferry, « Des « droits de l’homme » pour les grands singes ? Non, mais des devoirs envers eux, sans nul doute » in Le Débat, vol. 108, n°1, 2000, pp.163-167.