Tiffany Matias, Le nouvel esprit de la SNCF : la transformation numérique comme dépassement du tournant néo-managérial de l'entreprise publique, thèse soutenue en 2023 à Université de Montpellier 2022 en co-direction avec Laura Michel, membres du jury : Guillaume Marrel (Rapp.), Magali Nonjon (Rapp.), Nadège Vezinat, Clément Mabi et Éric Savarese
Cette thèse examine la signification de la transformation numérique au sein de la SNCF et son lien avec les entreprises de réformes néo-managériales antérieures. Elle est structurée en trois parties, visant à la fois à saisir le projet articulé autour de la notion de transformation numérique, à réaliser une sociologie des acteurs qui le portent, et à identifier les stratégies et les dispositifs de ces derniers pour imposer leur agenda au sein de l’organisation. Concernant le projet, les résultats permettent de souligner que derrière la notion la transformation numérique, le projet de « modernisation » consiste largement en la diffusion d’un nouvel esprit, qui prend pour modèle de référence les géants de l’économie numérique. Dès lors, le projet constitue un dépassement du tournant néo-managérial de la SNCF, favorisant un mouvement de néo-marchandisation, de néo-rationalisation et s’inscrivant dans la tendance plus large du post new public management. Concernant les acteurs, les résultats permettent d’observer que ce projet est porté par des employés distants de l’histoire et du destin de l’organisation, et favorables aux nouveaux objectifs de la SNCF en matière de performance financière. Ils contribuent alors encore davantage à faire de la digitalisation une contribution à la réforme. Cependant, ces acteurs sont encastrés dans des luttes professionnelles et organisationnelles, ce qui limite leur pouvoir d'action. Pour compenser cela, ils cherchent à enrôler l'ensemble des employés de l'organisation à leur projet, en mobilisant largement des dispositifs dont la finalité est de diffuser ce nouvel esprit au sein de l’organisation.
Noujoud Soussou, Lutte de ressentiment , thèse en cours depuis 2022
L'enjeu de cette thèse sera d'analyser en profondeur l'idée de la lutte des classes d'aujourd'hui qui ne prend pas la même signification qu'à l'époque passée car chaque société se caractérise par des groupes sociaux différents. Alors qu'à la fin du siècle dernier, on croyait qu'il n'y avait plus de classes, ces dernières ont été rematérialisées de façon extrêmement visible par la pandémie et les mouvements sociaux contemporaines. On constate le retour de la lutte des classes, dans un contexte de crise et d'aggravation des inégalités, avec de nouvelles perspectives. Ainsi l'utilité de ce travail résidera dans le problème empirique des classes sociales et sur leur évolution au cours des dernières décennies par la remise en question du concept de classe sociale et les nouvelles formes de lutte des classes qui caractérisent les mouvements sociaux récents, prenant de l'importance de ressentiment qui est le moteur même (the fuel) de la naissance de ces mouvements.
Muhammad Umer Gurchani, Political Homophily and the Role of Retweeters in the French Twitter Network, thèse soutenue en 2021 à Montpellier, membres du jury : Guillaume Marrel (Rapp.), Fabienne Greffet (Rapp.), Julien Boyadjian et Camille Roth
Dans cette thèse, j'ai séparé le réseau Twitter français du réseau Twitter mondial et j'ai détecté la structure communautaire au sein de ce réseau dans le but de mesurer l'évolution des niveaux d'homophilie concernant les identités des communautés. Je voulais savoir si le fait d'être sur Twitter et de faire partie d'une communauté politique sur Twitter encourage tous les types de communautés à s'isoler de plus en plus des autres communautés, rendant ainsi difficile pour le réseau Twitter d'agir comme une " sphère publique " au sens habermassien. Deuxièmement, j'ai voulu vérifier la caractéristique unique du " retweet " sur Twitter afin d'enquêter sur l'identité de ces retweeters et si le retweet politique peut être considéré comme un pont entre les élites et les masses, ce qui confirmera la nature profondément hiérarchique du réseau Twitter et donc la notion de Habermas de " refeudalisation de la sphère publique ". Dans cette recherche, j'ai découvert que le seul groupe qui s'est progressivement écarté au fil du temps du reste de la sphère publique appartient aux utilisateurs ayant des valeurs nationalistes extrêmes et appartient généralement à des partis politiques tels que le Rassemblement National et (certains groupes de) Les Républicains. L'effet de la présence sur Twitter n'est donc pas uniforme sur tous les groupes politiques. Dans la deuxième partie de la thèse, j'ai examiné de près le rôle du retweet politique et j'ai découvert que le retweet dans le cas des utilisateurs de Twitter du Rassemblement National est généralement utilisé pour le renforcement idéologique de manière descendante plutôt que pour la diffusion d'idées au grand public. Cette observation nous permet de voir que l'isolement d'une communauté par rapport au réseau global peut conduire à la formation de clusters avec des niveaux élevés de renforcement idéologique, qui se fait également de manière hiérarchique descendante.
Romain Fargier, Contenus vidéo, YouTube et processus de politisation, thèse en cours depuis 2018
Créé en 2005, YouTube est un site emblématique du Web et figure comme le premier média social de partage et de diffusion de contenu vidéo. Selon le rapport de la plate-forme, le site accueillerait aujourd'hui un français sur deux dans la tranche d'âge 16-44 ans quotidiennement. YouTube est ainsi devenu une source inévitable de divertissements, et, c'est sans surprise que les politiques se sont tournés très tôt vers cette plateforme et ce format pour bénéficier de plus d'exposition notamment chez les plus jeunes. Malgré l'existence d'une littérature scientifique sur les réseaux sociaux, les propriétés sociales ou les usages des citoyens et des politiciens des contenus vidéo et des plateformes comme YouTube, ce domaine reste encore mal connus des chercheurs français, notamment en Science Politique. Les spécifications de ce nouveau support médiatique, son audience exponentielle, son caractère universel, la diversité de ses utilisateurs et de ses contenus permettent d'étudier une pluralité de profils, du citoyen peu engagé au militant le plus assidu. L'objet de ce projet de recherche a pour essence l'observation des usages de YouTube, des contenus vidéos en ligne, et de ses effets sur la politisation et la délibération des jeunes générations.
Alice Simon, Les enfants et la politique : contribution à l'étude des rapports ordinaires à la politique, thèse soutenue en 2017 à Montpellier sous la direction de Julie Pagis, membres du jury : Daniel Gaxie (Rapp.), Vincent Tiberj (Rapp.), Sophie Duchesne, Patrick Lehingue et Agnès Van Zanten
Comment les enfants se représentent-ils l’univers politique spécialisé ? Cette thèse prend pour objet les connaissances, les croyances et les opinions politiques des enfants. Il s’agit, en s’intéressant à ce public spécifique, d’apporter une contribution à la littérature sur les rapports ordinaires à la politique. La thèse présente les résultats d’une enquête empirique alliant méthodes quantitatives et qualitatives, menée dans huit écoles primaires socialement diversifiées. Elle examine les éléments dont disposent les enfants pour appréhender l’univers politique et prête attention aux différences entre eux à ce sujet. Il s’agit notamment d’étudier la compétence politique des enquêtés, tant du point de vue de leurs connaissances politiques que de leur compétence statutaire. L’examen du poids de variables telles que l’âge, le genre ou le milieu social permet ainsi d’interroger la genèse des inégalités de politisation. Il s’agit également de mettre à jour les bricolages grâce auxquels les enfants parviennent, malgré leur compétence en général limitée, à donner du sens à l’univers politique, c’est-à-dire à le comprendre, le juger et s’y situer. La thèse étudie l’imbrication entre les dimensions cognitives et normatives de la socialisation politique : elle indique que les jugements de valeurs et les opinions sont intériorisés par les enfants sur le mode de l’évidence, à l’instar des connaissances factuelles. Elle montre ainsi que les rapports des individus à la politique découlent de la réappropriation des messages pluriels provenant de leur environnement.
Ludovic Mariotti, La réforme "Hôpital, patients, santé et territoires" , thèse soutenue en 2015 à Montpellier
La réforme « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) de 2009 a positionné l’agence régionale de santé en tant que chef de file de la santé à l’échelle régionale. En mobilisant une approche par les instruments, notre thèse pose la question de la réalité de ce rôle de pilotage lors de la phase de sa mise en œuvre. En toile de fond, ce questionnement fait écho à une interrogation plus globale, à savoir : qui dirige la politique de santé au niveau local ? En investissant le secteur de la santé de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur par l’angle original du secteur médico-social, notre analyse démontre que les instruments qui devraient être aux mains de l’ARS ne le sont qu’à la marge. Ainsi, chaque instrument, qu’il s’inscrive dans le sillon ancien de la planification ou qu’il relève d’une idéologie plus libérale nous donne à voir une répartition des compétences différente de celle initialement annoncée et légalement prévue. Concernant les instruments de la planification, une distinction s’opère entre ceux non financiers et ceux relevant de la répartition des crédits. Nous démontrons que, lorsque les instruments de planification à disposition de l’ARS présentent uniquement des aspects cognitifs, les organes de démocratie sanitaire créés par la Loi dispose d’une véritable marge de manœuvre à même d’influer sur son contenu. Les instruments adoptés de la sorte par l’ARS sont donc à la fois le fruit de la concertation entre acteurs de santé à l’échelle locale et témoignent d’une véritable capacité à agir de l’ARS sur ceux-ci. A contrario, dès lors que les instruments de planification revêtent une dimension financière, ils échappent à tout contrôle du niveau régional, l’ARS s’avère finalement inféodée au niveau national en la matière. Quant aux instruments au design proche de ceux du « new public management » (Appels à projets et contrats pluriannuel d’objectifs et de moyens notamment), la démonstration met en évidence une triple désubstantialisation de l’ARS. Par le haut, c’est-à-dire par un contrôle systématique et direct des instances nationales ; par le bas, l’ARS devant composer avec la fragmentation des institutions locales existantes sans disposer du dernier mot ; et par le musellement de la démocratie sanitaire locale dont les capacités sur ses instruments sont légalement et dans les faits réduites au minimum.
Marie Neihouser, Un nouvel espace médiatique ? : Sociologie de la blogosphère politique française, thèse soutenue en 2015 à Montpellier, membres du jury : Éric Darras (Rapp.), Jacques Gerstlé (Rapp.), Éric Savarese
Alors que les démocraties occidentales voient leur population toujours moins impliquée en politique, les outils numériques offriraient de nouvelles possibilités susceptibles de remobiliser les citoyens. Les blogs politiques, en particulier, permettraient à de nouvelles populations de publiciser à moindres coûts leurs opinions politiques en ligne. En parallèle à l’espace de l’action politique spécialisée et à l’espace médiatique, se formerait alors un nouvel espace de discussion et de publicisation d’idées politiques, ouvert à tous et susceptible de rencontrer une audience considérable. La question est alors de savoir si, aujourd’hui, les blogs politiques permettent à un nouveau type de producteurs de messages politiques d’accéder à de nouveaux publics. Nous démontrons que seuls les blogueurs ayant une visibilité antérieure dans le champ médiatique classique, de par leurs positions politiques ou professionnelles, sont susceptibles de rencontrer un public sur leur blog. Loin d’avoir permis à de nouveaux producteurs de messages politiques d’acquérir de l’audience, la blogosphère politique apparaît au contraire encastrée dans les champs politique et médiatique dont elle prolonge très largement les hiérarchies. Ainsi, notre travail tend à invalider la représentation enchantée d’une blogosphère politique qui, comme l’avançaient les tenants de la thèse cyber-optimiste, devait permettre à de nouveaux producteurs de messages politiques de rencontrer de nouveaux publics.
Nicolas Ferran, La démocratie de proximité dans les exécutifs municipaux montpelliérains (1977-2011) : (Re)configurations clientélaires d'une offre municipale, thèse soutenue en 2015 à Montpellier sous la direction de Quim Brugué, membres du jury : Gilles Pinson (Rapp.), Joan Subirats Humet (Rapp.), Jaume Magre Ferran, Guillaume Marrel et Marion Paoletti
La question posée par cette thèse est de savoir dans quelle mesure les adjoints en charge de la démocratie de proximité peuvent être considérés comme des acteurs engagés dans un travail de notabilisation politique faisant de leur délégation des espaces de recrutement et de mobilisation de soutiens. En posant cette interrogation, nous souhaitons questionner les rôles de ces adjoints et les usages qu'ils font de leur délégation en lien avec les pratiques clientélaires de l'activité politique. C'est le projet de cette thèse qui vise à éclairer la transformation de l'économie des délégations dédiées à la démocratie de proximité, de leur fondement symbolique et matériel et de leurs usages en relation avec la transformation des configurations politico-administratives dans lesquelles évoluent les adjoints. Nous montrerons ainsi qu'un enjeu central de la prise de rôle des adjoints en charge de la démocratie de proximité réside dans leur capacité à mobiliser les ressources de leur délégation en biens de fidélisation politique, de satisfaction matérielle transmise sur la base d'échanges personnalisés. Aussi, loin des objectifs normatifs affichés par les promoteurs de la participation citoyenne, cette offre municipale fait l'objet d'usages clientélaires. De ce point du vue, la réactivation de l'offre participative observée dans le gouvernement municipal d'Hélène Mandroux traduit une tentative de reconfiguration des échanges clientélaires institutionnalisés depuis plus de trente ans et portés par des coalitions d'acteurs dans lesquelles adjoints et représentants associatifs partagent des intérêts autrement plus déterminants que des principes moraux ou idéologiques.
Romain Suchet, La gestion du nucléaire en crise : une étude à travers les représentations des gestionnaires de crise, thèse soutenue en 2015 à Montpellier, membres du jury : Christophe Roux (Rapp.), Daniel Mouchard (Rapp.), Laura Michel et Geneviève Baumont
Cette thèse est issue d'un travail d'enquête de près de quatre ans au sein de l'IRSN, un des membres du système d'acteurs en charge de la gestion de crise nucléaire. Nous sommes partis de la problématique suivante : Comment la France se prépare-t-elle à gérer un accident nucléaire et quels sont les effets de cette préparation en situation réelle d'accident, mineur ou hors du territoire national ? Grâce à un riche travail de terrain et de recherches documentaires, nous montrons dans cette thèse que la monopolisation de la construction de la « crise » par un système d'acteurs dominés par les ingénieurs du corps des Mines induit une définition très technique de la « crise » centrée sur l'aléa technique et faisant abstraction de la population. Les scénarii d'exercices de crise qui en résultent ne permettent pas aux acteurs en charge de sa gestion de se préparer à faire face aux réactions sociales provoquées par un accident nucléaire. Au contraire, cette lecture faisant abstraction de la population, est paradoxalement facteur de « crise » lors d'accidents nucléaires jugés « techniquement » mineurs. Au final, le système de gestion de crise se transforme malgré tout. Mais les évolutions organisationnelles de la gestion de crise nucléaire, notamment la prise en compte progressive de sa composante sociale, résultent moins des dispositifs de préparation à la crise que de la confrontation avec la population lors de crises nucléaires réelles.
Ludovic Mariotti, La réforme "Hôpital, patients, santé et territoires", thèse soutenue en 2015, membres du jury : Christophe Roux (Rapp.), Jean-Pierre Gaudin (Rapp.), Laura Michel
La réforme « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) de 2009 a positionné l’agence régionale de santé en tant que chef de file de la santé à l’échelle régionale. En mobilisant une approche par les instruments, notre thèse pose la question de la réalité de ce rôle de pilotage lors de la phase de sa mise en œuvre. En toile de fond, ce questionnement fait écho à une interrogation plus globale, à savoir : qui dirige la politique de santé au niveau local ? En investissant le secteur de la santé de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur par l’angle original du secteur médico-social, notre analyse démontre que les instruments qui devraient être aux mains de l’ARS ne le sont qu’à la marge. Ainsi, chaque instrument, qu’il s’inscrive dans le sillon ancien de la planification ou qu’il relève d’une idéologie plus libérale nous donne à voir une répartition des compétences différente de celle initialement annoncée et légalement prévue. Concernant les instruments de la planification, une distinction s’opère entre ceux non financiers et ceux relevant de la répartition des crédits. Nous démontrons que, lorsque les instruments de planification à disposition de l’ARS présentent uniquement des aspects cognitifs, les organes de démocratie sanitaire créés par la Loi dispose d’une véritable marge de manœuvre à même d’influer sur son contenu. Les instruments adoptés de la sorte par l’ARS sont donc à la fois le fruit de la concertation entre acteurs de santé à l’échelle locale et témoignent d’une véritable capacité à agir de l’ARS sur ceux-ci. A contrario, dès lors que les instruments de planification revêtent une dimension financière, ils échappent à tout contrôle du niveau régional, l’ARS s’avère finalement inféodée au niveau national en la matière. Quant aux instruments au design proche de ceux du « new public management » (Appels à projets et contrats pluriannuel d’objectifs et de moyens notamment), la démonstration met en évidence une triple désubstantialisation de l’ARS. Par le haut, c’est-à-dire par un contrôle systématique et direct des instances nationales ; par le bas, l’ARS devant composer avec la fragmentation des institutions locales existantes sans disposer du dernier mot ; et par le musellement de la démocratie sanitaire locale dont les capacités sur ses instruments sont légalement et dans les faits réduites au minimum.
Julien Boyadjian, Analyser les opinions politiques sur internet : Enjeux théoriques et défis méthodologiques, thèse soutenue en 2014 à Montpellier 1, membres du jury : Daniel Gaxie (Rapp.), Patrick Lehingue (Rapp.), Éric Savarese et Fabienne Greffet
Les milliers de messages publiés quotidiennement sur internet constituent autant d'indices de pratiques, d'attitudes et d'opinions exprimées sur de nombreux sujets, dont la politique. Ces messages peuvent être appréhendés comme un véritable matériau d'analyse du monde social. Ils présentent néanmoins une certaine spécificité par rapport à d'autres types de données : ils ne sont pas générés par et pour un protocole de recherche. De ce fait, le chercheur ignore bien souvent les propriétés sociologiques de leurs auteurs. Afin de pouvoir situer ces auteurs dans le monde social « réel », nous avons construit notre propre dispositif méthodologique de panélisation d'une population d'inscrits au réseau social Twitter. Les données générées par notre dispositif nous ont permis d'observer que, bien que politisés et dotés en capitaux culturels, les individus publiant des messages politiques ne le font que de façon très intermittente. Le niveau de production de messages politiques sur Twitter est en fait corrélé au niveau d'activité du champ de production de l'information et de l'opinion. On peut donc appréhender Twitter comme un observatoire du marché des opinions politiques.
Julien Audemard, Influences interpersonnelles : comment les contextes structurent les opinions et les votes, thèse soutenue en 2013 à Montpellier 1, membres du jury : Loïc Blondiaux (Rapp.), Florence Haegel (Rapp.), Céline Braconnier, Daniel Gaxie et Nonna Mayer
« Les gens qui parlent ensemble votent ensemble ». En écrivant ces quelques mots, le sociologue britannique William Miller résumait, à la fin des années 1970, une tradition de recherche déjà ancienne : le vote, en tant qu‟expérience de groupe, se joue d‟abord dans les rapports que les citoyens ordinaires entretiennent avec ceux avec qui ils vivent quotidiennement. La recherche présentée dans cette thèse propose de réinterroger cette hypothèse par l‟intermédiaire d‟une enquête visant à saisir comment le contexte social d‟appartenance – entendu comme l‟entourage relationnel d‟un individu - structure la pratique des échanges politiques, et en quoi cette pratique peut-elle impacter les comportements électoraux individuels. L‟enquête en question a donc consisté à adapter la technique de l‟échantillonnage en boule-de-neige à la passation de questionnaires de personne à personne. Partant d‟un échantillon de base de dix personnes mobilisées à trois reprises – en 2009, 2010 et 2012 – il m‟a ainsi été possible d‟identifier des chaînes de relations grâce à la circulation de questionnaires au sein des cercles d‟interconnaissance des participants. En plus de données statistiques, l‟enquête s‟appuie sur une analyse ethnographique de la phase de construction des différents échantillons. Ce travail repose sur le postulat selon lequel les questionnaires élaborés constituent des "objets politiques", avec pour conséquence que les échanges de questionnaires au sein des populations étudiées instaurent de fait un cadre d'interactions présentant une dimension "politique". L‟étude ethnographique de la mise en oeuvre de cette passation offre ainsi l‟occasion de porter un regard original sur les moyens par lesquels des citoyens ordinaires organisent des échanges à dimension politique au sein de leurs réseaux d‟appartenance. Les résultats de cette analyse, confrontés à celle des échanges politiques plus ordinaires pratiqués au sein des contextes identifiés au cours de l‟enquête, montrent que le politique, loin d‟obéir à des logiques autonomes, prend sa source et prolonge les normes et les identités sociales produites par les groupes. La structure sociale du contexte – notamment son degré de cohésion – et sa composition en termes de ressources économiques, culturelles et politiques, déterminent le déroulement des échanges politiques et leur capacité à créer de la mobilisation et à faire en sorte que les identités collectives se traduisent en choix électoraux.
David Gouard, La "banlieue rouge" face au renouvellement des générations : une sociologie politique des cités Maurice Thorez et Youri Gagarine à Ivry-sur-Seine, thèse soutenue en 2011 à Montpellier 1, membres du jury : Florence Haegel (Rapp.), Michel Hastings (Rapp.), Céline Braconnier, Olivier Masclet et Bernard Pudal
Durant plusieurs décennies, au sein de ce qui s'est appelé la « banlieue rouge », Ivry-sur-Seine faisait figure de « bastion » modèle pour le Parti Communiste Français. Le communisme municipal ivryen avait fait de ses cités ouvrières des espaces laboratoires au service d'un creuset d'affiliation sociopolitique particulièrement efficace. Jusqu'au tournant des années 1980, aux cités Maurice Thorez et Youri Gagarine, les résultats électoraux enregistrés par les différents représentants communistes en ont attesté. Avec la remise en cause du modèle de politisation fondé sur l'écosystème industriel, le renouvellement des générations pose avec acuité la question des conditions de reproduction d'une affiliation sociopolitique favorable aux représentants communistes. Une approche ethnographique sur la longue durée a permis de renseigner cette question. Depuis le milieu des années 1980, la trajectoire sociopolitique contrastée des deux quartiers atteste des ruptures infra-communales touchant ce type de territoire de la banlieue parisienne. Dans le quartier Youri Gagarine, la majorité des anciennes familles ouvrières a été remplacée par les nouveaux milieux populaires essentiellement composés de populations issues de l'immigration. Entretenant une historicité tout à fait différente à l'égard de l'étiquette « communiste(s)», les nouvelles générations participent, parfois activement, d'une contestation de l'ancienne autorité politique locale. À l'inverse, dans le quartier Maurice Thorez, situé au cœur du centre-ville, les descendants des familles ivryennes les plus proches de l'appareil partisan et/ou municipal ont maintenu résidence. Dans ce quartier, autour d'une endocratie politique locale, se maintiennent des liens communautaires fonctionnant de manière relativement indépendante de l'ancien encadrement partisan. Pour de nombreuses familles ivryennes appartenant à la classe moyenne, le maintien d'une certaine autorité communiste facilite leur accompagnement social, politique et électoral des métamorphoses contemporaines du communisme municipal.
Fernando Fontainha, Les (en)jeux du concours : une analyse interactionniste du recrutement à l'École nationale de la magistrature, thèse soutenue en 2011 à Montpellier 1
La France de nos jours ne connait un moyen plus légitime de sélectionner le personnel que le concours public, et depuis 1958, le concours public est devenu aussi le moyen par excellence de sélection du corps de la magistrature. Cependant, l'état actuel d'une sociologie de ce groupe professionnel ne répond pas à la question « comment devient-on magistrat en France ? » en tenant compte du concours. Beaucoup de travaux ont été consacrés à la scolarisation au sein de l'ENM, ainsi qu'à la socialisation professionnelle des magistrats. Les réponses académiques expliquent plus largement les processus de sélection sociale. La réponse déterministe expliquera les processus de sélection sociale par des déterminations structurelles liées à l'héritage de compétences venues surtout de l'origine de classe et du parcours scolaire. La réponse compréhensive expliquera les compétitions et sélections par une sorte d'« effet miroir » existant entre sélectionneurs et sélectionnés. La première réponse institutionnelle consiste à dire que le concours est fait pour sélectionner les meilleurs étudiants sortants de l'enseignement universitaire. La seconde réponse, concurrente et simultanée à la première, dit que le concours doit chercher dans les candidats un profil taillé pour le métier de magistrat, du point de vue technique mais aussi psychologique. Croyant voir des insuffisances et même peut être des erreurs dans toutes ces réponses, ce travail sera consacré à l'élaboration d'une autre réponse. À travers l'usage d'une sociologie interactionniste, et d'une approche empirique multi-méthode, la recherche proposée ici essayera de valoriser l'interaction entre les préparateurs, les jurés et les candidats, ainsi que les contextes particuliers des différentes épreuves comme sources majeures d'une autre réponse possible à la question « comment devient-on magistrat en France ? ». Tout d'abord, au lieu de l'écarter, il faut s'attacher à la tautologie selon laquelle « les concours sélectionnent ceux qui se sont mieux préparés aux concours », car il n'est pas si futile qu'il y parait.
Pedro Heitor Barros Geraldo, La proximité au Palais : une analyse de la socialisation des juges de proximité, thèse soutenue en 2011 à Montpellier 1, membres du jury : Roberto Da Silva Fragale Filho (Rapp.), Jean Joana (Rapp.), Michel Miaille, Baudouin Dupret et Antoine Vauchez
Cette recherche analyse le processus de socialisation des juges de proximité au sein des Tribunaux d'Instance. Les Juridictions de Proximité ont été créées par la réforme de la Justice de 2002. Pour les réformateurs de la justice, cette juridiction incarne la volonté de déjuridiciser la relation entre la justice et les justiciables. La réaction du corps de la magistrature a stigmatisé la figure des « juges-citoyens » qui ont été soupçonnés de ne pas posséder les compétences pour rendre une justice de qualité. Ainsi, l'accès au poste est restreint à des juristes de formation. L'objectif de créer une justice de proximité est aujourd'hui loin d'être concrétisé. Son organisation a produit un phénomène paradoxal où les juges de proximité rendent une justice plus juridicisée que les juges professionnels. Cette thèse cherche à comprendre les conditions sociales de production de ce paradoxe. L'enquête de terrain consiste en des entretiens avec des juges de proximité, juges professionnels et greffiers ; un dense travail d'observation d'audiences judiciaires et un stage dans le tribunal d'Instance de Sète. L'organisation sociale de la justice de proximité est analysée à travers la socialisation des juges au sein des juridictions et l'accomplissement pratique de leur travail. L'intégration des juges de proximité est importante pour comprendre la stigmatisation dont ils sont l'objet et les stratégies employées pour surmonter les difficultés relationnelles. La construction de l'identité est le résultat d'un processus cognitif d'interprétation des attentes des membres des tribunaux par les juges de proximité. Ils surjouent leur rôle en valorisant leurs connaissances juridiques pour retourner le stigmate. A partir d'une analyse ethnométhodologique, les différentes méthodes utilisées par les juges de proximité et par les juges d'Instance sont comparées afin de comprendre comment le travail est accompli en coordination avec les greffiers. La comparaison est étendue au travail accompli avec les justiciables durant les audiences. Les techniques employées sont décrites afin de démontrer la manière dont les juges de proximité focalisent les interactions aux aspects juridiques, contrairement aux juges d'Instance. Comme conclusion, les juges de proximité rendent une justice plus juridicisée, parce qu'ils cherchent à montrer leurs connaissances juridiques pour se socialiser en reléguant au second plan les habiletés pratiques pour accomplir le travail quotidien. La sociologie de la décision judiciaire contribue à comprendre les conditions concrètes et les inquiétudes séculaires qui guident le processus décisionnel.