Ce projet de thèse se propose d'étudier la manière dont le droit français a progressivement transformé son rapport à l'environnement entre la seconde moitié du XIXᵉ siècle et la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement. L'étude s'attache plus particulièrement à un secteur d'activité emblématique : l'industrie animale, c'est-à-dire l'ensemble des établissements de transformation ou de traitement des produits animaux (abattoirs, tanneries, corroieries, fabriques d'asticots, équarrissages, etc.), concentrés notamment dans le bassin de la Garonne. Ces établissements, essentiels à l'économie régionale, ont été à l'origine de pollutions importantes des sols et des eaux, posant dès le XIXᵉ siècle la question du partage entre intérêt économique, salubrité publique et protection du milieu naturel. L'enjeu central de la recherche est de comprendre comment le droit est passé d'un régime de police de la salubrité publique, destiné à préserver la santé et la tranquillité des populations, à un véritable droit de l'environnement, visant la préservation autonome des milieux. Cette transition s'observe dans l'évolution des textes du décret impérial de 1810 sur les manufactures insalubres jusqu'à la loi de 1976 mais aussi dans les pratiques administratives et la jurisprudence. Elle se manifeste également à travers la montée d'un vocabulaire nouveau, celui de la « pollution » et de la « protection des eaux », qui traduit un changement de regard sur la nature et sur les responsabilités humaines. La démarche adoptée est avant tout historico-juridique. Elle s'appuie sur l'exploitation des archives administratives relatives aux établissements classés, conservées dans les archives départementales du bassin de la Garonne, ainsi que sur l'analyse de la jurisprudence (notamment en matière de troubles anormaux du voisinage et de police des établissements insalubres) et des textes législatifs et réglementaires. Cette approche permet de restituer le rôle des acteurs préfets, maires, industriels, riverains dans la construction progressive de normes environnementales avant la lettre. Ce travail vise ainsi à montrer que le droit de l'environnement français ne naît pas ex nihilo dans les années 1970, mais qu'il s'enracine dans une longue tradition juridique où la protection de la santé, de la propriété et du voisinage prépare, par glissements successifs, la reconnaissance d'un intérêt collectif de protection du milieu naturel. Au-delà de sa dimension historique, la recherche contribue à une réflexion plus large sur la formation des sources du droit contemporain. Elle éclaire la manière dont les pratiques locales et les décisions administratives, souvent issues de contraintes très concrètes (odeurs, rejets, conflits de voisinage), ont nourri l'élaboration d'un droit de portée nationale. Enfin, elle s'inscrit dans la continuité des travaux menés au sein du Centre Toulousain d'Histoire du Droit et des Idées Politiques (CTHDIP), en participant à l'étude des interactions entre normes juridiques, réalités sociales et représentations de l'environnement. À travers cette recherche, il s'agit de repenser l'histoire du droit environnemental non pas comme une rupture, mais comme une lente évolution issue du droit de la salubrité publique et des régulations de l'industrie animale. Le bassin de la Garonne, laboratoire d'expériences juridiques et administratives, constitue un terrain privilégié pour observer cette mutation, où se croisent enjeux économiques, sanitaires et écologiques, de la seconde moitié du XIXᵉ siècle jusqu'à l'avènement du droit moderne de l'environnement.