Présentation
De plus en plus d’artistes en effet s’emparent aujourd’hui des concepts, des symboles, des objets, des mots, voire des dispositifs du droit comme matière première de leur création, et bien souvent performent le droit, au sens où ils vont au-delà de la représentation et se dotent d’une capacité d’action sur le droit. Ils vont non seulement explorer le concept, mais interroger sa plasticité, le modeler, le sculpter voire tendre à le réformer. L’artiste aurait ainsi prétention à devenir un « ingénieur du social », voire du juridique, et certains auteurs annoncent, qu’ils la dénoncent ou la défendent, l’avènement d’une idéologie « artiviste ». Le phénomène est assez général pour ne plus être tenu comme une pratique relevant du seul divertissement. Il est toutefois remarquable que ces pratiques s’épanouissent en marge de la recherche juridique. Il semble pourtant nécessaire d’étudier, analyser l’impact de ces actions artistiques sur le processus de création du droit. Pourquoi ? Parce que ces pratiques artistiques soulèvent des enjeux sociétaux de première importance auxquels le juriste ne peut rester indifférent. La société civile ne se contente plus aujourd’hui d’exprimer une demande de droit en sollicitant l’action des organes traditionnellement dédiés : législateur ou juge. Elle s’empare du droit, comble ses lacunes et démontre, par l’expérimentation, que cela est possible. N’y a-t-il pas là la trace d’un droit qui se réinvente par la mise en œuvre, l’action, la performance au sens premier du terme ? Comment les profanes, artistes ou simples citoyens, participent-ils à la construction de projets de société, comment intentionnellement ou non, incitent-ils à faire bouger les frontières des catégories juridiques établies ?
La chaire Art et droit vise à organiser les conditions d’un dialogue entre des artistes créateurs et des juristes (universitaires ou professionnels), et selon les thèmes retenus, des universitaires d’autres disciplines : anthropologues, sociologues …
L’art n’y est pas convié comme « illustration » passive de phénomènes juridiques, mais comme révélateur, voire comme « agent actif » du rapport qu’une société entretient avec ses normes.
La gouvernance de l’eau sera incontestablement le défi des années à venir. Partout dans le monde, de nouvelles modalités sont mises en œuvre, dont certaines proposent un changement radical de paradigme qui consiste à considérer qu’il existe des « entités naturelles » qui disposent de droits que les humains ont en charge de protéger. Les initiatives locales, très contingentes des cultures, des histoires et des conditions naturelles s’inscrivent toutes néanmoins dans une nouvelle manière de vivre le rapport au monde ; elles sont complémentaires, interdépendantes et à ce titre, internationales.
En Corse, île de Méditerranée, le collectif Tavignanu Vivu est à l’initiative de la première déclaration en Europe des droits d’un fleuve, déclaration soutenue - entre autres - par une motion de la collectivité de Corse votée le 17 décembre 2021.
Convaincus que l’art est agissant et que le droit nait aussi, en grande partie, d’une perception sensible – éthique ? esthétique ? - du monde, des scientifiques, artistes et des membres de la société civile se réunissent afin de réfléchir aux moyens de mettre en « œuvre » dans les deux sens du terme, rendre efficients et rendre artistiquement visibles ces droits déclarés.
Cette journée se présente comme une navigation, des sources à l’embouchure pour comprendre ce qui fait la spécificité de cette déclaration, où elle puise ses fondements (culturels, historiques, institutionnels, naturels …) et ce sur quoi elle peut déboucher : comment le fleuve peut exprimer ses droits (désignation de gardiens, manifestations publiques, performance, information) et ainsi être protégé ?
Cette rencontre pluridisciplinaire articulée autour de trois temps un état des lieux concernant les droits des entités naturelles, de bien connaître l’environnement (scientifique, historique, culturel, juridique, sociétal) du Tavignanu aujourd’hui et de dégager des pistes de recherches pour faire avancer la question des droits du Tavignanu. Elle vise également à préparer l’exposition qui se tiendra à la citadelle de Corte au cours de l’été.
Programme
13h45 : Accueil des participants
14h00 : Allocutions d’ouverture
Dominique Federici, Président de l’Université de Corse (ou son représentant)
Graziella Luisi, Directrice de la Fondation de l’Université de Corse
André Giudicelli, Professeur de droit privé et sciences criminelles à l’Université de Corse, Directeur de l’Équipe méditerranéenne de recherche juridique (EMRJ/UR 7311)
Marion Trannoy-Voisin, chargée de mission pour la citadelle de Corti
14h15 : Propos introductifs
Nathalie Goedert, EMRJ-Université de Corse
Antonia Taddei, Association Primour
14h30 : Reconnaissance de droits aux entités naturelles : état des lieux
Jérôme Fromageau, Historien du droit
L’identité du Tavignanu
15h15 : Table ronde avec Pascale Bona et Catherine Bona, collectif Tavignanu vivu
Namaria Luciani, Juriste, EMRJ, Université de Corse
Antoine Orsini, Hydrobiologiste, Université de Corse
Antoine Noble-Marchini, Historien
Gabriel de Jager Ottaviani, Terre de liens
Matthieu Fraticelli, Doctorant ENS, Psychoacoustique
16h45 : Pause
17h00 : Les modes de représentation juridico-politiques des entités naturelles
Raphaël Brett, Juriste, Université Paris-Saclay
17h30 : Fin
Egalement accessible en visioconférence - inscription préalable auprès de Jeanne Laleure-Lugrezi : laleure@univ-corse.fr
Atelier-recherche organisé par L'équipe méditerranéenne de recherche juridique et la Fondation de l'Université de Corse dans le cadre de la Chaire Art et Droit en partenariat avec Direction du patrimoine de la Collectivité de Corse (Citadella di Corti), ENS Paris, Association Primour, sous la direction scientifique de Nathalie Goedert et Antonia Taddei