Présentation
La reconnaissance, dans le cadre de l'Union européenne, de 24 langues officielles affecte profondément le processus législatif, normatif et jurisprudentiel en accordant une place décisive à la traduction juridique, multilingue. Le droit de l'Union s'insère automatiquement dans l'ordre interne des Etats membres, il bénéficie de la primauté sur les droits nationaux et peut entrer naturellement dans le patrimoine juridique des individus. Par conséquent, la clarté et la qualité de la rédaction de textes juridiques équivalents dans les 24 langues apparaît comme une exigence fondamentale, ce qui fait de la traduction le gage de qualité de la production normative dans l'Union européenne. De plus, les exigences propres à l'Union européenne en matière de normalisation et d'harmonisation des législations européennes viennent perturber la relation traditionnellement bidirectionnelle de la traduction. Par ailleurs, comme relevé par les spécialistes des sciences du langage, le service de traduction institutionnelle mis en place au sein de l'Union européenne, en tant qu'"Union par le droit", est conçu afin de répondre aux besoins juridiques et politiques identifiés conformément à son ethos institutionnel et communautaire.
A présent, à l'instar de nombreuses activités humaines et sociales, le projet politique de l'Union européenne est confronté aux enjeux de l'intelligence artificielle (IA). L'IA, un sujet stratégique pour l'Union européenne, a déjà eu un impact direct sur les pratiques de traduction de l'Union européenne notamment depuis le lancement de la part de la Commission européenne du système e-Translation en 2017. Comme indiqué par la Commission européenne, ce moteur de traduction neuronale présente un objectif institutionnel spécifique, celui de connecter les institutions de l'Union européenne aux administrations publiques, aux universités, aux traducteurs indépendants travaillant pour l'UE, ainsi qu'aux entreprises (PME) et aux ONG situés dans un Etat membre de l'UE, en Islande, en Norvège, au Liechtenstein ou en Ukraine.
Opérationnel dans plusieurs domaines discursifs (juridique, financier, général etc.) à partir de et vers n'importe quelle langue officielle de l'UE, ainsi qu'à partir de et vers l'arabe, le chinois, l'islandais, le japonais, le norvégien, le russe, le turc et l'ukrainien, e-Translation est présenté par la Commission comme un outil offrant des traductions automatiques brutes qui nécessitent une vérification humaine, compétente en matière de traduction. Le progrès marqué par la traduction neuronale par rapport aux systèmes statistiques ou hybrides précédents pose ainsi de nombreux défis à relever.
Tout d'abord, l'impact de l'anglais, en tant que langue pivot, pour pallier une représentation non équitable de toutes les langues dans les corpus d'entraînement, implique une analyse critique des effets à la fois linguistiques et juridiques que cette méthode peut engendrer. D'ailleurs, si l'on prend en compte l'utilisation d'e-Translation à la Cour de justice de l'Union européenne, où la jurisprudence est rédigée en langue française (langue de travail de la Cour) et traduite dans les autres langues de l'UE, d'autres considérations encore s'avèrent nécessaires. Ensuite, se pose la question de l'impact sur la terminologie juridique et la relation entre e-Translation et la base terminologique IATE, alimentée aussi par la Cour de justice.
Egalement, il s'agit de s'interroger sur la variation linguistique et terminologique dans les différentes langues officielles, compte tenu du risque lié, par exemple, à la reproduction de biais (de genre ou autres) contenus dans ses corpus d'entraînement. Plus en généralement, les défis posés par la traduction neuronale, également en dehors des institutions européennes, se multiplient car nombreux sont aujourd'hui les services de traduction institutionnelle nationaux ou internationaux qui entraînent un moteur de traduction neuronale de manière personnalisée, selon le principe de la “custom machine translation”, pour répondre aux exigences traductives propres à leur contexte.
Dans une telle démarche outillée et intégrée, si la post-édition reste incontournable et soulève beaucoup de questions en termes de résultats attendus, on peut aussi se demander quelles sont les compétences et le processus qui s'avèrent nécessaires au niveau de la pré-édition des corpus multilingues, indispensables au bon fonctionnement de l'intelligence artificielle multilingue.
Enfin, l'intégration de l'IA dans un cadre institutionnel impose une réflexion sur les enjeux liés à la formation supérieure des linguistes, traducteurs et juristes-linguistes, capables d'opérer dans un tel contexte en mutation.
Ce colloque international, avec un dispositif d'interprétation simultanée, viendra ainsi questionner le cadre institutionnel, administratif et normatif mis en place pour intégrer la réalité de la traduction neuronale et les méthodes d'adoption des textes, d'interprétation par le juge européen de ces textes et de la jurisprudence. Il permettra de confronter les points de vue sur les atouts, les limites de l'IA et les questions qu'elle pose concernant le multilinguisme juridique de l'Union européenne et d'autres institutions également. Pour aborder ces questions, il réunira des spécialistes reconnus dans leur discipline, qu'ils soient juristes spécialistes du droit de l'Union européenne, des juristes comparatistes, des juristes linguistes, des traductologues, des spécialistes de l'IA et des praticiens de la traduction ou de la direction de services de traduction dans les institutions européennes.
Programme
29 Février 2024
(Maison de l'Ile-de-France - Cité U)
13h00 : Accueil des participants
13h30 : Mots d'accueil
Y. Parisot, EUR FRAPP, UPEC
F. Torrisi, Directeur de la Maison de l'Île-de-France de la Cité internationale universitaire de Paris
Stéphane de la Rosa, MIL, UPEC
13h45 : Introduction
Laure Clément-Wilz, UPEC/EUR FRAPP
Agata de Laforcade, ISIT
I. Cennamo, Université de Turin
14h15 : L'intelligence artificielle au défi de la traduction contextuelle de textes juridiques
Conférence de Jacques Ziller, Université de Paris 1, Panthéon-Sorbonne, Università di Pavia
Session n°1 - L'appréhension par l'Union européenne de la traduction juridique dans le contexte de l'intelligence artificielle
Présidence : Lamprini Xenou, Université Paris Est Créteil
15h00 : L'intelligence artificielle est-elle capable de valider les aspects politiques et linguistiques dans la traduction de la législation européenne ?
R. Somssich, Eötvös Loránd University
La certitude juridique et l'IA : impact des versions linguistiques divergentes sur le droit de l'UE
S. Van der Jeught, Vrije Université Bruxelles, Cour de justice de l'Union européenne
16h00 : Pause-café
Session n°2 - Les outils, les usages et la transformation des métiers de la traduction juridique à l'aune de l'IA
Présidence : Isabelle Pingel, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
16h30 : Pour le Parlement européen
P. Vlaic, cheffe d'unité, DG for Translation ; Applications & IT Systems Development Unit
Pour le Conseil de l'Union européenne et le Conseil européen
S. Sipos, chef d'unité, General Secretariat, Legal Service, Quality of Legislation, Processes and Digitalisation
Pour la Cour de justice de l'Union européenne
S. Wright, ancienne Directrice de traduction juridique, Direction générale du Multilinguisme
Pour la Banca d'Italia
A. De Michele, Coordinatrice de la section italienne, Division Service Linguistique
18h30 : Clôture
1er Mars 2024
(ISIT à Arcueil)
9h00 : Accueil des participants
9h20 : Mot d'accueil
B. Baldwin, ISIT
9h30 : L'IA au service de la traduction juridique de l'UE : Un coup de projecteur sur la terminologie
Conférence de L. Biel, Université de Varsovie
Session n° 3 - Cadre conceptuel et enjeux linguistiques de la traduction juridique neuronale dans le contexte européen
Présidence : Ch. Durieux, ISIT
10h15 : L'impact de la TAN sur la traduction juridique et institutionnelle
F. Prieto Ramos, Université de Genève
Vers un langage clair, simple et inclusif en droit ; explorer les modèles d'IA comme assistants de reformulation dans le contexte de la traduction multilingue
M.Z imina, Ch. Gledhill, Université Paris Cité, avec M. Bouyé, ENS Saclay
Le paradigme de la traduction appliqué au droit à l'époque de l'apprentissage profond
A. Talbot, Université Grenoble- Alpes
11h45 : Pause-café
Session n° 4 - Table-ronde sur les enjeux techniques de la traduction juridique neurale dans le cadre européen
Présidence : F. Prieto Ramos, Université de Genève
12h15 : Eléments techniques d'une bonne traduction juridique assistée par IA : modèle, ensemble de données, dictionnaires et entraînement
M. Cabrera Diego, Jus Mundi
La traduction automatique neuronale et la préparation des données. Une étude de terrain sur la traduction juridique
F. Mileto, UNINT Rome
Les enjeux techniques de la traduction à la Cour de justice de l'Union européenne
M. Markiewicz, Chef d'unité de traduction de langue polonaise à la Direction Générale du Multilinguisme, Cour de justice de l'Union européenne
13h15 : Conclusions générales du colloque
S. Monjean Decaudin, Sorbonne Université
13h30 : Clôture
Entrée libre et gratuite
Inscription recommandée : https://docs.google.com/forms/d/12meoMptOIH1MB3PCNJU7_3JMFgM_MfsfnUgEMjxWmyY/viewform?edit_requested=true
Colloque organisé par l'EUR FRAPP (Université Paris-Est Créteil (UPEC), l'ISIT Intercultural school, l'Università di Torino, la Maison de l'Ile-de-France de la Cité internationale universitaire de Paris, LexisNexis et le laboratoire MIL de l'Université Paris-Est Créteil (UPEC) sous la direction scientifique de L. Clément-Wilz, I. Cennamo et A. de Laforcade.