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vendredi9juin2023
samedi10juin2023
La laïcité où on ne la voit pas. Regards québécois et internationaux

Colloque

La laïcité où on ne la voit pas. Regards québécois et internationaux


Présentation

 

Ce colloque s'engage dans une démarche compréhensive qui vise à documenter et comprendre la pluralité des terrains de la laïcité québécoise à la lumière des recherches sur les expériences internationales. Le regard externe (international) permet ainsi de décloisonner les travaux sur la laïcité des seules questions de visibilité du religieux pour s'attacher à l'analyse de nombreux autres enjeux sociétaux. Il met en lumière d'importants enjeux de laïcité qui ne sont pourtant souvent pas perçus comme tels et qui constituent, au moins au Québec, de vrais impensés de la laïcité contemporaine. Ce faisant, le colloque contribue à mieux comprendre comment se décline le modèle de laïcité du Québec, que la Loi sur la laïcité de l'Etat définit comme l'articulation entre quatre principes fondamentaux (séparation des Eglises et de l'Etat; neutralité de l'Etat; liberté de conscience et de religion; égalité) sur plusieurs enjeux sociétaux majeurs: avortement, aide médicale à mourir, handicap, mariage entre conjoints de même sexe, soins gynécologiques, liberté d'expression, entreprise privée, etc.

 

Programme

 

Vendredi 9 Juin 2023

 

8h15 : Accueil - café

8h30 : Mot d'accueil et introduction – Autres regards sur la laïcité
Jean-Pierre Perreault, Vice-rectorat à la recherche et aux études supérieures, Université de Sherbrooke
David Koussens, Université de Sherbrooke, Chaire Droit, religion et laïcité/SoDRUS
Sébastien Lebel-Grenier, Université de Sherbrooke/SoDRUS

9h00 : Conférence magistrale - La laïcité, les laïcités : le problème des arbres qui cachent la forêt
Roberto Blancarte, Colegio de México

On peut distinguer « la laïcité », comme concept analytique, et « les laïcités », telles qu'elles sont observables dans les différents contextes nationaux. Chacune de ces laïcités est enracinée dans sa propre culture, ancrée dans une trajectoire historique, politique et sociale qui lui est propre. On ne saurait ainsi limiter le regard sur « la laïcité » à l'analyse d'un seul contexte national. Celui-ci limiterait en effet l'analyse, ne permettant de distinguer qu'une multitude d'arbres de toutes espèces, sans observer plus largement la forêt dans toute sa complexité. Si quelques sociétés particulières ont choisi d'adopter un système d'organisation expressément qualifié de « laïque » pour répondre aux défis qui leur sont propres, il importe désormais de prendre un peu de hauteur pour une compréhension plus générale de ce qu'est « la laïcité ». La laïcité où on ne la voit pas renvoie ainsi à la problématique des arbres qui cachent la forêt. Il faut donc revenir (une fois de plus) sur la raison historique et le noyau conceptuel de ce phénomène social appelé « laïcité » et interroger son lien éventuel (si ce lien existe encore et dans quelle mesure) avec ce que l'on appelle la « religion » pour mieux regarder les laïcités et la laïcité cachée. Peut-être de cette manière pourrons-nous enfin découvrir la forêt qui se cache derrière ces arbres.

10h00 : Pause-café

 

Partie 1 – Laïcisation du droit

 

Session 1 - Laïcité et personne humaine

10h30 : La dignité humaine comme fondement de la laïcité : l'exemple canadien
Marie-Pierre Robert, Université de Sherbrooke, SoDRUS

Cette communication vise à analyser les liens entre dignité et laïcité. Elle propose de voir en la dignité humaine le fondement de la laïcité. Depuis la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948), la dignité est considérée comme la valeur qui fonde les droits et libertés, dont le droit à l'égalité et la liberté de religion. La Cour suprême a interprété cette dernière liberté comme impliquant une exigence de neutralité religieuse de l'Etat qui, à son tour, nécessite une séparation de l'Eglise et de l'Etat. Ainsi, les différents principes sous-jacents à la laïcité sont autant de piliers qui s'appuient sur la dignité humaine, à différents niveaux dans l'édifice que constitue la laïcité. Ayant en tête cette construction, nous allons analyser l'utilisation du concept de dignité humaine à deux titres, 1) en s'appuyant sur la liberté et l'autonomie de la personne et 2) d'une manière qui limite cette liberté. Pour ce faire, nous allons notamment cibler l'aide médicale à mourir, ainsi que la criminalisation de l'avortement et de la polygamie. Nous conclurons que la dignité est une base fragile pour restreindre la liberté individuelle, même si elle peut limiter celle de l'Etat.

 

Le droit à l'avortement en France, quelle laïcisation du corps des femmes ?
Florence Rochefort, Groupe-Sociétés-Religions-Laïcités, GSRL/CNRS

Le droit à l'avortement en France relève-t-il de la laïcisation et en l'occurrence de la laïcisation du corps des femmes ? Cette question est peu explorée du point de vue de l'histoire des laïcités. Combattu par l'Eglise catholique mais aussi par des populationnistes laïques, le recours à l'avortement a dû s'imposer via les luttes féministes face à des oppositions diverses. Il a été obtenu sous conditions au nom des inégalités sociales et de la santé publique révélant une forme de « pacte laïque » et de « pacte de genre » évoluant plus récemment. Il s'agit cependant d'une laïcisation qui ne se revendique pas systématiquement de la laïcité, mais qui pourtant contribue à étendre le contenu d'une idéologie laïque libérale encore en butte à l'hostilité des opposants notamment catholiques et évangéliques et de réseaux d'extrême droite. A travers une démarche sociohistorique des années 1970 à nos jours, on s'attachera à saisir les formes d'engagement et les argumentaires mis en avant par les partisan.es et les opposant.es à l'avortement pour saisir les principales caractéristiques de cette laïcisation des mœurs.

 

La légalisation de l'aide active à mourir en France, un exemple du long (et parfois difficile) processus de laïcisation du droit
Pierre Juston, Université de Toulouse 1 Capitole/Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité – A.D.M.D

A priori, les deux questions juridiques de la légalisation d'une aide active à mourir et du principe de laïcité sont bien distinctes. Cependant, à y regarder de plus près, la première est sans nul doute très liée à la seconde. En effet, même pris stricto censu, le principe de laïcité se décompose classiquement en trois ou quatre éléments, selon les auteurs. Le principal d'entre eux fait logiquement découler tous les autres : la reconnaissance normative de la liberté de conscience. « Droit de papier » pourraient écrire certains à propos de cette liberté dont la nature duale en fait pourtant sur le plan philosophico-juridique la matrice même des droits et libertés des démocraties libérales en même temps qu'une liberté très concrète dans le champ purement juridique. La notion de liberté de conscience est au cœur de nombreuses questions contemporaines souvent qualifiées sur le plan sociopolitique de « sociétales ». En réalité, les nombreuses et diverses problématiques juridiques que pose la légalisation de l'aide active à mourir illustrent parfaitement ce que de nombreux auteurs qualifient volontiers de « processus de laïcisation du droit ».

 

12h00 : Lunch

 

Session 2 - Laïcité et minorités sexuelles et de genre

13h00 : Droit de la famille, droit à l'avortement : les débats sur l'égalité des sexes comme mise à l'épreuve du concept de laïcité au Sénégal
Marième N'Diaye, CNRS (Les Afriques dans le monde) – Sciences Po Bordeaux

Au Sénégal, le code de la famille (1973) a fait l'objet de débats clivants au moment de son adoption et continue de nourrir la controverse, principalement en raison de la vive opposition qu'il suscite chez les organisations religieuses islamiques. En effet, en mettant fin au double pluralisme de juridiction (suppression des tribunaux islamiques) et de législation (un droit unique pour tous), le code de la famille fait de la « coutume wolof islamisée » l'exception au droit commun et tend théoriquement vers une progressive sécularisation du droit. La question de la définition de la laïcité dans le contexte sénégalais se retrouve ainsi au cœur des débats. Si la Constitution dispose que le Sénégal est une République « laïque, démocratique et sociale » (art.1er), aucun autre texte ne vient préciser le sens et les implications de ce cadre légal. La laïcité sénégalaise est donc marquée par une forte ambiguïté qui se retrouve aussi bien dans la pratique du droit (avec une norme islamique de facto centrale dans la jurisprudence) que dans l'(in)action publique (aucune réforme de la loi en faveur d'une plus grande égalité des sexes n'a été adoptée). Les débats plus récents sur une éventuelle dépénalisation de l'avortement en cas de viol et d'inceste offrent un nouvel exemple de mise à l'épreuve de la laïcité et des définitions et investissements concurrents dont elle fait l'objet dans l'espace public.

 

La reconnaissance juridique des unions de même sexe dans la construction progressive de la laïcité italienne
Daniele Ferrari, Université de Sienne/Université de Strasbourg

Cette contribution propose d'approfondir les liens entre le phénomène religieux et les droits des conjoints de même sexe comme enjeu de la laïcité italienne entre 1974 et l'approbation de la loi sur les unions civiles n° 76 en 2016. Le cas italien semble présenter un intérêt particulier. Les relations entre les acteurs religieux, les associations LGBT et les institutions de l'Etat ont été exprimées, en effet, dans le cadre juridique d'une laïcité absente jusqu'en 1989 et à partir de l'arrêt n° 203 de 1989 d'une laïcité formalisée par la Cour Constitutionnelle comme un principe suprême non indifférent au phénomène religieux, fondé sur le concordat avec l'Eglise catholique, les accords avec les autres cultes et la liberté religieuse. Avant et après 1989, l'innovation ou la préservation du modèle juridique de la sexualité binaire inspirée par le sacrement du mariage sont ressorties dans la conversation entre différents acteurs religieux (qui ont pris position en faveur ou contre la reconnaissance des droits des couples de même sexe), l'Etat et les associations LGBT. Partant de ces constats, dans notre contribution, les multiples débats sur les unions de même sexe deviennent alors des pistes de réflexion pour interroger la construction du principe de laïcité sur le terrain de la redéfinition du droit de la famille avant et après sa formalisation par la Cour Constitutionnelle.

1400 : Pause-café

 

Session 3 - Laïcité et société

14h30 : Une laïcité (in)consciente à la japonaise dans une société divisée
Kiyonobu Date, Université de Tokyo, Groupe-Sociétés-Religions-Laïcités, GSRL/CNRS

Le Japon est un pays où la dualité de la religion et de la sécularité, chère au monde chrétien occidental, ne s'applique pas toujours à la vie sociétale. La plupart de la population ne s'imagine pas qu'elle habite dans un pays de laïcité, bien qu'il soit possible d'en trouver des éléments constitutifs. Sur cette base historique, il semble qu'aujourd'hui le politique et le religieux s'imbriquent davantage à l'époque de ladite post-sécularité, ce qui appelle une justification des certains et suscite la critique des autres. Dans le monde politique, s'il est normal que les partis écologiques se situent plutôt du côté de la gauche, s'observe aussi une partie de la droite écologique de tendance religieuse. Au niveau des mœurs, si les promoteurs du mariage du même sexe se réfèrent aux exemples des pays occidentaux et luttent contre les conservateurs, ces derniers ne sont pas forcément religieux, mais peuvent être considérés comme laïques. Dans un tel paysage religieux où environ deux tiers de la population se déclarent sans religion (nones), comment une laïcité implicite fonctionne-t-elle ? Cette communication a pour but d'essayer d'en dessiner les contours tout en repérant des étapes importantes de l'histoire et en tenant compte de l'actualité.

 

La laïcité italienne, laïque... malgré elle
Alessandro Ferrari, Université de Come, Insubria

La laïcité concordataire italienne est, à bien des égards, paradoxale. En effet, elle doit sa naissance à la légitimation d'un système très éloigné du pluralisme confessionnel et culturel qu'elle est appelée à promouvoir. Dans le même temps, par rapport à la laïcité française voisine, la laïcité italienne semble représenter une gestion plus sereine du rôle public des identités religieuses. L'article mettra en évidence les lumières et les ombres de ce modèle de laïcité, en se concentrant en particulier sur les effets sur le système général des droits fondamentaux d'un principe fortement conditionné par le poids attribué aux institutions religieuses.

 

Comment la pandémie de Covid-19 a-t-elle mis la laïcité belge à l'épreuve ?
Louis-Léon Christians, Université catholique de Louvain, Chaire Droit et religion

Le régime belge de reconnaissance des cultes a été étendu à l'assistance morale laïque en 1993, moyennant une nouvelle catégorie constitutionnelle distinguant d'une part les religions et d'autre part les « organisations philosophiques non confessionnelles ». L'ambiguïté du statut juridique de la « laïcité organisée », loin d'être levée, est demeurée un trait marquant du système juridique belge, et ce malgré une législation spécifique adoptée en 2002. La contribution examinera ces ambiguïtés dans le cadre de la gestion publique de la crise sanitaire Covid-19. Pourquoi les modalités de restrictions sanitaires liées à la crise Covid-19 n'ont-elles été appliquées dans un premier temps qu'aux cultes et pas aux activités de la Laïcité organisée ? Comment et pourquoi de nouvelles façons de désigner les organisations philosophiques non confessionnelles sont-elles apparues à divers niveaux réglementaires, notamment municipaux ou provinciaux ? Que devient la catégorie de « reconnaissance » (des cultes et de la laïcité) dès lors que les crises sanitaires ne limitent pas leurs effets aux seules organisations reconnues ? Pourquoi le droit belge n'arrive-t-il pas à nommer la laïcité organisée de façon univoque à travers de nouveaux défis légistiques ? Différentes hypothèses seront proposées en les réinsérant dans un continuum historique et dans une approche plus systémique du droit belge en la matière. Mettre des cultes à distance par leur reconnaissance publique est un défi, caractériser une laïcité à distance de l'Etat est un défi plus grand encore.

16h00 : Pause-café

 

Session 4 - Regards engagés - quels modèles de laïcité au Québec et en France ?

16h30 : Animation : Roberto Blancarte, Colegio de México

Discutants :
Jean-François Roberge, Ministre de la Langue française, Ministre responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, Ministre responsable des Institutions démocratiques, Ministre responsable de l'Accès à l'information et de la Protection des renseignements personnels, Ministre responsable de la Laïcité
Jean-Louis Bianco, Ancien Ministre des Affaires sociales et de l'intégration, Ancien Ministre de l'Equipement, du logement et des transports, Ancien Président de l'Observatoire de la laïcité

17h30 : Fin de la journée

 

Samedi 10 Juin 2023

 

Partie 2 – Terrains de la laïcité

 

8h45 : Accueil - café

 

Session 1 - Quelle liberté de conscience et de religion ?

9h00 : La liberté d'expression, nouvelle composante de la laïcité ?
Stéphanie Tremblay, UQAM, Centre de recherche interdisciplinaire sur la démocratie au Québec (CRIDAQ)
David Koussens, Université de Sherbrooke, Chaire de recherche Droit, religion et laïcité/SoDRUS

Depuis 2015, plusieurs attentats terroristes commis en France contre des journalistes ou enseignants ont récemment remis la liberté d'expression au centre des préoccupations laïques. La liberté d'expression a dès lors été largement présentée comme une valeur laïque à défendre, voire même comme un pilier de la laïcité française. Ces débats ont reçu un large écho au Québec, notamment par voie de presse, mais également dans les milieux universitaires. Cette communication questionnera la dimension conjoncturelle de cette association de la liberté d'expression à la laïcité et tentera, sous la forme d'une hypothèse exploratoire, de dresser un parcours de cette liberté d'expression en tant que liberté laïque au cours des trente dernières années au Québec et en France.

 

Liberté de conscience, liberté de religion, liberté d'opinion, liberté d'expression : Autonomie ou confusion des libertés fondamentales ?
Vincente Fortier, Université de Strasbourg/CNRS

Dans cette contribution, il s'agira de tenter de (re)tracer le périmètre de ces différentes libertés dans le contexte français et d'opérer des distinctions afin de ne pas les affaiblir ou à l'inverse de les promouvoir trop extensivement ce qui, dans un cas comme dans l'autre, les viderait de sens. S'agissant par exemple de la liberté de conscience, elle interpelle le juriste tant ses contours sont imprécis, voire énigmatiques. Sa mise en mouvement (c'est-à-dire ses manifestations qui s'incarnent dans les refus de se soumettre à la loi commune) est subordonnée à la permission de la loi, ce qui ne fait qu'accroître la perplexité. La portée de la liberté de conscience est discutable, voire très restreinte, et alors que pour la liberté de religion, certaines modalités de compromis respectueuses de la religion professée (et même parfois, en contradiction avec l'impératif juridique) peuvent être mises en œuvre, en matière de liberté de conscience, nous nous trouvons dans un système de dérogations distribuées « au compte-gouttes ». Au regard de la liberté d'expression, la liberté de religion semble parfois malmenée : la liberté d'expression apparait comme une liberté matricielle, supplantant toutes les autres libertés lorsqu'elle entre en conflit avec l'une d'elles. Enfin, et quant à la liberté d'opinion, le texte de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 indique dans son article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi ». Que signifie alors le « même » ? S'agit-il d'une valorisation de l'opinion religieuse ou au contraire d'une incise à tout le moins forcée ? La croyance religieuse est-elle une opinion parmi d'autres ?

 

L'objection de conscience. Instrument de laïcité, défi pour la laïcité ?
Claude Proeschel, Université de Loraine/Groupe-Sociétés-Religions-Laïcités, GSRL/CNRS

Est-il possible d'objecter à une loi au nom de sa conscience ? Cette question est liée, dans un Etat démocratique laïque, à la nécessaire neutralité envers les options éthiques fondamentales des individus. Une politique publique, décidée selon des principes et procédures neutres a en effet potentiellement des effets non neutres sur différentes catégories de population du fait de leurs conceptions religieuses ou morales. L'objection peut alors être pensée comme un instrument de régulation de la diversité, permettant la non-coercition envers les individus membres des minorités convictionnelles ou culturelles, voire participant de leur intégration à la société globale. Pour autant, l'objection met la laïcité à l'épreuve : son octroi peut en effet avoir des conséquences pour les tiers, mais aussi pour les valeurs du bien commun et leur réalisation concrète.  Le législateur, sollicité pour inscrire une clause de conscience au sein de la loi, tout comme le juge, face à une demande d'exemption, sont mis en demeure à la fois d'appliquer les principes de laïcité au cas présent, mais aussi de les pratiquer. Ces conditions sont tout particulièrement questionnées dans les cas de politisation de l'objection au sein de   stratégies de remise en cause globale des normes communes au nom de valeurs morales.

 

La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : vers un nouveau paradigme de la laïcité française ?
Françoise Curtit, Université de Strasbourg/CNRS

La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a pour ambition d'endiguer des processus qualifiés de « séparatistes » suspectés de faire prévaloir des normes religieuses sur la loi commune. Parmi les mesures introduites qui ont particulièrement alimenté les controverses, plusieurs dispositions visant à « Garantir le libre exercice du culte » (titre II) modifient substantiellement l'équilibre opéré par la loi du 9 décembre 1905 entre le principe de la liberté de constitution des associations à objet cultuel et leur nécessaire encadrement. Celles-ci sont désormais soumises à des obligations étendues, notamment en matière de statut et de financement, via un contrôle omniprésent de l'autorité préfectorale. Elles sont en outre assujetties à une police des cultes renforcée facilitant par exemple la fermeture temporaire des lieux de culte. Cette loi amène à s'interroger sur la compatibilité du rôle de « contrôleur de la vie paroissiale » qu'elle confère à l'Etat avec le principe de laïcité qu'elle est par ailleurs censée conforter. Elle met en tout cas en lumière un net affaiblissement du principe de séparation des Eglises et de l'Etat initialement garant de la liberté de religion au profit d'un nouvel encadrement des croyances.

11h00 : Pause-café

 

Session 2 - Impensés de la laïcité

11h30 : La disparition du droit paroissial au Québec : une laïcisation du droit passée inaperçue
Sébastien Lebel-Grenier, Université de Sherbrooke, SoDRUS

Le droit paroissial est apparu comme domaine légitime d'études et de recherches en droit dans la foulée de la publication de l'ouvrage éponyme de Pierre-Basile Mignault en 1893.  Il a rapidement fait son entrée comme matière obligatoire au sein des facultés de droit québécoises francophones dont la création et le développement sont le produit d'une histoire marquée par l'imbrication de l'Eglise catholique et des institutions universitaires. Toutefois, alors qu'il occupait une place de premier choix dans la formation juridique, le droit paroissial disparaît subitement et sans résistance apparente des cursus universitaires, de la doctrine juridique ainsi que de la jurisprudence au tournant des années soixante-dix. La présente conférence relatera dans un premier temps les jalons historiques et la signification de la montée du droit paroissial dans le système juridique québécois ainsi que dans le cursus des facultés de droit francophones.  Elle explorera ensuite l'hypothèse de la disparition subite et silencieuse du droit paroissial comme marqueur d'un processus plus fondamental de laïcisation de la société québécoise.

 

L'abattage rituel, un impensé de la laïcité ?
Hélène Lerouxel, Université Saint-Louis-Bruxelles

Afin de satisfaire au principe de laïcité, l'Etat doit mener l'ensemble de ses politiques de manière neutre du point de vue des croyances religieuses et dans le respect de la séparation des Eglises et de l'Etat. L'abattage d'animaux est réglementé de longue date en vue de garantir la santé des consommateurs et, plus récemment, afin de promouvoir le bien-être animal. Il doit ainsi concilier ces objectifs avec le respect des rites religieux qui imposent certaines méthodes d'abattage. Or celles-ci sont de plus en plus contestées au nom des dernières avancées scientifiques qui requièrent l'étourdissement de l'animal préalablement à sa mise à mort. Cet affrontement révèle plusieurs impensés. D'une part, le juge prétend trancher ce débat sans se prononcer sur le contenu du rite, ce que le principe de séparation lui interdit de faire. Il le fait néanmoins en affirmant que l'étourdissement préalable est compatible avec les rites juif et islamique. D'autre part, le souci du bien-être animal prend une telle ampleur dans nos sociétés que l'on peut se demander s'il ne devient pas une conviction concurrente des convictions religieuses, si bien que le juge ne serait plus confronté à une restriction apportée à une liberté au nom d'un objectif légitime, mais à la nécessité de concilier deux convictions.

 

La fiscalité canadienne, grande oubliée des enjeux de laïcité
Luc Grenon, Université de Sherbrooke, SoDRUS

Les paliers de gouvernement, tant fédéral, provincial que municipal, offrent des avantages fiscaux considérables aux organisations religieuses, et ce, depuis l'adoption même des lois fiscales concernées.  Au cœur de ce régime fiscal siège la définition de « fins de bienfaisance » qui, depuis la mise en place du régime dans les années trente, inclut la promotion de la religion.  Ceci comprend la création et l'entretien des établissements voués au culte et à d'autres fins religieuses, l'instruction religieuse ainsi que le travail pastoral et missionnaire. La nature des convictions religieuses ou des pratiques qui sont promues ne fait pas l'objet d'un contrôle par les autorités fiscales, de sorte qu'elles incluent notamment des activités de prosélytisme ou encore de contestations de politiques publiques.  Dans ce contexte, l'adoption au Québec de la Loi sur la laïcité de l'Etat apparaît comme une opportunité ratée d'examen de la pertinence du financement par l'Etat de la religion par l'entremise de dépenses fiscales. Le cadre juridique applicable de même que les diverses mesures fiscales en cause seront présentés et commentés. La signification de la persistance de ces avantages fiscaux ainsi que du traitement privilégié accordé aux organisations religieuses sera ensuite explorée au regard des discussions contemporaines sur les exigences de laïcité de l'Etat.

 

13h00 : Lunch

 

Session 3 - Laïcité en santé

14h00 : Laïcité, religion et handicap en France : quelles protections et quelles spécificités ?
Clément Benelbaz, Université du Mont-Blanc

Si les liens entre religion et handicap ne semblent pas évidents de prime abord, il apparaît toutefois un certain nombre de convergences. En effet, tant les textes que la jurisprudence en la matière se développent dans ces domaines, et les pouvoirs publics s'en saisissent, en vue d'accorder davantage de protection. Des liens se tissent entre religion et handicap, l'Etat ne peut rester indifférent à leur égard, et le principe de laïcité a alors des implications sur les deux notions. De plus, le cadre juridique n'est pas seulement national, et de nombreuses dispositions, européennes ou internationales renforcent les garanties accordées, impliquant des actions de la part des pouvoirs publics. Il est alors possible de se demander si l'appréhension de la religion et du handicap répond à des préoccupations identiques, et s'il convient d'aligner les régimes applicables, en vue de dégager un droit commun aux deux, ou si demeurent des spécificités.

 

Le choix d'un médecin par un patient pour motif religieux : un impensé de la laïcité dans les établissements publics hospitaliers français ?
Céline Lageot, Université de Poitiers

En France, l'article L. 1110-8 du code de la santé publique dispose que « Le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement de santé est un principe fondamental de la législation sanitaire ».  Ce choix doit pourtant se concilier avec les règles d'organisation du service. Autrement, le directeur pourra prendre, avec l'accord du chef de service, toute mesure appropriée, pouvant aller jusqu'à la sortie de l'intéressé pour motifs disciplinaires, mais si l'état de santé du patient le permet. Le choix du malade ne signifie pas non plus que celui-ci puisse s'opposer à ce qu'un membre de l'équipe médicale procède à des soins, pour des motifs religieux, connus ou supposés de ce dernier. Il s'agirait ici d'un grave cas de discrimination interdit par les juges français. La présente réflexion se proposera d'explorer un ensemble de cas jurisprudentiels qui se sont posés en France ces dernières années, concernant l'exemple précédent, et le refus aussi d'une patiente d'être examinée aux urgences ou de subir un examen gynécologique par un médecin homme, pour des raisons religieuses.

 

Epargner les valeurs religieuses : une laïcité vécue aux urgences hospitalières québécoises
Bertrand Lavoie, Université de Sherbrooke, SoDRUS

L'hôpital est un lieu privilégié où se côtoient quotidiennement des personnes ayant des valeurs et des croyances différentes. Au sein du milieu hospitalier québécois, on peut noter que se déploient les contours d'une laïcité vécue poursuivant une finalité particulière, celle d' «épargner les valeurs religieuses». L'étude de cette laïcité vécue permet de mettre en lumière comment les principes de la laïcité sont mis en tension dans le quotidien des départements d'urgence au Québec afin de répondre de manière créative et innovante aux demandes d'accommodements pour motifs religieux de patients confrontés à des situations médiales complexes et sensibles. La présente communication repose sur une étude empirique menée en collaboration avec quatre salles d'urgence : trois à Montréal et une à Sherbrooke. Un total de 50 participants a pris part à la recherche, plus précisément 22 infirmières, 19 médecins et 9 intervenants. Quarante-cinq entrevues semi-dirigées d'une durée moyenne de 45 minutes ont été réalisées, ainsi que 241 heures d'observations ethnographiques.

14h00 : Mot de clôture
David Koussens, Université de Sherbrooke, Chaire Droit, religion et laïcité/SoDRUS
Sébastien Lebel Grenier, Université de Sherbrooke/SoDRUS

15h30 : Fin du colloque

 

 

Information et inscription : https://forms.office.com/pages/responsepage.aspx?id=RIdaOjVZ-UWUI7MsOl3ggsyjwnNyJAxNrWXAMA4myntUNTRDRjRFRlZMR09SQ0IwTlEwMEVSVVkwNC4u


Colloque organisé par Centre de recherche Société, Droit et Religions de l'Université de Sherbrooke (SoDRUS) - Québec sous la direction de David Koussens, Sébastien Lebel-Grenier et Loïc Bizeul (coordination) avec l'Université de Strasbourg



Université de Sherbrooke
Campus de Longueuil
Salle des grandes portées (LI-2610)
150 Place Charles-Le Moyne
C. P. 200 Longueuil - Québec


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