Présentation
Depuis que Elinor Ostrom s'est vu remettre en 2009 le prix de la banque de Suède en sciences économiques pour ses travaux sur la « gouvernance des biens communs », la thématique des communs a reçu une publicité considérable qui dépasse d'ailleurs le cadre étroit des universités. Etendards de mouvements sociaux (la « remunicipalisation » de l'eau en Italie) et d'expériences citoyennes diverses (« Assemblée européenne des communs »), thème de réflexion et de célébration de nombreux festivals et réunions populaires à travers le monde (« Le temps des communs »), les biens communs ou les communs ont reçu ces dix dernières années une attention à la hauteur du potentiel transformateur qu'ils paraissent promettre.
La littérature académique – qu'elle soit économique, juridique, anthropologique, sociologique ou philosophique – accompagne le mouvement et s'interroge désormais, après une période d'intense réflexion, souvent en ordre dispersé, à laquelle n'ont échappé que très peu d'objets, sur le sens de la constellation de mots qui accompagne aujourd'hui la réflexion scientifique : commons, communs, commun, biens communs, beni comuni.
Ce travail de généalogie et de synthèse, auquel se sont livrés d'importants travaux pionniers aux Etats-Unis et en Italie, paraît d'autant plus nécessaire que le « commun » (et ses déclinaisons) – concept chargé d'histoire et mobilisé, comme on l'a vu, par différents champs disciplinaires parfois cloisonnés –, a été à l'origine d'innovations juridiques et politiques concrètes et de projets législatifs forts, tel le rapport de la Commission Rodotà en 2008, mais qui échappent encore à notre parfaite compréhension. Comment appréhender les pools de brevet, les licences libres dites « copyleft », le Système Multilatéral mis en place par le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture ? Comment comprendre, à partir de nos catégories juridiques et philosophiques modernes, les systèmes d'irrigation gérés par des communautés locales, les variétés populations développées par les membres du Réseau Semences Paysannes, les revendications des populations autochtones sur leurs territoires, ressources et savoirs associés ? Quel sens donner à la propriété aujourd'hui, à l'ère de l'Anthropocène et de la crise climatique, et quelle place pour des formes collectives de propriété dans un système juridique qui a indéfectiblement lié liberté et propriété individuelle, et dont le sujet abstrait, pensé comme maître absolu du monde extérieur (la « nature » dont l'homme est exclu), constitue l'infrastructure ?
C'est à cette série de questions que le présent séminaire s'efforce de répondre, en interrogeant en arrière-plan l'unité possible du concept et son potentiel d'innovation juridique, politique et sociale.
Pour la séance inaugurale du 1er mars 2018, Fabien Girard (UGA-CRJ, MFO) a reçu Fabienne Orsi, économiste, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) au sein du Laboratoire Population Environnement Développement (LPED, Aix-Marseille Université). Elle nous a livré une généalogie des communs et nous a présenté le Dictionnaire des biens communs (PUF, Paris, 2017), important travail d'analyse et de synthèse qu'elle a codirigé avec Marie Cornu et Judith Rochfeld.
Pour la deuxième séance, intitulée « L'expérience italienne des beni comuni », le CRJ accueillera, le 19 juin 2018, deux spécialistes italiens des beni comuni. Le premier, Alberto Lucarelli, Professeur de droit constitutionnel à l'Università di Napoli Federico II, qui a été membre de la « Commission Rodotà » passée à la postérité pour sa proposition d'introduire au Code civil italien la nouvelle catégorie des « biens communs ». Le Professeur Lucarelli, dont les travaux portent notamment sur les services publics locaux, la démocratie participative et la propriété publique, est considéré comme l'un des plus grands spécialistes de la théorie des beni comuni. Il a notamment publié Lucarelli, A. (2018) « Biens communs. Contribution à une théorie juridique », Droit et société, 98(1) : 141-157, (2007) « Note minime per una teoria giuridica dei beni comuni », Quale Stato, 3-4, 87 et s., ainsi que (2013) La democrazia dei beni comuni : nuove frontiere del diritto pubblico, Roma, Bari : Laterza.
Le second, Michele Spanò, Maître de conférences de l'EHESS, spécialiste de philosophie du droit et de théorie de la justice, est également un fin connaisseur de la théorie de communs qu'il retravaille de manière originale, en mobilisant notamment les travaux de Yan Thomas sur l'institution, de Foucault sur la subjectivation et de Nancy, Esposito et Agamben sur la communauté. Auteur d'une œuvre déjà riche en italien, français et anglais, il a notamment publié avec A. Quarta (dir.) (2016) Beni comuni 2.0 : centro-egemonia e nuove istituzioni, Milano, Udine : Mimesis et (2013) « Istituire i beni comuni. Una prospettiva filosofico-giuridica » Politica & Società, 6(3) : 427-448.
Programme
14h00 : Intervention de Alberto Lucarelli, Professeur de droit constitutionnel à l'Università di Napoli Federico II et Michele Spanò, Maître de conférences de l'EHESS
Renseignements : crj@univ-grenoble-alpes.fr
Organisé dans le cadre des Rencontres du CRJ