Date limite le dimanche 09 fév. 2025
Si le jugement est vrai à présent, il doit, nous semble-t-il, l’avoir été toujours. Il avait beau n’être pas encore formulé : il se posait lui- même en droit, avant d’être posé en fait. À toute affirmation vraie nous attribuons ainsi un effet rétroactif ; ou plutôt nous lui imprimons un mouvement rétrograde[1].
Introduction
« En droit », c’est ainsi qu’Henri Bergson désigne ce qui n’est pas influencé par le temps, ou plutôt ce qui n’est que pure action de l’esprit. Si la formule n’est jamais employée par Bergson pour parler du droit en tant que tel, elle n’en demeure pas moins révélatrice de ce qu’il entend par « droit ». Il s’agit du nom qu’il a choisi de donner à l’opération de l’esprit qui se conçoit comme éternelle. Il est vrai que le droit peut offrir l’exemple d’un édifice intellectuel construit pour résister au temps et même pour en tenir compte le moins possible. Pour s’en convaincre, on peut évoquer l’exemple des jurisconsultes romains dialoguant entre eux, parfois à des centaines d’années de distance[2], de même lorsque leurs mots sont repris par des jurisconsultes du xviie siècle, comme si leur vigueur n’était pas amoindrie par le millénaire et les siècles écoulés depuis leur rédaction[3].
Pourtant et à tout le moins, le droit subit l’influence du temps, ne serait-ce que parce qu’on l’oublie, comme on oubliait souvent des lois dans l’Antiquité ou comme on a oublié le droit romain avant sa redécouverte à Bologne au xie siècle. Il n’est pas rare de nos jours encore d’entendre qu’une loi, parce qu’elle est « vieille » ne trouve plus lieu de s’appliquer dans une situation. Sans parler d’oubli, les articles 1240 et suivants du Code civil, pourtant presque inchangés par rapport aux articles 1382 et suivants du Code Napoléon, ne sont plus appliqués de nos jours comme ils l’étaient jadis. Recherchant si une cour d’appel avait fait une exacte application de l’article 1242 du Code civil (anc. 1384) dans l’engagement de la responsabilité des parents du dommage causé par leur enfant mineur « habitant avec eux » (ce sont les mots de l’article 1242), la Cour de Cassation a jugé très récemment que la notion de cohabitation était la conséquence de l’exercice conjoint de l’autorité parentale, qui « ne cesse que lorsque des décisions administrative ou judiciaire confient ce mineur à un tiers[4] ». C’est-à-dire que la seule autorité parentale suffit à emporter l’habitation du mineur avec son ou ses parents, au sens de l’article 1242 du Code civil et ce, que ses parents vivent séparément ou ensemble, quel que soit son lieu de résidence principale. Pourtant, le texte de l’article 1242 du Code civil ne fait pas référence à l’exercice de l’autorité parentale, mais à la cohabitation.
Dès lors qu’elle est prévue par une règle de droit, la temporalité emporte ses propres conséquences juridiques, par exemple pour les délais de prescription, de forclusion ou d’échéance. Lorsqu’un juge statue sur une affaire, il lui revient de faire une exacte application des règles qu’il met en œuvre, en se situant fictivement dans le temps (à la date à laquelle il juge ou à la date des faits jugés par exemple). Pour juger de l’intérêt légitime d’un enfant à changer de prénom, le juge doit désormais se situer à la date à laquelle il statue[5].
Argumentaire
Le Réseau des doctorants de l’École doctorale d’Histoire du droit, de Philosophie du droit et de Sociologie du droit (ED 8) de l’université Paris-Panthéon-Assas est heureux de proposer une nouvelle édition de sa journée d’étude pour 2024-2025. Cette seconde édition aura pour but d’explorer les relations entre temps et droit, autant d’un point de vue englobant. Nous proposons aux participants quelques pistes de réflexion, qui n’ont pour but que d’orienter les communications vers des thèmes communs, lesquels pourront être modfiés au moment de l’organisation de la journée d’étude proprement dite.
Un cadre pour le droit. La première piste de réflexion porte sur le temps perçu en tant que concept, souvent mis en relation avec l’espace. Il suffit d’évoquer la centralité de cette question dans la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein, qui ne fait du temps qu’une dimension de l’espace. Placé face au droit, le temps se présente comme un élément englobant, d’où il s’ensuit que la science juridique n’a peut-être pas tiré toutes les implications de la pensée philosophique du temps. Les communications rattachées à cette piste de réflexion pourraient chercher à interroger le rapport temps-droit, qui fait déjà l’objet d’un grand intérêt scientifique dans le domaine des sciences expérimentales.
Le temps du droit. Une autre piste de réflexion concerne le temps tel qu’il est perçu ou saisi par le droit. C’est ici que pourront s’inscrire toutes les communications ayant pour but d’éclairer les questions de délai, de durée et, plus largement, la prise en compte, à divers degrés, du temps dans tout objet juridique. C’est également le cas des communications ayant trait aux rapports de la justice à l’écoulement du temps : les jours fériés dans l’Antiquité et au Moyen Âge, la dégradation des preuves, la façon dont la justice définit le temps dit « raisonnable »…
Temps et méthodologie juridique. La discipline de l’histoire du droit, en particulier, explore les évolutions du droit à travers le temps. Pour ce faire, le juriste-historien doit périodiser. Le juriste est habitué à définir des faits et à délimiter du droit, mais il a peut-être plus de difficulté à saisir le temps. Comment définir une période en droit ? Cela a-t-il même du sens compte tenu des prétentions a-temporelles du droit ?
L’époque. La science du droit, également, a connu des mouvements de pensée qui ont influencé les recherches de leur époque, sur lesquelles les chercheurs se reposent encore de nos jours. Une époque, c’est un lieu où l’on se tient[6], un référentiel qui conditionne la perception. Des savants tels que Theodor Mommsen ou Friedrich Karl von Savigny, malgré la postérité unique de leurs œuvres, restent les hommes d’une époque marquée par des courants littéraires et philosophiques : le romantisme, les débuts du communisme, du positivisme
Informations pratiques
Cette journée d’étude aura lieu les 13 ou 20 juin 2025 à l’Institut d’Histoire du droit Jean-Gaudemet, 4 rue Va- lette, 75005 Paris. Les propositions de communication, de taille et de format libre, pourront être envoyées aux adresses suivantes : jan.borrego@u-paris2.fr, quentin.lejart@yahoo.fr, lea.mellouki@gmail.com, vincent.trinidad@free.fr. La limite de temps pour nous l’adresser est fixée au 9 février 2025.
Pour toute question, prière de contacter les organisateurs à cette même adresse de courriel.
[1] Henri Bergson, La pensée et le mouvant, PUF, 1938, p. 14.
[2] D. 1, 9, 7, 1, Ulpien : Labeo scribit etiam eum, qui post mortem patris senatoris natus sit, quasi senatoris filium esse. (Trad. : « Labéon écrit même que, celui qui est né après la mort de son père sénateur est considéré comme un fils de sénateur»). Ulpien, juriconsulte de la deuxième moitié du iie siècle apr. J.-C., parle de Labéon au présent, bien que celui-ci fût un jurisconsulte des premières années du principat.
[3] Domat reprend la dénonciation de l’usure par Papinien (D. 6, 1, 62) dans Les loix civiles dans leur ordre naturel, t. I, Paris, Le Clerc, 1777, p. 257.
[4] C. Cass., AP, 28 juin 2024, n° 22-84.760.
[5] C. Cass., Civ. 1re, 20 nov. 2024, n° 22-14.773.
[6] Par l’étymologie également : ἐπ-έχω signifie « se tenir sur… ».
Journée du Réseau des doctorants de l’ED 8 — Université Paris-Panthéon-Assas.