Date limite le lundi 10 fév. 2025
I- Aspects scientifiques
« L'inévitable conclusion est que le droit à l'avortement ne trouve pas d'enracinement profond dans l'histoire et les traditions juridiques de la Nation. Au contraire, une tradition ininterrompue d'interdiction de l'avortement, accompagnée de sanctions pénales, a perduré sans défaillance depuis les premiers jours (...)[1] ». Cet argument, extrait de l'arrêt Dobbs de 2022 et présenté par le juge Samuel Alito au nom de la Cour suprême des Etats-Unis, fait particulièrement écho aux paroles de Simone de Beauvoir qui, en réponse aux célébrations de Claudine Monteil à l'occasion de la dépénalisation de l'Interruption Volontaire de Grossesse, déclarait : « Rien n'est jamais définitivement acquis. Il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilantes ». En ce sens, les mutations de la loi, de la jurisprudence et des éventuelles protections conventionnelles et constitutionnelles démontrent effectivement que le cadre juridique entourant l'IVG, et plus largement l'avortement, fait l'objet d'une adaptation continue — positive comme négative — aux réalités sociales et aux divergences entre idéologies politiques conservatrices et progressistes.
Ainsi, en passant de sa primo-dépénalisation en 1975 à la constitutionnalisation de la liberté garantie aux femmes de recourir à une interruption volontaire de grossesse, la loi Veil est devenue, en 50 ans, l'un des symboles de la modernité juridique française et plus largement européenne. Dans cette perspective, il peut être constaté une progression manifeste de la dépénalisation de l'avortement et de l'assouplissement des conditions d'accès à l'IVG au sein des Etats européens. A cet égard, sont à souligner les exemples du référendum irlandais du 25 mai 2018 autorisant l'interruption volontaire de grossesse jusqu'à 12 semaines de grossesse et, plus modestement, de la loi maltaise du 28 juin 2023, dans les cas où la vie de la femme est en danger et lorsque le fœtus n'est pas viable. Toutefois, et parallèlement, il peut également être observé, les symptômes d'un recul plus global des droits des femmes, subi à des degrés différents par l'ensemble des Etats à travers le monde. A cet égard, l'arrêt du Tribunal constitutionnel polonais de 2020, restreignant le recours à l'IVG en supprimant l'exception liée aux malformations du fœtus, constitue un exemple probant. Ces mouvements parallèles et antagonistes sont notamment permis par une absence de reconnaissance d'un droit à l'IVG comme droit fondamental. Tant la Cour européenne des droits de l'homme que la Cour de justice de l'Union européenne ont, respectivement en 2010 et en 1991, refusé de consacrer explicitement un tel droit, lequel n'est pas – encore ? – inscrit dans les textes européens traitant des droits humains.
Le raisonnement de la Cour suprême des Etats-Unis ne doit donc pas être perçu simplement comme un recul ponctuel d'un droit fondamental dans un contexte particulier de montée des idéologies conservatrices, mais plutôt comme un avertissement solennel contre l'illusion d'une progression positive et irréversible des droits et libertés fondamentaux, en particulier ceux des femmes. Ainsi, conformément à la réponse de Simone de Beauvoir à Claudine Monteil, le cinquantenaire de la loi sur l'IVG nous invite non seulement à célébrer son enracinement dans notre droit, mais aussi à maintenir une vigilance globale et perpétuelle.
En raison de ces évolutions dont le droit français souhaiterait être l'aboutissement — se présentant formellement comme une réaction égale et opposée à l'arrêt Dobbs —, la consécration de ce demi-centenaire ne saurait être abordée autrement que par une approche globale, autrement dit, qui ne soit pas francocentrée.
Cette approche globale suscite diverses interrogations sur les garanties effectives de ce droit, dans un contexte où le revirement jurisprudentiel étasunien et la révision constitutionnelle française soulignent les défis complexes liés à la protection et à la pérennité des droits fondamentaux, tant au niveau national qu'européen et international. Il convient également de rappeler que, selon l'interprétation du droit à la santé par l'OMS, la dépénalisation et l'ouverture de l'accès à l'IVG ne peuvent se limiter à une simple reconnaissance formelle, quelle que soit la valeur juridique qui lui est accordée. Cette reconnaissance doit être évaluée en fonction de critères d'acceptabilité, de disponibilité des moyens, d'accessibilité, ainsi que de la qualité des services. Cela inclut de nombreux enjeux de politiques publiques, qu'il convient de mettre en balance avec les aspects sanitaires et éthiques du sujet, notamment la question de la clause de conscience. Au-delà du seul droit à la santé, tout un ensemble de droits fondamentaux sont affectés par cette question au premier chef desquels il est possible de citer le droit à la libre disposition de son corps, les droits reproductifs et plus globalement les droits des femmes.
Dès lors, les contributions attendues dans le cadre de ces ateliers pourront aborder ces questions sous des angles variés, du droit national au droit international, des droits étrangers aux droits comparés, tout en cherchant à croiser les regards juridiques sur l'évolution de l'IVG en France, en Europe et dans le monde.
II- Aspects logistiques
Le déplacement et l'hébergement à Tours seront à la charge des participants ou pourront être pris en charge par leurs laboratoires ou écoles doctorales.
III- Inscriptions
Cet appel à communications s'adresse à tous les doctorants et doctorantes ainsi qu'aux jeunes docteurs et docteures en droit.
Les manifestations d'intérêt devront être envoyées à l'adresse suivante au plus tard le 10 février 2025, pour un retour des sélections courant février :
ateliersdoctorauxivgtours@gmail.com
Les courriels devront impérativement comporter les documents suivants :
- Curriculum Vitae
- Intitulé et résumé de la thèse
- Proposition de communication
-
- Format : .docx et .pdf
- Limite : 500 mots
La langue de travail est en principe le français. Cependant, au regard de la portée européenne et internationale souhaitée pour ce colloque, les communications en anglais seront également acceptées.
IV- Comité scientifique
Les propositions seront analysées par un comité scientifique composé de :
- Farida ARHAB-GIRARDIN, Maître de conférences habilitée à diriger des recherches (HDR) en droit privé à l'Université de Tours, Co-directrice du Master « Droit de la santé »
- Marie-Laure GELY, Maître de conférences habilitée à diriger des recherches (HDR) en droit public à l'Université de Tours, directrice du Master 2 « Juriste de Droit Public »
- Christine GUILLARD, Maître de conférences habilitée à diriger des recherches (HDR) en droit public à l'Université de Tours, Directrice du Master « Affaires européennes »
- Colombine MADELAINE, Maîtresse de conférences en droit public à l'Université de Tours
- Pierre-Yves MONJAL, Professeur agrégé de droit public à l'Université de Tours, titulaire de la Chaire européenne Jean Monnet, Directeur du réseau européano-japonais NihonEuropA et Directeur éditorial de la Revue du droit de l'Union européenne
- Sébastien ROLAND, Professeur agrégé de droit public à l'Université de Tours, Responsable de l'axe « Normes et Institutions en Europe » de l'Institut de Recherche Juridique Interdisciplinaire François-Rabelais
[1] Supreme Court of the United States. (2022). Dobbs v. Jackson Women's Health Organization, 597 U.S. , p. 25. « The inescapable conclusion is that a right to abortion is not deeply rooted in the Nation's history and traditions. On the contrary, an unbroken tradition of prohibiting abortion on pain of criminal punishment persisted from the earliest days of the common law until 1973. ».
Ateliers doctoraux organisés par l'axe « Normes et institutions en Europe » de l'IIRJI, en partenariat avec Hémisphère Droit (Association des doctorants et jeunes docteurs en Droit de l'Université de Tours), dans le cadre de l'Année de Recherche Thématique 2025 sur l'IVG, sous la direction de Léa CELLIER, Antonin CRINON et Edward MILON. Supervision Scientifique par le Professeur Sébastien ROLAND. Diffusion en direct sur Zoom (sans enregistrement) et publication des actes.