On a toujours opposé l’Etat et la société commerciale. Quand le premier a pour objectif la poursuite et la satisfaction de l’intérêt général, la seconde est par essence créée pour satisfaire des intérêts particuliers. Se sont ainsi construits, en parallèles, deux corps de règles : d’une part, les règles qui encadrent l’Etat, la gestion de ses finances publiques et la poursuite de l’intérêt général, et d’autre part, les règles qui encadrent les sociétés commerciales, la gestion des fonds privés et la poursuite de l’intérêt de la société.
Si l’Etat et la société poursuivent des intérêts différents, et que l’ensemble de la règlementation les encadrant a toujours été conçue avec cette binarité, on ne peut s’empêcher de se demander aujourd’hui si cette réalité est toujours d’actualité. Dans un monde où l’Etat poursuit la satisfaction de l’intérêt général tout en voulant avoir une organisation aussi souple et agile que celle d’une société de droit privé, ou dans lequel l’Etat intervient exactement comme un acteur privé, tout se soumettant à ses propres de règles de droit public, il convient aujourd’hui de se demander s’il ne faudrait pas changer de paradigme et voir les choses d’un angle différent.
Car jusqu’à présent, la gouvernance de l’Etat n’a été pensée que du point de vue du droit public. Des tentatives de transposer de but en blanc un mode d’organisation du privé au public n’ont pas reçu le succès escompté. L’objectif aujourd’hui est de lire le droit public avec un regard de droit privé, et de réfléchir aux règles de droit public en pensant aux règles de droit privé.
Ainsi, si on tente de comparer l’Etat à une société de commerciale on pourrait, par exemple, dégager un conseil d’administration qui serait l’équivalent de l’appareil exécutif de l’Etat. Le Parlement pourrait être considéré comme étant une assemblée générale, les députés étant des mandataires des citoyens (des « proxies »). Les actionnaires seraient des citoyens de l’Etat (des « actionnaires-citoyens »), qui sont chaque année appelés à participer aux frais de gestion de l’Etat, et qui perçoivent leurs bénéfices sous la forme des services qui leurs sont rendus par l’Etat, le service dit public.
Si on considère que le gouvernement est un conseil d’administration, nommé par le « Président », est-ce que les règles de droit public aujourd’hui applicables à sa gouvernance sont suffisantes pour encadrer son activité ? Est-il possible de s’inspirer des règles de gouvernance des sociétés commerciales pour améliorer la gouvernance de l’appareil exécutif de l’Etat ?
Le sujet est particulièrement important à un moment où nos institutions sont remises en causes. La Constitution de 1958, en recherchant un équilibre des pouvoirs impossible à atteindre a-t-elle failli, ou au contraire, peut-on s’inspirer des espaces qu’elle nous laisse pour contrebalancer les déséquilibres que l’on constate près de soixante dix ans après ? Les règles de gouvernance des sociétés commerciales, qu’elles soient de droit dur, de droit souple ou d’auto-régulation, peuvent-elle inspirer une meilleure gouvernance de l’appareil exécutif de l’Etat afin de satisfaire ses actionnaires-citoyens et améliorer leur vie en société ?