organisée par Massimo Vogliotti , Université du Piémont Oriental, résident à l'IEA Paris
Présentation
Depuis le début du XXe siècle, le mot «crise» a résonné à maintes reprises au sein de la communauté des juristes. Chaque fois que le discours sur la crise (de l'Etat, du code, de la loi, du système des sources, de la science juridique et, après la seconde guerre mondiale, du droit lui-même) était prononcé, la question de la réforme des études juridiques était posée. Et pour cause, étant donné le lien étroit entre le modèle éducatif et les prémisses ontologiques («qu'est-ce que le droit?») et épistémologiques («quel type de savoir est le savoir juridique?») du paradigme juridique correspondant.
Toutefois, tout au long du siècle passé, ce discours sur la crise – qui était, plus précisément, un discours sur l'inaptitude du paradigme juridique moderne (de l'Europe continentale) à comprendre et à gérer les nouvelles manifestations du droit – est resté aux marges de la communauté des juristes qui, dans sa grande majorité, a continué à observer la réalité à travers le filtre des catégories théoriques et des présupposés mythologiques de ce paradigme. La conséquence a été que la réflexion sur l'éducation juridique, parfois riche et en grande partie encore actuelle aujourd'hui, a produit des résultats largement insatisfaisants dans les pays de civil law.
Si le regard vers le passé pousse au pessimisme – trop de facteurs (épistémologiques, corporatifs, bureaucratiques, inertiels...) faisant obstacle à une profonde réforme de l'éducation juridique – la lecture du présent donne cependant des raisons de cultiver l'espoir.
L'accélération de la crise du paradigme moderne – qui, sous les coups de l'européanisation du droit et de la globalisation, peut-être a atteint sa phase terminale – a secoué la communauté orthodoxe (la rendant plus perméable aux nouvelles perspectives théoriques) et relancé, par conséquent, le débat sur l'enseignement du droit. Grâce aussi à la concurrence entre les établissements chargés de la formation des juristes, ces dernières années ce débat a commencé à sortir des livres, des rapports et des colloques (de plus en plus nombreux, ce dont il faut se réjouir) et à entrer dans le vif de l'expérience pédagogique, qui se tourne de plus en plus vers le modèle anglo-saxon: leçons plus interactives et ouvertes aux professionnels du droit, parcours différenciés selon la qualité et l'engagement des étudiants,case method, moot courts, law clinics, ateliers, stages...
Et toutefois, s'il y a bien des raisons d'être un peu plus optimistes sur l'avenir de l'éducation juridique, il ne faut pas non plus surestimer ces signes de rénovation. Les nouvelles expérimentations
– là où elles existent, car de nombreux établissements sont restés imperméables aux changements – sont très inégales, parfois de façade ou trop timides, souvent liées à l'initiative individuelle des professeurs plus sensibles et motivés et presque toujours partielles: case method oui, mais non la théorie du droit ou l'histoire de la pensée juridique ; law clinics, oui, mais non une véritable fécondation des matières de droit positif par l'histoire, la comparaison et le droit européen, qui restent normalement cantonnés dans des cours spécifiques.
Quant à l'interdisciplinarité, interne aux disciplines juridiques et externe, elle est encore très peu pratiquée quand elle n'est pas contestée au nom de la spécificité du savoir juridique, du risque – bien réel, d'ailleurs – de l'éclectisme et des exigences – de plus en plus affichées par le monde des professions et notamment par les cabinets d'avocats – d'une professionnalisation plus poussée de la formation universitaire.
Par ailleurs, sur cette question de la professionnalisation, il y a bien matière à discussion, car l'ancienne querelle formation professionnelle / formation culturelle du juriste, qui ne cesse d'animer le débat, est probablement une fausse querelle qui empêche un dialogue véritablement constructif. Personne ne peut nier, en effet, que l'Université doit préparer des juristes qui soient en mesure de trouver leur place dans le monde du travail. Mais quelle est, au juste, la formation que les universités devraient assurer afin qu'elle soit véritablement «professionnalisante»?
La réponse à cette question ne peut se passer d'une analyse du contexte dans lequel le juriste in spem devra opérer. Celui-ci est caractérisé par l'obsolescence rapide des normes, la déstructuration du système des sources du droit qui suggère l'image du réseau plutôt que celle de la pyramide, mais aussi l'attribution au juriste d'un rôle critique et constructif à l'égard du droit positif, qui doit être toujours redéfini afin de le rendre conforme à la Constitution et aux Chartes européennes des droits de l'homme, à leur tour influencées par les changements du contexte axiologique. A ces transformations du droit (et de bien d'autres domaines de la vie social) s'ajoutent les défis de la société contemporaine (pluraliste, multiculturelle, du risque...) qui fait de plus en plus appel au droit – et donc aux juristes – pour résoudre des problèmes qui requièrent des compétences pas uniquement juridiques et soulèvent des questions axiologiques difficiles et souvent très controversées.
Dans ce cadre, quelle est donc la formation la plus professionnalisante? Une formation technique, riche d'informations sur le droit positif (normalement national) et orientée vers l'apprentissage des instruments du métier (mais lequel, vu la fragmentation des métiers des juristes aujourd'hui?) ou bien une éducation qui – se limitant aux contenus, aux catégories et aux principes fondamentaux du droit positif (non seulement national) – vise plutôt à former des esprits agiles, imaginatifs, critiques et conscients des responsabilités liées au travail juridique, capables de bien argumenter et s'exprimer à l'écrit et oralement, de comprendre les enjeux éthiques, sociaux, économiques et politiques des questions juridiques, de construire, avec les différents matériaux dispersés dans le réseau du droit (national, européen, international, global) des solutions équitables et raisonnables?
Mais nul n'est assez naïf pour penser que le choix du modèle éducatif n'est que la conséquence de prémisses d'ordre épistémologiques et pratiques, liées aux exigences du droit et de la société contemporains. Une autre question doit donc être posée comme préalable: quel type de juristes voulons-nous former? Cette question est d'ordre politique: souhaitons-nous nous borner à former un juriste connaisseur de règles et capable de les appliquer, sorte d'ingénieur social résigné à la logique du personnage Humpty Dumpty de Lewis Carroll (selon lequel le sens des mots dépend de la volonté du maître), ou bien voulons-nous un juriste critique et responsable, soucieux d'ouvrir l'éventail des possibilités et capable de penser autrement et de façon autonome?
La journée d'étude qui se tiendra samedi 13 juin à l'Institut d'études avancées de Paris voudrait reprendre ces questions et en ajouter d'autres, en vue de prolonger la réflexion sur le sujet et d'esquisser les lignes principales d'une nouvelle éducation juridique, en étant bien conscients que toute tentative de repenser en profondeur le modèle pédagogique – déjà difficile en soi – n'est presque rien par rapport aux difficultés de sa mise en oeuvre.
Programme
9h15. - Accueil des participants
Première séance
Sous la présidence de François Ost, Université Saint-Louis de Bruxelles
9h30. - Allocution d'ouverture de François Ost
9h40. - Introduction, Massimo Vogliotti, Université du Piémont Oriental, IEA de Paris
10h. - Qu'est-ce qu'un bon juriste?, Jacques Chevallier, professeur émérite de l'Université Panthéon-Assas, CERSA-CNRS
10h30. - Pour une éducation juridique universaliste, Sabino Cassese, professeur émérite de l'ENS de Pise, ancien juge à la Cour constitutionnelle italienne
11h. - Pause café
11h15. - Droit comme culture: un paradigme pour analyser et enseigner le droit, Werner Gephart, Käte Hamburger Kolleg «Recht als Kultur», Université de Bonn
11h45. - Discussion
Deuxième séance
Sous la présidence de Jean Danet , Membre du Conseil Supérieur de la Magistrature
14h30. - Moins de droit. Propositions pédagogiques subversives à la lumière de la formation juridique en common law, Ruth Sefton-Green, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
15h. - La fabrique à juristes: Que se passe-t-il (et que devrait-il se passer) entre la première et la dernière année dans les facultés nord-américaines?, Pierre Noreau , Université de Montréal
15h30. - Discussion et pause café
16h15. - Quelle casuistique? La méthode des cas dans l'histoire de l'éducation juridique, Ferdinando Treggiari, Université de Pérouse
16h45. - Quelle formation pour quel juriste et quel droit? Libération et responsabilisation de l'étudiant bruxellois , Antoine Bailleux, Université Saint-Louis de Bruxelles
17h15. - Discussion
Contact
Simon Luck: Institut d'études avancées de Paris - Hôtel de Lauzun 17, quai d'Anjou - 75004 Paris - tél. +33 ( 0) 1 56 81 00 52 - simon.luck@paris-iea.fr - www.paris-iea.fr - Twitter: @IEAdeParis
Entrée libre dans la limite des places disponibles
Inscription obligatoire : http://paris-iea.fr/node/2817
Illustr.: Institut d'études avancées de Paris, Allégorie de la Justice, Hôtel de Lauzun