lundi27mai2024
10:0017:30
Du « paradoxe libéral » au paradoxe illibéral
Sur place et en ligne

Journée d'étude

Du « paradoxe libéral » au paradoxe illibéral


Présentation

Cette journée d'étude s'inscrit dans le cadre du projet « Les subversions du droit : dynamiques et résistances » qui interroge les conflits axiologiques dont le droit est à la fois l'enjeu et l'arène. L'arrivée au pouvoir ou le renforcement électoral de partis d'extrême droite en Europe pose la question des dynamiques de construction des idéologies illibérales et de leur circulation dans les sphères intellectuelles et politiques. En miroir, se posent non seulement les questions de la traduction de ces idéologies dans l'ordre juridique mais aussi des résistances de l'Etat de droit, de la séparation des pouvoirs et de la protection des libertés et droits fondamentaux face à une conception majoritaire de la démocratie. Dans ce cadre, l'essor des politiques et législations migratoires en Europe questionne : constituent-elles des subversions du droit, en ce sens qu'elles font pénétrer dans l'ordre juridique libéral des mesures illibérales, ou constituent-elles plus nettement des exceptions à l'application de l'Etat de droit pour certaines catégories de population ?

Dans un ouvrage paru en 1992[1], James F. Hollifield soutient la thèse de la « contrainte libérale » ou du « paradoxe libéral » comme proposition d'explication du sens des politiques d'immigration mises  en  œuvre  dans  les  démocraties  libérales,  que  François  Héran  résume  par  la formule « accueillir les migrants à bras fermés »[2]. Cette approche appréhende les tensions qui existent entre, d'une part, les principes libéraux d'ouverture et de liberté de mouvement – rester compétitif économiquement dans un monde globalisé - et, d'autre part, la volonté politique des Etats-nations de contrôler leurs frontières et de protéger leur souveraineté dans les limites d'un Etat de droit. Des décennies plus tard, la relecture de ce paradoxe révèle une radicalisation des politiques publiques dirigées contre l'immigration, tant légale qu'illégale, caractérisées par des procédés de tri, par le harcèlement policier et administratif, la restriction continue des droits et le recours systématique à l'enfermement des étrangers. Ces pratiques, qui persistent malgré les interventions des juges, sont parfois interprétées comme le signe de la « faillite »[3]  de l'Etat de droit ou de la « politique des droits »[4]. Toutefois, ce traitement réservé aux personnes étrangères se manifeste comme la réminiscence d'une contradiction intrinsèque au libéralisme. Historiquement, le libéralisme, malgré ses prétentions à la liberté et à l'égalité, a procédé à l'exclusion de certaines populations du bénéfice de ces idéaux, justifiant ces exclusions par des notions de supériorité de classe, de genre, de race ou civilisationnelle. Ainsi, loin d'être des aberrations, ces pratiques révèlent le caractère fondamental du libéralisme, qui intègre l'oppression et l'exclusion comme éléments constitutifs de son application. La politique contemporaine envers les personnes migrantes, avec ses procédés de tri et d'enfermement, incarne cette tradition d'exclusion. Doit-on qualifier cette approche d'illibérale ? Ou s'agit-il plutôt d'une dimension inhérente au libéralisme lui-même ? Ces interrogations amènent à une question fondamentale du projet : l'illibéralisme, est-il simplement une variante du libéralisme ?

Cette journée d'étude interdisciplinaire accueillera des spécialistes de divers horizons disciplinaires (droit, science politique et sociologie) et géographiques (France, USA, Grande Bretagne et Pologne) dans le but d'explorer ce concept du « paradoxe libéral » appliqué aux politiques d'immigration. Cette journée a vocation d'offrir un espace pour chercher ensemble et, notamment, pour discuter des méthodes de recherche adaptées à un sujet caractérisé par des perspectives analytiques qui, bien qu'elles se recoupent, ne convergent pas toujours. Cette interaction vise à enrichir la compréhension et la manière d'aborder les complexités inhérentes à l'étude du « paradoxe libéral », en facilitant un dialogue constructif sur les méthodes de recherche les plus adaptées pour démêler les intrications de ce thème multidimensionnel que sont les politiques d'immigration.

 

Programme

 

10h       Présentation de la journée
Julien Mouchette, Lauren Bakir/Valentin Behr

 

10h30   Les comparaisons

Les politiques d'immigration en Grande Bretagne
Adrian Favell

Les politiques d'immigration en Pologne
Kaja Skowronska

12h30   Pause méridienne

 

14h30   Le cas français

Les droits fondamentaux à l'épreuve de la police des étrangers
Danièle Lochak

Le droit des étrangers : un droit perverti ?
Serge Slama

L'enfermement des étrangers : la normalisation de l'arbitraire
Nicolas Fischer

 

17h       Ouverture

La fin du paradoxe libéral ?
James F.Hollifield

 

 

[1] Hollifield, J., Immigrants, Markets and States: The Political Economy of Postwar Europe. Cambridge, MA: Harvard University Press, 1992.

[2] https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/cours/les-politiques-migratoires-de-par-le-monde/le-paradoxe-liberal-accueillir-les-migrants-bras-fermes .

[3] GISTI, La faillite de l'Etat de droit ? L'étranger comme symptôme, coll. « penser l'immigration autrement », 2017, 216 p.

[4] Baudot, Pierre-Yves, et Revillard, Anne. L'Etat des droits. Politique des droits et pratiques des institutions. Presses de Sciences Po, 2015.


Journée d'étude organisée dans le cadre du projet « Les subversions du droit » consacrée aux politiques d'immigration en Europe. Ce travail s'inscrit dans le cadre de l'Institut Thématique Interdisciplinaire MAKErS du programme ITI 2021-2028 de l'Université de Strasbourg, du CNRS et de l'INSERM. Il a bénéficié du soutien financier de l'IdEx Unistra (ANR-10-IDEX-0002), et du/de(s) financement(s) au titre du Programme Investissement d'Avenir dans le cadre du/des projets SFRI-STRAT'US (ANR-20-SFRI-0012).



MISHA
Salle de Conférences
All. du Général Rouvillois
67000 Strasbourg